Le répertoire traditionnel instrumental publié – Partie 1 : les titres

Vol.15, no.2, Hiver 2015

par DUVAL Jean

Comme il est impossible d’appréhender la totalité du répertoire existant, j’ai décidé dans ma thèse de l’étudier à partir d’un corpus ciblé, soit les collections publiées de musique écrite qui renferment de la musique traditionnelle du Québec. Ces collections présentent habituellement un assemblage de transcriptions faites à partir d’enregistrements commerciaux ou d’archives. Ce corpus est constitué de trente collections de différents types, publiées entre 1920 et 2010, qui représentent 188 pièces au total, ou environ 930 pièces distinctes lorsqu’on tient compte des répétitions de certaines pièces d’une collection à l’autre [1]. Toutes les collections examinées se retrouvent dans les références en fin d’article.

Il importe de distinguer ici quelques grands types de collection :

• les collections américaines ou canadiennes (hors-Québec) contenant des pièces du répertoire traditionnel québécois au côté de pièces d’autres traditions musicales ;

• les collections consacrées uniquement à la présentation d’un éventail de pièces choisies du répertoire de musique traditionnelle du Québec ;

• les collections consacrées au répertoire d’un musicien traditionnel québécois en particulier ou d’un musicien jouant du répertoire traditionnel québécois, au côté ou non de pièces d’autres traditions musicales ;

• les collections qui accompagnent un disque lorsque toutes les pièces du disque sont transcrites et qu’elles sont présentées dans une publication séparée plutôt que dans le livret du disque.

J’ai exclu deux autres types de collections de ce corpus, soit les collections de compositions provenant d’un seul musicien et celles qui ne sont qu’un collage de pièces parues au fil des ans dans le périodique Québec Folklore. Cela s’explique, dans le premier cas, du fait que les pièces d’un seul compositeur entrent rarement toutes dans le répertoire courant et ne sauraient être considérées comme représentatives du répertoire à mes yeux. Dans le deuxième cas, la constitution de la collection n’a pas obéi à un critère de sélection ou d’assemblage particulier. J’ai aussi exclu un ouvrage savant sur la danse traditionnelle, celui de Voyer (1986), qui présente avec la description des danses des transcriptions musicales. Ces exclusions retranchent 261 pièces dont 177 sont des compositions assez récentes, sans que cela n’ait vraiment d’incidence sur le répertoire général.

Malgré cette amputation, j’évalue que ce corpus représente environ 80‰ de tout ce qui a été publié en fait de musique traditionnelle québécoise. Même si ce corpus ne peut pas refléter exactement ce qui se joue aujourd’hui au Québec dans toutes les régions et dans tous les contextes de jeu, il me donne néanmoins une très bonne vision d’ensemble du répertoire québécois [2], tant pour ce qui est de sa diversité que de son étendue dans le temps.

Si ce corpus me permet de répondre à la question des caractéristiques du répertoire avec précision il ne m’informe pas, malheureusement, sur son étendue quantitative. Ornstein (1982 : 4) avait suggéré qu’il y a « perhaps several thousand tunes in current circulation ». Quelques musiciens que j’ai interviewés pour ma recherche ont transcrit de nombreuses pièces à partir d’enregistrements commerciaux ou d’archives. En 2010, deux d’entre eux, Pascal Gemme et Olivier Demers, en avaient déjà transcrit environ 500 chacun, et un autre, Jean-Claude Bélanger, en avait transcrit près de 2 000. Il y a probablement des répétitions des mêmes pièces dans toutes ces transcriptions ainsi que de nombreuses variantes des pièces classiques du répertoire. De plus, le répertoire s’enrichit sans cesse par la composition, une tradition en elle-même, comme je l’ai démontré dans mon mémoire de maîtrise (Duval 2008). J’avance prudemment le chiffre de 5 000 pièces distinctes et apparentes dans le répertoire québécois [3] des 50 dernières années, mais un travail plus approfondi serait requis pour confirmer ce nombre, ce qui dépasse le cadre du présent travail.

Dans ce premier article sur les caractéristiques du répertoire traditionnel établies à partir de l’analyse de ce corpus, j’examine la question des titres des pièces.

