La Bonne Chanson

Un livre de Jean-Nicolas De Surmont. Vol. 6, no. 3, Hiver 2002

par BÉLANGER Jean-Claude

Voici un livre fort attendu et qui vient combler une lacune importante dans l’histoire de la culture québécoise. Tout ce qui concerne Botrel, que chantait ma grand-mère et même ma mère, a grandement contenté ma curiosité. Le livre est particulièrement intéressant pour les informations qu’il apporte sur le mouvement revivaliste du début du XXe siècle quand il mentionne des faits autour de Marchand, Oscar O’Brien, dont le parallèle avec Botrel est peut-être plus évident que ne l’est celui avec l’Abbé Gadbois.

Le parallèle entre Botrel et Gadbois, tel que présenté dans le travail de Nicolas de Surmont, est trompeur car ces deux hommes ont eu une carrière et une oeuvre fort différente. Botrel était un artiste qui se prenait pour un curé, Gadbois était davantage un curé qui se voulait artiste et pédagogue. Botrel prônait un retour vers la culture régionaliste alors que Gadbois, par la présentation de chansons littéraires ou classiques, recherchait plutôt un élargissement culturel tout en offrant une résistance à l’hégémonie de l’industrie culturelle américaine sur la culture populaire d’alors.

« ...Notre québécitude culturelle était de plus en plus à la remorque des grands opérateurs américains... Alors que le disque yankee par le jeu des filiales devenait production locale, le disque français d’outre-mer retenait son statut de produit d’exportation et subissait tout le poids de la douane. Les grands manitous de la musique populaire USA inondaient nos stations de « complimentaires” et les discothèques de nos diffuseurs devinrent en peu de temps des succursales de Tin Pan Alley, de Variety et de Cash Box. »
Fernand Robidoux. Si ma chanson, Les Éditions Populaires, 1974

L’oeuvre de Gadbois représente plus que le commerce de la tradition. Gadbois se voulait moderne et actuel. Il a le mérite d’avoir reconnu la tradition orale et de ne pas l’avoir méprisée ouvertement comme bien des intellectuels et bien des érudits avant et après lui. Il avait aussi comme mission d’introduire chez le peuple un peu de culture à une époque où il fallait s’adresser au Ministère de l’agriculture pour publier un livre ou obtenir ses droits d’auteur ! On lui a bien reproché d’avoir réécrit ou modifié des chansons de tradition orale et on a beaucoup exagéré ce fait. Il se contentait plus souvent qu’autrement de choisir un répertoire selon la rectitude politique ou morale de son époque. Il a puisé abondamment chez Ernest Gagnon et Marius Barbeau. Or, eux-mêmes ont pratiqué une sorte d’auto-censure, éliminant de leurs publications les chansons grivoises et même, presque complètement, les chansons à boire : à peine deux pièces sur cent font allusion au vin chez Gagnon et il aura fallu attendre tout près de vingt ans après la mort de Barbeau pour voir la publication de Le Roi boit. Gadbois ne se prétendait ni folkloriste ni archiviste, c’était un diffuseur et un pédagogue.

Le projet du Centre musical canadien, tel qu’il apparaîssait sur la couverture de la revue « Musique et musiciens » d’octobre 1952.

En tous cas, il est certainement exagéré de dire que Gadbois a « contribué à la disparition de la transmission orale” (qui n’est d’ailleurs pas disparue). Au contraire, pour beaucoup de contemporains les seules chansons connues du répertoire traditionnel et encore en usage, par exemple autour d’un feu de camp, sont celles transmises par Gadbois. Ce n’est pas si mal car ce répertoire comprend un excellent échantillonage du grand répertoire recueilli et catalogué par les folkloristes. C’est davantage l’urbanisation de la population et le changement radical de la vie traditionnelle qui ont contribué à la disparition des us et coutumes ancestraux et apporté une inévitable folklorisation de certains éléments.

Si le livre insiste pesamment sur les aspects passéistes ou simplement dépassés de l’oeuvre de Gadbois, il en néglige tout à fait les objectifs et les réalisations d’avant-garde pour l’époque. Il est étonnant qu’il ne soit pas fait mention de la revue Musique et Musicien et de son rédacteur en chef Conrad Letendre qui fut, de 1942 à 1954, le conseiller artistique et le bras droit de l’abbé Gadbois. Or cette revue est d’un modernisme et d’une audace téméraire pour l’époque. On y remettait en cause même la sacro-sainte perfection de la musique classique et on faisait une bonne place à la musique de folklore fournissant des articles de fond et du matériel original pour l’étude du piano et de la musique. On peut voir dès le premier numéro de cette revue (octobre 1952), un ambitieux projet de centre musical qui voulait doter Montréal d’une salle de concert adéquate (bien avant la construction de la Place des arts), mettre des salles et des studios adéquats à la disposition des musiciens (les professeurs et les élèves du conservatoire en réclament toujours), former une bibliothèque musicale publique et promouvoir l’édition de la musique canadienne. Des ambitions qui n’ont pas trouvé le support nécessaire et qui ont contribué à conduire l’abbé Gadbois à la faillite.

Ce livre nous laisse espérer une suite dans laquelle l’oeuvre de Gadbois serait davantage examinée et analysée selon le contexte socio-politique des années quarante et cinquante et moins selon le contexte d’avant-guerre qui convient mieux à Botrel, Marchand et O’Brien. Malgré ses lacunes et son ton d’un académisme ésotérique « Récurrence des signes dans la mise en scène des genres littéraires oralisés », ce livre fort documenté constitue un outil de référence indispensable ne serait-ce que pour son abondante bibliographie et ses discographies bien ordonnées.

De Surmont, Jean-Nicolas, La bonne chanson. Le commerce de la tradition en France et au Québec. Éd. Triptyque, 2001.



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