Ovila Légaré : un doux géant du folklore

Vol. 6, no. 4, Printemps 2002

par LESSARD Denis

Un homme imposant par la taille et par la voix. C’est la première image que nous retenons d’Ovila Légaré, (du moins ceux qui ont vécu les débuts de la radio et de la télévision). Déjà sa voix se fait entendre à la radio et sur disque depuis les années 1920. Nous le connaissons aussi dans ces grands personnages auquels il a prêté sa personne : J.B. Latour, (« La pension Velder » de Robert Choquette), Édouard Latour, (« Un simple soldat » de Marcel Dubé), César, (« Marius » de Marcel Pagnol), le Père Didace (« Le Survenant » de Germaine Guèvremont), Jérémie Martin, (« Sous le signe du lion » de Françoise Loranger). C’est donc le comédien que nous reconnaissons au premier coup d’oeil.

Mais qu’en est-il du folkloriste ? Ovila Légaré, en effet, a exercé aussi son métier dans le domaine des arts traditionnels. À la fois chanteur, conteur, « câlleur » et animateur, il a su mettre ses multiples talents au service d’un art dit « populaire ». Dans ce bref parcours de sa vie, nous pourrons voir comment Ovila Légaré, le folkloriste, s’est illustré. Il est né le 21 juillet 1901 à Montréal (Ville Émard). Baptisé Ovilus, il sera plus tard inscrit à l’école primaire sous le nom d’Ovila Légaré. Son fils Jean-Pierre affirme que le jeune garçon, peu enthousiaste de son prénom, réussit à convaincre ses proches de le changer pour Ovila [1]. Déjà on constate qu’il est soucieux de son image, une marque du comédien populaire qu’il deviendra.

Sa famille résidait alors rue Saint-Denis, dans la paroisse Saint-Édouard. Ovila fit donc ses études à l’Académie Saint-Paul, (aujourd’hui École La Mennaie), chez les Frères de l’Instruction chrétienne. Malgré son intérêt, il ne poursuivra sa scolarité que jusqu’en 8e année. Il est avant tout un autodidacte. Doué d’une grande mémoire, il préférait les compositions françaises aux dictées, selon sa cousine Évelina Legault. C’est d’ailleurs sous l’influence de cette cousine que le jeune Ovila fera montre de ses goûts pour les « déclamations » et les « séances » en public. [2]

Il a 13 ans quand sa famille (le père se retrouve encore sans travail) s’installe à Notre-Dame-du- Bon-Conseil, chez les grands-parents paternels. Ovila trouvera son premier travail lorsque la famille déménage à Drummondville. Sa mère y ouvre une maison de pension. Tous doivent mettre la main à la pâte pour tenir le coup devant une telle insécurité financière. Le jeune Ovila, fort débrouillard, se soumettra de bonne grâce à cette règle. Il faut de plus souligner qu’il est l’aîné d’une famille de treize enfants dont seuls quatre survivront. Il a donc 13 ans quand il travaille à la construction d’une usine de guerre, (nous sommes à la veille de la 1ère grande guerre). En 1922, il perd le bout du majeur gauche dans une presse alors qu’il travaille chez un typographe. Premier drame pour un jeune homme qui aime à l’occasion manier le violon, mais aussi premier grand virage dans sa carrière naissante. Après avoir suivi des cours par correspondance, on le verra à l’oeuvre comme étalagiste et concepteur d’affiches pour les magasins Steel et Larivière & Leblanc, rue Ste-Catherine. Ce gagne pain l’accompagnera durant toutes ces années de théâtre amateur jusqu’en 1935.