L’importance relative des titres des pièces a été étudiée par des chercheurs dans des traditions musicales apparentées comme Breatnach (1975 : 63) dans le cas de la musique traditionnelle irlandaise et Bayard (1982 : 5) dans celui de la musique Old Time de Pennsylvanie. Des remarques générales semblables à celles qu’ont faites ces auteurs peuvent être formulées au sujet des titres des pièces dans le répertoire de musique traditionnelle du Québec. D’abord, les titres sont des identifiants avant tout et n’ont en général pas de références réelles et indissociables avec la pièce. Par exemple, la « gigue des forgerons » ne correspond pas à une danse exécutée par des forgerons [4], et on n’y entend pas des éléments musicaux qui suggèrent le travail des forgerons [5]

Ensuite, tout comme il existe plusieurs versions ou variantes d’une même pièce, les titres ne sont que rarement uniques pour cette même pièce. Le musicien traditionnel prend plaisir semble-t-il à jouer avec les titres, à en inventer de nouveaux, par jeu ou par omission, ou à les confondre, par distraction. Ainsi, la pièce souvent connue sous le nom de « La Disputeuse », devient « La Chicaneuse » pour l’un et « La Bavasseuse » pour l’autre. Le « Reel de Sherbrooke » de l’un est le « Reel de Vaudreuil » ou le « Reel de Montréal » de l’autre. Quelquefois, un observateur ou un musicien peut penser qu’un titre associé à une pièce devient presque officiel dans son milieu, pour s’apercevoir que dans une autre région, ou pour d’autres groupes de musiciens, un autre titre prévaut pour la même pièce. Enfin, il peut arriver qu’un même titre soit attribué à des pièces très différentes mélodiquement, ce que Bayard appelle des titres flottants (floaters). L’imposition d’un titre à une pièce peut aussi servir de moyen mnémotechnique temporaire. Par exemple, un de mes informateurs, Yvon Mimeault, se rappelle comment il a inventé de nouveaux titres pour des pièces qu’il entendait et apprenait à partir d’une station radiophonique anglophone des Maritimes mais dont il ne saisissait pas les titres :

« I’y’avait un monsieur Charest, un vieux monsieur qui faisait le tour de la maison le matin en sortant les poubelles, là, si le morceau était là, [ça devenait] « le reel du père Charest » ; c’était pour m’en rappeler. J’avais écouté ça quand lui était là. Un aut’ matin, des fois c’tait le « vidangeur », des fois « le reel à Monsieur Côté »...J’l’associais tout l’temps dans ‘a journée à ça, lui c’est ce doigt-là, pis, t’sais, pour m’les mettre [en] ordre. » (Yvon Mimeault, juin 2010)

Dans cet univers des titres de pièces où tout semble incertain et éphémère, il existe toutefois quelques cas exceptionnels de stabilité. Ainsi la pièce d’origine écossaise « Monymusk » porte toujours ce titre au Québec, bien que les façons de l’orthographier ou de le prononcer diffèrent dans les collections, sur les pochettes de disques et dans le discours des musiciens, et que les contours mélodiques et le nombre de sections des innombrables versions de cette pièce soient très variables. En raison de disques ou d’artistes très influents, quelques pièces ont maintenant aussi acquis un titre stable. Toutefois, il suffit de remonter un peu dans le temps pour s’apercevoir que d’autres titres existaient pour ces mêmes pièces. Par exemple, le « Reel du pendu », un titre universel aujourd’hui pour cette pièce iconique du répertoire, apparaît dans la collection de J.A. Boucher datant de 1933 sous le titre « La patte du mouton », tandis que « La ronfleuse Gobeil », une pièce enregistrée par le violoneux Willie Ringuette dans les années 1930 puis reprise par Jean Carignan qui l’a grandement popularisée, était jouée par le violoneux Jos Bouchard sous le nom de « Reel St-Siméon ». Sans s’appuyer sur des exemples, Ornstein (1982) avait proposé de distinguer les titres du répertoire québécois selon quatre aspects : une association abstraite avec la danse ; une association avec un genre de danse ; une association spécifique à une danse particulière ou une partie de danse particulière ; une référence personnelle ou locale. Même si la proposition d’Ornstein m’a inspiré, j’ai toutefois procédé à l’analyse des titres d’une autre façon. Dans un titre, il importe, selon moi, de distinguer deux parties. La première spécifie le genre de pièces ou de danse tandis que la seconde qualifie la première [6]

