Un maître de l’ethnologie historique : Robert-Lionel Séguin

Vol. 4, no. 1, Été 1999

par LESSARD Denis

Jean-Claude Dupont le considère comme un " chercheur d’avant-garde ", qui a su " concilier les faits de culture matérielle avec des documents historiques et des éléments de la prose notariale relatifs à la culture populaire " [1]. Robert-Lionel Séguin demeure avant tout un homme passionné par la culture de la nation québécoise.

Natif de Rigaud, (l920), c’est d’abord sur son patrimoine familial et sur le site de ses propres origines qu’il porte son intérêt. Quoi de plus simple et de plus naturel, puisque cette passion pour la culture matérielle le conduira vers les domaines universels de l’ethnologie et de l’histoire. C’est d’ailleurs sous cet éclairage qu’il mène ses recherches sur le patrimoine. Tout objet devient alors porteur des innombrables événements qui parsèment la vie de l’Habitant, qu’il soit cultivateur, notable ou " homme de cage ". Ce qui l’intéresse, c’est d’abord l’histoire du peuple dans sa quotidienneté. Il n’a que faire des grands mythes véhiculés par l’Histoire " classique ", celle des héros et martyrs, celle des hauts faits de guerre ou de grandes politiques. L’ethnologue prend ici le dessus sur l’historien. C’est pour cette raison que l’on retrouve chez lui, dans son vaste domaine de Rigaud une collection de la plus grande valeur. Des ustensiles aux bâtiments de ferme, tout l’intéresse. Et il en remplit allègrement son domaine, puisqu’on y retrouve plus de 20 000 pièces de collection.

Après avoir décroché une Licence en sciences sociales, économiques et politiques (Université de Montréal) et un diplôme d’études supérieures en histoire (Université Laval), R.-L. Séguin s’empresse de faire sanctionner ses recherches par 3 doctorats (Laval, Sorbonne, Strasbourg).

Son métier de formateur, c’est à l’UQTR qu’il l’exercera. C’est dans ce cadre qu’il préside à la fondation du Centre de documentation en civilisation traditionnelle (1970). Il est alors " prêté " à l’institution universitaire par le ministère des Affaires culturelles du Québec. Il y sera par la suite engagé comme professeur régulier au Département d’histoire. Le Centre de documentation s’enrichit rapidement, malgré les contraintes budgétaires, de plus de 200 000 fiches. Un trésor qui suscite la convoitise de nombre de chercheurs et candidats à la maîtrise et au doctorat en provenance du Québec, du Canada et des États-Unis.

Écrivain intarissable, (17 volumes, plusieurs centaines d’articles et comptes-rendus dans un grand nombre de revues et journaux ) R.-L. Séguin cumule nombre de prix littéraires : du Gouverneur général à la Société St-Jean-Baptiste en passant par l’Académie française. Mais il demeure avant tout un chercheur passionné qui a fouillé minutieusement l’âme du peuple québécois pour en découvrir l’univers sans fin des croyances, us et coutumes. À cet égard, il faut absolument lire son exposé sur la Légende des guérets ou le Champ du diable.

Malgré son intérêt pour tout ce qui touche à la culture traditionnelle, on ne retrouve qu’un seul traité sur la danse signé par Séguin. Chercheur invité au CELAT (Laval), il termine une étude sur l’agriculture au Québec et s’apprête à compléter un travail important sur la danse traditionnelle dans le cadre d’un programme de recherche sous la direction de Jean-Claude Dupont. Malheureusement son décès (1982) vient mettre un terme à une oeuvre inachevée, mais non dépourvue d’intérêt [2].

Encore une fois, il fera appel à l’approche historique pour situer la danse traditionnelle dans un contexte particulier : d’abord dans le quotidien (travail, événements sociaux), dans l’interpénétration des cultures (échanges et apport des danses modernes par les médias) et surtout au sein même de l’âme de l’Habitant (fantastique, légendes etc.) Séguin se fait un devoir de faire ressortir la valeur intrinsèque du patrimoine artistique, même d’un objet aussi volatil et changeant que la danse traditionnelle. Il y met le même soin que pour un objet matériel dont la durée semble plus facilement établie. Nous lui devons surtout d’avoir cherché le véritable milieu d’évolution de la danse. Aucun chercheur ne peut maintenant procéder à sa cueillette sans tenir compte de l’apport de R.-L. Séguin, celui de la connaissance approfondie de " l’homme québécois ".

Biographie de Robert-Lionel Séguin

1920 naissance à Rigaud
1951 licence ès sciences sociales, économiques et politiques, Université de Montréal
1953 Prix de l’Association des hebdomadaires de langue française du Canada
1958 chargé d’études ethno-historiques, Musée du Québec
1960 Travaux au Musée national des arts et traditions populaires de Paris. Enquêtes ethnographiques sur le terrain en France
1960-65 chargé de recherche sur le milieu matériel québécois, Musée national du Canada
1961 doctorat ès lettres et histoire, Université Laval
1963-64 inventaire et présentation de la Collection Jean-Marie Gauvreau
1964 diplôme d’études supérieures en histoire, Université Laval
1964-66 missions de recherche en France (Conseil des arts)
1965-68 consultant à l’Office national du film
1966-67 chargé de cours d’ethnologie et de folklore matériel, Université Laval
1968 Prix du Gouverneur général
1969 Prix Broquette-Gonin (Académie française)
1969 chargé de cours en civilisation traditionnelle, Université de Montréal
1971 fondation du Centre de documentation en civilisation traditionnelle, Université du Québec à Trois-Rivières
1972 création d’un cours d’ethnologie québécoise, Université du Québec à Trois-Rivières
1972 doctorat ès lettres et sciences humaines, Université René Descartes, Sorbonne, Paris.
1973 Prix France-Québec (Paris)
1973-76 directeur de missions de recherche sur le terrain. Centre de civilisation traditionnelle, Université du Québec à Trois-Rivières
1975 Prix Duvernay. Médaille "Bene Merenti de patria", Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal
1975 fondation et direction de la Revue d’ethnologie du Québec
1976 fondation et direction des Archives d’ethnologie du Québec
1981 chercheur invité au CELAT (Centre d’études sur la langue, les arts et les traditions populaires), Faculté des Lettres, Université Laval
1981 doctorat ès lettres et ethnologie, Université des sciences humaines, Strasbourg (France)
1983 décès de Robert-Lionel Séguin

Notes

[1DUPONT, Jean-Claude, Un chercheur d’avant-garde, in La vie quotidienne au Québec, PUQ, Sillery 1983. (p.25).

[2SÉGUIN, Robert-Lionel, La danse traditionnelle au Québec, PUQ, Sillery, 1986.



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