Parallèlement à son travail, Ovila Légaré joue au théâtre : d’abord dans un cadre paroissial (Saint-Frédéric, à Drummondville), puis à Montréal lors des activités des « cercles dramatiques », fort populaires chez les jeunes à cette époque. C’est à cette occasion qu’il sera remarqué par E.Z. Massicotte et fera son entrée dans les « Veillées du Bon vieux temps » au Monument National. Outre les comédiens, on y faisait appel à nombre d’artistes populaires, conteurs, chanteurs et musiciens pour interpréter des pièces du terroir, histoire d’agrémenter le spectacle. Folkloriste déjà en demande, Ovila y a certainement poussé quelques chansons traditionnelles même s’il n’en est pas fait mention dans les communiqués. Il joindra ensuite la troupe de Massicotte en 1927 :

« En plus de faire du théâtre amateur, je chantais, du folklore dans les soirées, dans des spectacles ; ces chansons, je les avais apprises auprès de mes parents, d’amis, de voisins. E.Z. Massicotte m’avait fait entrer dans sa troupe de folklore... [3] »

Dans la foulée de ces représentations, Ovila participe aux « Soirées de famille », toujours au Monument National. Mais il ne s’agit plus de spectacles comme aux Veillées du Bon vieux temps. On a plutôt affaire ici à de véritables pièces de théâtre interprétées par les fameux « Cercles dramatiques », tels le Cercle Lafontaine. Au sein de cette troupe, il partage des rôles avec Jeannette Deguire, celle qui allait devenir son épouse en 1925. Sa vie de famille commence.

L’année 1927 verra Ovila tenir un premier rôle au Monument National : Jos Montferrant. On lui demandera même d’y chanter en deuxième partie de spectacle. C’est le départ de sa grande carrière de comédien, mais il demeure encore profondément attaché au folklore. À la suite de ce premier succès, on lui offre d’enregistrer son premier disque. Il se rendra plus tard à New-York (1928) chez Columbia pour une série de 78 tours. On lui en proposera une deuxième, qu’il s’empresse d’accepter. La carrière du folkloriste prend son essor. On peut alors l’entendre à la radio (CKAC) à l’émission « L’heure Frontenac », commanditée par la Brasserie du même nom. Il y interprète des sketches et des chansons dans la même tradition des Veillées du Bon vieux temps. En même temps, il entreprend des tournées avec Charles Marchand, toujours sous la commandite de la Brasserie Frontenac.

« Ovila Légaré dit avoir appris du « vrai folklore » et la façon de chanter le répertoire de cet homme passionné par la chanson du terroir... La rencontre de Marchand fut déterminante pour Ovila Légaré qui, par l’entremise des émissions radiophoniques et des tournées, commença à se faire connaître et apprécier d’un public de plus en plus grand au-delà du public du Monument National [4]. » Rappelons ici que c’est durant cette période (1927-30) que l’on peut entendre les ensembles populaires Le Carillon canadien et les Troubadours de Bytown et voir se dérouler le Festival de la Chanson et des Métiers du Terroir, sous le patronage des chemins de fer Canadien Pacifique. C’est donc surtout à la radio au début des années 30 qu’Ovila Légaré met en évidence ses talents de folkloriste. Comme la plupart des artistes polyvalents de sa génération, il sera tout à la fois conteur, chanteur et animateur. En même temps, il continue d’enregistrer des disques 78 tours sur étiquette Starr et Columbia aux côtés d’artistes connues telles Juliette Béliveau et Mme Bolduc. Qui ne se souvient de sa célèbre interprétation de la chanson La Bastringue avec cette dernière ? Il enregistre ensuite sur 10 disques 33 tours, (London, Carnaval, Totem etc.) chansons et monologues dont deux en compagnie d’Alan Mills. On affirme que son plus grand succès serait une de ses compositions : « Dans le temps du Jour de l’an ». Ovila travaillera quelques années à la radio avec le folkloriste Eugène Daignault. Ces deux artistes échangèrent parfois quelques chansons en raison des nombreuses similitudes de leurs répertoires respectifs. Ce n’est qu’en 1935 qu’Ovila Légaré prend la décision d’abandonner son métier d’étalagiste et de se consacrer entièrement à sa carrière artistique. Tout en continuant ses émissions à la radio, il trouve même l’énergie et le temps de fonder sa propre troupe de théâtre. Cette dernière donnera des spectacles pendant 22 ans. La famille Légaré y sera mise à contribution à maintes reprises. Les enfants Légaré auront eux-mêmes joué sur la scène et à la radio tout en poursuivant leurs études. On est artiste à temps plein dans cette famille.