Tableau I – Catégories de genres et de qualificatifs utilisées pour analyser les titres des pièces

Genre et son associationExemples du genreQualificatif et son associationExemples de qualificatifs
Association à une danse de figure spécifique (DS) « La Cardeuse » ; « Le reel à quatre » ; « La Belle Catherine » Association à une ou des per- sonnes (PG) « ...de ma sœur » ; « ...de Joseph Couture » ; « ...de Ti-noir »
Association à une famille de danse de figure (DG) « Cotillon... » ; « 2e partie de quadrille » ; « 3e partie de set carré » Association à un lieu spécifique ou général (LS) « ...de St-Michel » ; « ...du vieux moulin » ; « ...des montagnes »
Association à une forme musicale ou à un pas de danse (TP) « Reel... » ; « Clog... » ; « Gigue... » Association à un métier ou à une autre condition d’un individu ou d’un groupe (MG) « ...du forgeron » ; « ...des accordéonistes » ; « ...de l’aveugle »
Association à une pièce spécifique ou à une famille de pièces musicales carac- téristiques (PS) « Monymusk » ; « La Disputeuse » ; « Grondeuse de... » Association à un élément de temps ou à un événement (PA) « ...du Carnaval » ; « ...de minuit » ; « ...des fêtes »
Association au titre d’une chanson (CH) « Marie, sauce ton pain » ; « Mon père était cordonnier » Association à un objet, un animal, une plante ou une partie du corps (QB) « ...des fleurs » ; « ...des écureuils » ; « ...des beaux yeux »
Aucune association de genres ou association autre que les précédentes (ND) Association à un élément de caractère, d’appartenance, à une émotion ou à une expression (QC) « ...canadien » ; « ...joyeux » ; « ...de mes amours »
Association à un élément musical (RM) « ...en ré » ; « ...du contretemps »
Aucune association ou association autre que les précédentes (AB)

Le TableauI présente les catégories de genres et de qualificatifs que j’ai utilisées dans mon analyse. Dans certains cas, une seule des deux parties du titre existe (p. ex., « clog », un genre ou « Le père Allard », un qualificatif). Dans d’autres cas, il peut y avoir plus d’un qualificatif (p. ex., « reel en ré d’André Alain »). Cependant, plus de 80‰ des titres de pièces trouvées dans les collections publiées comportent deux parties, dont un seul qualificatif. Les catégories dans la colonne genre du tableau précédent demandent plus d’explications. Dans la première catégorie (DS), il existe quelques cas plutôt rares d’une pièce spécifique associée à une danse de figure spécifique dans une ou plusieurs régions de la province. C’est le cas de « La cardeuse » collectée dans la région du Saguenay, par exemple. Si l’on peut supposer que ce fut la norme à une certaine époque, dans un contexte rural traditionnel, d’utiliser toujours une même mélodie pour une même danse, il en reste peu de traces aujourd’hui. Ainsi, la contredanse appelée « La belle Catherine » est réalisée sur des mélodies diverses, tout comme les quelques mélodies différentes qui portent ce titre sont aussi utilisées pour d’autres types de danses que cette contredanse particulière. Les danses et les mélodies sont donc souvent interchangeables. Néanmoins, les titres du deuxième genre (DG) accompagnés d’un qualificatif suggèrent qu’en certaines localités (p. ex., « 3e partie du quadrille de Portneuf ») ou pour certains musiciens (p. ex., « 2e partie du quadrille Bouchard »), certaines mélodies étaient associées à certaines danses de figures particulières.