Ovila s’adonne aussi à l’écriture. Nombre de ses émissions présentent des textes de son cru. Il se permet d’écrire de même les spectacles présentés par sa troupe. C’est à cette occasion que l’on pourra entendre des productions radiophoniques telles Nazaire et Barnabé (1939-1958) et Zézette, une émission pour enfants (1951-1963). On ne compte plus les innombrable sketches, radio-romans, monologues ou pièces de théâtre qu’Ovila a écrits.

En 1946, on lui demande d’animer une émission radiophonique (CKAC). Les Diables rouges seront présentés tous les samedis soirs. Ovila doit y câller des sets. Fait plutôt étrange, si l’on considère que les veillées de danse se déroulaient habituellement en compagnie de musiciens. L’urbanisation croissante permettant de moins en moins de telles occasions, la radio venait alors suppléer à l’absence de ces derniers. Selon le témoignage de son fils, Jean- Pierre, Ovila avait appris à câller de son frère Georges [5]. De plus, sa fille, Raymonde, nous a avoué que son père, au grand désespoir de son épouse, ne dansait pas [6]. C’est dans ce contexte qu’on faisait appel à Ovila, considéré comme « expert en la matière ». Et comme tout bon autodidacte, il répondait à ces demandes. Josée Bouchard, dans sa thèse, nous livre cette réflexion :

« En fait, à travers ses textes, en tant que scripteur et comédien, ses commentaires, ses chansons et ses histoires en tant qu’animateur, Légaré créait l’intimité des veillées en famille : Légaré continua d’être un folkloriste [7]. »

Durant toute sa carrière, dans ses multiples apparitions, Ovila Légaré a montré l’image du folkloriste. C’est d’abord sous cette étiquette qu’on l’a souvent engagé. Même si plus tard à la télévision, on fera appel à ses dons de comédien, (Radio-Canada), on lui gardera toujours une place comme folkloriste (« Sous mon toit », Télémétropole).

Homme profondément honnête et entièrement voué à son art, Ovila, comme bien d’autres folkloristes, a été victime de sa méconnaissance de ses droits d’auteur. Son fils Jean- Pierre déclare tout de go : « ...s’il avait été mieux éclairé, il n’aurait pas consenti à céder ses droits sur toutes ses chansons à un étranger...il n’était pas conscient de toutes les implications qu’un tel contrat comprenait lorsqu’il a signé ces documents... [8] »

Lorsqu’il a voulu confier à une maison d’édition quelques unes de ses chansons, le « signataire-propriétaire » a fait valoir ses « droits »... Jean-Pierre Légaré dénonce cette forme de mercantilisme qui « a paralysé les initiatives qui auraient perpétué l’oeuvre d’Ovila Légaré, folkloriste pour vrai !. (9). » On reconnaît bien là toute la problématique qui a accompagné nombre d’artistes du terroir dont on a pratiquement perdu le témoignage ou les oeuvres.

Ovila Légaré, folkloriste ? Force est de constater que les preuves ne manquent pas. Notre artiste s’est produit à une époque, (1920 à 1960), où la culture populaire vivait l’arrivée des nouvelles technologies (tourne- disque, radio, télévision) mais aussi le passage tumultueux de l’urbanisation. Grand interprète de l’art populaire dans son sens le plus strict, Ovila Légaré s’inscrit dans la grande lignée des Gauthier, Marchand, Massicotte, bref de ces pionniers qui nous ont laissé en héritage cette tradition qui nous appartient encore. Mais il demeure surtout, comme l’affirme Josée Bouchard, un témoin des profondes mutations qui ont touché le Québec au XXe siècle.

Notes

[1J’ai bien connu votre père par Jean-Pierre Légaré. Ed. André Lejeune, Saint-Hilaire, 1990.

[2in Ovila Légaré : témoin de transitions culturelles au Québec par Josée Bouchard. Thèse présentée à l’Université Laval, 1983.

[3op. cit. no 2. (p. 22)

[4op. cit. no 2 (p.41)

[5op. cit. no 1 (p. 75)

[6Tiré d’une entrevue avec Mme Raymonde Légaré le 16 mai 2002

[7op. cit. no 2 (p.89)

[8op. cit. no 1 (p.72)



Infolettre

FACEBOOK