Une des confusions possibles dans la troisième catégorie (TP) tient au fait que le mot employé peut référer à une danse aussi bien qu’à une forme musicale. Ainsi, à son origine en Écosse, si le mot reel était utilisé avant tout pour décrire un type de danse, il est depuis le début du XIXe siècle employé aussi un peu partout pour identifier une forme musicale. Au Québec, le mot reel sert de nos jours à désigner une forme musicale dans presque tous les cas, sauf celui des « reel à quatre », « reel à neuf » ou « chaîne de reel » où il désigne alors des danses de figures particulières. De la même façon, le mot gigue est d’usage ambigu [7] Il peut servir à désigner une pièce qui sert à faire giguer, c’est-à-dire à accompagner une danse de pas réalisée en solo, souvent de manière percussive (p. ex., dans les titres « gigue simple » ou « gigue double »). Il est aussi parfois utilisé comme équivalent de l’anglais « jig » qui désigne le plus souvent une forme musicale en métrique de 6/8, mais qui peut aussi désigner, comme au Québec, une pièce musicale utilisée pour faire giguer, le plus souvent en métrique de 2/4 ou de 2/2 [8]

Les genres de titres comme « quadrille » et « cotillon », utilisés avec un qualificatif ou non, peuvent également prêter parfois à confusion, pour les mêmes raisons que le mot gigue, car ils peuvent désigner tant des mélodies en 6/8 qu’en 2/4 utilisées pour les danses de figures que sont le quadrille et le cotillon. J’estime qu’en raison de ces imprécisions, les mots gigue, quadrille et cotillon sont peu utiles comme identifiant des formes musicales, ce que j’aborderai plus en détail quand je traiterai des formes musicales dans un prochain article.

Pour la quatrième catégorie de genre, celle des pièces spécifiques ou de l’association à une famille de pièces (PS), il n’y a aucune référence à la danse. Le titre devient ainsi un descripteur musical. Par exemple, la pièce souvent appelée « La disputeuse » est une pièce descriptive accompagnée ou non par un duel verbal entre un homme et une femme. Barbeau en avait fait la description dès 1920 (Barbeau 1920 : 84). Les pièces appelées « grondeuse » ou « ronfleuse » sont souvent des pièces avec une section dans un registre grave qui alterne avec une section dans un registre élevé ou des pièces qui nécessitent un accord particulier du violon. Dans ce dernier cas, il s’agit de hausser la corde grave du violon de sol à la, ce qui crée plus de résonance dans l’instrument et permet de former un accord soutenu ou sporadique pour jouer une pièce en ré majeur. La confusion est toutefois possible avec ce genre de titre aussi. Par exemple, le violoneux Jean Carignan appelait « La ronfleuse » (Bégin 1981 : 109) une pièce qui s’intitule plus couramment « gigue simple » ou « grande gigue simple », mélodie en métrique de 3/2 fortement associée à la gigue comme danse solo.

Tableau II – Nombre de pièces et pourcentage de chaque catégorie pour la partie genre des titres de pièces

Genre du titreNombre de titres dans la catégoriePourcentage du total
Type de pièces (TP) 772 65‰
Non déterminable par le titre (ND) 232 20‰
Contredanse générale (DG) 86 7‰
Pièce spécifique (PS) 58 5‰
Contredanse spécifique (DS) 31 3‰
Chanson (CH) 9 1‰

Le Tableau II présente les résultats de l’analyse des genres de titres, selon le système genre-qualificatif, compilés à partir du corpus des trente collections publiées.

Il ressort du Tableau II que les deux tiers des titres publiés font référence à une forme musicale ou à un pas de danse. Seulement 20‰ des pièces n’ont pas d’identifiant de genre dans leurs titres, tandis que les titres qui font référence à des danses de figures spécifiques ou générales ne représentent que 10‰ des titres. La catégorie des pièces spécifiques reste plutôt marginale. Le Tableau III présente les résultats de l’analyse des qualificatifs de titres, compilés à partir du même corpus.

Tableau III - Nombre de pièces et pourcentage de chaque catégorie pour la partie qualificatif des titres de pièces

Qualifiant du titreNombre de titres dans la catégoriePourcentage du total
Personne(s) spécifique(s) ou générales (PG) 381 32 ‰
Lieu spécifique ou général (LS) 246 21 ‰
Qualifiant absent (AB) 143 12 ‰
Métier ou condition (MG) 110 9 ‰
Qualifiant animal (QB) 107 9 ‰
Qualifiant caractère (QC) 104 9 ‰
Référence musicale (RM) 44 4 ‰
Période de l’année (PA) 53 4 ‰

À partir des données du Tableau III, il ressort que les qualificatifs les plus fréquents se rapportent à des personnes, soit dans environ 40‰ des cas si je combine les qualificatifs PG et MG. Viennent en second lieu les qualificatifs de lieu avec environ 20‰. Les autres catégories de qualificatifs sont beaucoup moins courantes.

L’analyse des deux constituantes des titres combinées révèle les cas les plus fréquents de titrage [9] Ainsi, les titres qui font référence à une danse de figure sont dans la moitié des cas sans qualificatifs (p. ex., « 3e partie de quadrille » plutôt que « 3e partie du quadrille de Portneuf »). Il en est de même pour les pièces spécifiques qui dans environ les trois-quarts des cas se passent de qualificatifs (p. ex., « La Grondeuse » plutôt que « La Grondeuse de Monsieur Untel »). Les titres de pièces sans précision de genre font dans le tiers des cas référence à des personnes (p. ex. « Lévy Beaulieu ») [10] Enfin, dans environ 40‰ des cas, les titres de pièces sont la combinaison d’un type de pièce (TP) avec une personne (PG) ou un lieu (LS), comme « Reel d’André Alain » ou « Galope de Baie Saint-Paul ». Cette dernière constatation s’explique aisément puisque les associations à des personnes ou à des lieux sont les plus fortes dans l’expérience humaine.

Puisque mon analyse porte sur des collections publiées, il est pertinent de soulever la question du rôle des compilateurs ou des éditeurs dans l’attribution des titres des pièces. Font-ils seulement refléter leurs sources discographiques ou leurs autres sources, ou prennent-ils des libertés à ce sujet ? Un examen de certains titres dans quelques collections fondées sur des disques suggère que les titres reflètent généralement ce qui apparaît sur les disques. Dans certains cas, un artiste a enregistré la même pièce sous des titres différents. Le compilateur n’a d’autre choix que de choisir l’un des titres ou, au mieux, d’indiquer les différents titres possibles. Quand les pièces sont transcrites en consultation avec un informateur, le même dilemme peut se présenter si le musicien dont le répertoire a été collecté utilise un titre flottant ou s’il a des problèmes de mémoire. Les cas où il n’y a aucun titre connu pour une pièce, soit parce que l’informateur n’en a pas ou que la source discographique ou d’archives n’en donne pas, posent un problème particulier. Hart et Sandell (2001) expliquent comment ils ont procédé en pareil cas :

« When we could not find any title for a tune, we made our own title, which consists of the form of the tune (reel or 6/8), followed by the key » (Hart et Sandell 2001 : 9).

Ils n’ont dans ce cas que poursuivi une pratique proposée par l’ethnomusicologue Carmelle Bégin (1978, 1981 et 1983). Une analyse faite sur un corpus de titres retrouvés sur des disques offrirait peut-être un portrait légèrement différent de celui que je viens de dresser, tout comme un examen qui porterait sur une période particulière. Ainsi, les titres associés à des évènements de l’actualité m’apparaissent très fréquents dans la discographie de la période 1920-1940. Je pense toutefois que mon analyse demeure valide dans l’ensemble.

Un autre élément qui peut être abordé à propos des titres est le fait que d’apposer un titre différent ou nouveau à une pièce existante, charge souvent celle-ci d’un contenu émotif pour un musicien ou lui permet de l’associer à des souvenirs ou à des personnes. Le titre devient alors porteur d’un discours très personnel, parfois de récits pour aller avec la pièce. C’est par exemple le cas de plusieurs pièces que jouait Louis « Pitou » Boudreault, le célèbre violoneux du Saguenay. Une autre mode plus récente, sans doute initier par l’accordéoniste Philippe Bruneau, consiste à composer une pièce en l’honneur de quelqu’un [11] et à lui donner un titre « Hommage à Untel ». Ce type de titre de pièces est encore peu fréquent dans les collections publiées mais est appeler à le devenir. En terminant, je dois souligner la tendance contemporaine observée sur les disques à attribuer un titre unique, souvent très imaginatif, pour une suite de pièces distinctes, une tendance qui s’est accentuée au cours de la dernière décennie pour des raisons de droits d’auteurs peut-être. Dans la plupart des cas, il est possible de trouver les titres spécifiques à chacune des pièces de la suite dans le livret accompagnant le disque. L’analyse des titres de suites de pièces reste cependant à faire. Elle révèlerait peut-être encore plus d’éléments touchant à l’imaginaire des musiciens traditionnels contemporains.

Références

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 Bayard, Samuel Preston. 1982. Dance to the Fiddle, March to the Fife ; Instrumental Folk Tunes in Pennsylvania. University Park, PA : Penn State University Press. 628 pages.
 Bégin, Carmelle. 1978. La musique traditionnelle pour violon : Jean Carignan. Thèse de doctorat, Université de Montréal.
 Bégin, Carmelle. 1981. La musique traditionnelle pour violon : Jean $Carignan. Ottawa : Musée national de l’homme. 146 pages.
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 Breathnach, Brendan. 1971. Folk Music and Dances of Ireland. Dublin : Mercier Press. 152 pages.
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Notes

[1Certaines pièces ont été publiées deux fois, d’autres trois fois. Dans quelques rares cas, elles se retrouvent dans quatre ou cinq collections différentes. J’ai fait l’exercice de compiler les statistiques des caractéristiques du répertoire qui vont suivre en considérant le corpus avec ou sans les répétitions de pièces d’une collection à l’autre. Comme j’ai constaté que les résultats de proportions sont presque les mêmes avec ou sans ce correctif, je ne vais présenter les résultats que sans le correctif.

[2De nombreuses pièces popularisées par des musiciens canadiens-anglais tels que Don Messer depuis les années 1940 sont entrées dans le répertoire courant de plusieurs musiciens traditionnels au Québec. Les collections publiées ne présentent généralement pas ces pièces comme représentant le répertoire québécois. Il y a donc une sélection consciente qui a été opérée par les éditeurs.

[3Mon extrapolation se calcule ainsi : une moyenne de 40 nouveaux disques par année contenant chacun 10 pièces distinctes pendant une période de 50 ans avec un taux de recoupement de 75‰ correspond à 5 000 pièces.

[4Il existe dans le répertoire du Québec une pièce qui s’appelle « La danse du barbier » ou « La danse du sauvage » qui correspond à une danse, ou plutôt à une pantomime, où le protagoniste personnifie le barbier ou le sauvage. Cette pièce/danse, qui serait un vestige de l’époque de la Nouvelle-France, constitue toutefois une exception dans le répertoire.

[5Quelques pièces ont tout de même des titres qui évoquent une qualité musicale. « La grondeuse », « La claqueuse » et « Le saut du lapin » en sont des exemples.

[6Cette façon de procéder n’est pas sans rappeler la pratique binomiale développée par le Suédois Linné au XVIIIe siècle et utilisée en langage scientifique pour la taxonomie végétale et animale, soit la distinction entre le genre et l’espèce.

[7Voir l’article de Pierre Chartrand à ce sujet intitulé Le quiproquo de la gigue au Québec. Bulletin Mnémo, octobre 2004.

[8Des collections américaines et anglaises du début du XXe siècle comme Harding’s (1905) présentent des « straight jigs » en métrique de 2/4. L’utilisation du terme « jig » en Angleterre et en Écosse était à l’occasion équivalente à celle de hornpipe ou clog dans le passé. Il est donc faux d’associer le mot jig à une métrique de 6/8 dans tous les cas, même en langue anglaise.

[9Je ne présente pas de tableau pour les résultats de cette analyse combinée étant donné le grand nombre de combinaisons de genres et de qualificatifs possibles soit 48, et le peu de ces combinaisons qui se démarquent.

[10De mon expérience en session de musique québécoise, souvent le leadeur ou quelqu’un qui veut proposer une pièce pour faire suivre celle qui est en train d’être jouée va simplement crier le qualificatif (p. ex. lieu ou personne, tels que « Saint-Jean » ou « Gilles Laprise »), la précision du genre étant en général inutile, sauf lorsqu’il y a changement de rythme.

[11M. Bruneau n’a en fait que raviver ou imiter une tradition ancienne de la musique traditionnelle de Grande-Bretagne, d’Irlande et d’ailleurs. Ainsi, les collections de musique écossaise depuis le milieu du XVIIIe siècle regorgent de titres de pièces qui rendent hommage à des mécènes ou à des amis, qu’ils soient musiciens ou non. Les « Planxty » de la musique traditionnelle irlandaise étaient des pièces composées en hommage à un mécène le plus souvent, mais aussi parfois à d’autres musiciens.



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