<?xml version="1.0" encoding="utf-8"?><?xml-stylesheet title="XSL formatting" type="text/xsl" href="https://mnemo.qc.ca/spip.php?page=backend.xslt" ?> Centre Mnémo http://www.mnemo.qc.ca/ fr SPIP - www.spip.net La danse de l'ours, du barbier et de l'homme sauvage https://mnemo.qc.ca/bulletin-mnemo/article/la-danse-de-l-ours-du-barbier-et-de-l-homme-sauvage https://mnemo.qc.ca/bulletin-mnemo/article/la-danse-de-l-ours-du-barbier-et-de-l-homme-sauvage 2024-10-02T05:12:19Z text/html fr CHARTRAND Pierre <p>Remerciements <br class='autobr' /> Je voudrais remercier chaleureusement plusieurs personnes qui m'ont appuyé dans cette petite recherche : Philippe Lavalette, pour la mise en ligne de son film, à la suggestion de Catherine Gagnon, et pour notre chaleureuse rencontre autour de la réalisation de ce film ; Lisa Ornstein, pour ses références des années 1980 aux enregistrements sonores de la Danse du barbier aux Archives de folklore de l'Université Laval (AFEUL), ainsi que des références à la pratique de cette (...)</p> - <a href="https://mnemo.qc.ca/bulletin-mnemo/" rel="directory">Bulletin Mnémo</a> <div class='rss_texte'><h2 id="remerciements" class="unnumbered">Remerciements</h2> <p>Je voudrais remercier chaleureusement plusieurs personnes qui m'ont appuyé dans cette petite recherche :</p> <ul class="spip"><li> Philippe Lavalette, pour la mise en ligne de son film, à la suggestion de Catherine Gagnon, et pour notre chaleureuse rencontre autour de la réalisation de ce film ; </li></li><li> Lisa Ornstein, pour ses références des années 1980 aux enregistrements sonores de la Danse du barbier aux Archives de folklore de l'Université Laval (AFEUL), ainsi que des références à la pratique de cette danse dans le Maine (É-U) ; </li></li><li> Normand Legault, pour ses précieux renseignements sur le tournage de ce film, auquel il a participé ; </li></li><li> Jean Duval, pour ses références aux violoneux du début du 20e siècle, qui interprétaient parfois la Danse du barbier ; </li></li><li> Jean-Pierre Pichette, qui m'a transmis ses précieux souvenirs sur la pratique de cette danse à différents endroits au Québec, en Ontario francophone et en Acadie ; </li></li><li> Catherine Perrier et Marion Labau, pour leurs références musicales françaises ; </li></li><li> Celles et ceux que j'aurais pu oublier. </li></li></ul><h2 id="introduction" class="unnumbered">Introduction</h2> <p>Quantité de gigueurs et de gigueuses ont eu, à un moment ou à un autre de leur vie, à interpréter la Danse du barbier, du moins ceux ayant plusieurs décennies de pratique à leur crédit. Bien que j'aie vu exécuter la Danse du barbier dans différents contextes depuis les années 1970, ce n'est que vers 1995 que j'ai personnellement eu à l'interpréter, dans le cadre du spectacle <em>Hommage à Alfred Montmarquette</em> conçu par Gabriel Labbé.</p> <p>J'avais également dansé la Shakapoine dans les années 1970 chez Les Sortilèges. Il s'agissait d'une chorégraphie créée par Guy Thomas, pour les Feux-Follets<span class="spip_note_ref"> [<a href="#nb1" class="spip_note" rel="appendix" title="Merci à Louise Perron pour cette information." id="nh1">1</a>]</span>, présentant une chasse au caribou, sa mise à mort, son dépeçage et son retour à la vie, le tout basé sur une pratique provenant de Mashteuiatsh.<span class="spip_note_ref"> [<a href="#nb2" class="spip_note" rel="appendix" title="Communauté innue du Saguenay–Lac-Saint-Jean. À ma connaissance on n'a pas (...)" id="nh2">2</a>]</span></p> <p>Ces différentes versions d'une danse mimée, dans laquelle un animal ou un humain est mis à mort, mais pas toujours, m'ont toujours intrigué en même temps qu'incommodé puisque cela virait souvent à la grosse farce (surtout celle du barbier). Je n'ai rien contre le vaudeville, mais le jeune danseur que j'étais estimait que ce numéro dans lequel un gigueur enduisait généreusement la figure du musicien de crème à raser pendant que celui-ci jouait sans se démonter, puis que celui-là rasait le musicien avec une fausse lame, cachait quelque chose d'étrange, d'incongru, d'inexpliqué. Pourquoi était-ce une pratique relativement courante au Québec ? Pourquoi raser un musicien ?</p> <p>Puis vint, au cours des années '80, le visionnement du film de Philippe Lavalette <em>La Gigue de l'ours dansée par l'homme sauvage</em> tourné en 1979<span class="spip_note_ref"> [<a href="#nb3" class="spip_note" rel="appendix" title="C'est Normand Legault, qui avait participé au projet de tournage, qui (...)" id="nh3">3</a>]</span>. P. Lavalette travaillait à l'époque au CNRS (Paris) et était venu filmer les gens de Saint-Sylvestre sous la suggestion du cinéaste français Dominique Lajoux, qui était lui-même en contact avec l'ethnologue Jean-Claude Dupont (Université Laval, Québec). Normand Legault servit d'éclaireur à P. Lavalette en allant faire une première rencontre avec la famille Ferland.</p> <p>Ce superbe film fut disponible sur le site du CNRS pendant quelques années<span class="spip_note_ref"> [<a href="#nb4" class="spip_note" rel="appendix" title="Centre national de recherche scientifique, en France." id="nh4">4</a>]</span>, mais disparut ensuite de leur site. Heureusement, Philippe Lavalette, ayant pris connaissance de mon intérêt pour le sujet, <a href="https://vimeo.com/616249332">l'a récemment mis en ligne</a><span class="spip_note_ref"> [<a href="#nb5" class="spip_note" rel="appendix" title="Film de Philippe Lavalette, chez la famille Ferland de Saint-Sylvestre. (...)" id="nh5">5</a>]</span>. Je vous suggère fortement d'aller le visionner avant de poursuivre la lecture de ce texte. Celui-ci ne vous en paraîtra que plus clair.</p> <h2 id="description-de-la-danse" class="unnumbered">Description de la danse</h2><div class='spip_document_530 spip_document spip_documents spip_document_image spip_documents_center spip_document_center spip_document_avec_legende' data-legende-len="87" data-legende-lenx="xx" > <figure class="spip_doc_inner"> <a href='https://mnemo.qc.ca/IMG/png/gigue-sauvage-barbier-lavalette-crop.png' class="spip_doc_lien mediabox" type="image/png"> <img src='https://mnemo.qc.ca/local/cache-vignettes/L500xH420/gigue-sauvage-barbier-lavalette-crop-bee24.png?1729540283' width='500' height='420' alt='' /></a> <figcaption class='spip_doc_legende'> <div class='spip_doc_descriptif '>La danse de l'ours et de l'homme sauvage chez les Ferland. Photo : Philippe Lavalette </div> </figcaption></figure> </div> <p>Ce film fut tourné le 18 mars 1979, à Saint-Sylvestre (Région de Chaudière-Appalaches, comté de Lotbinière), située à une soixantaine de kilomètres au sud de la ville de Québec. On y voit une version des plus complètes de cette tradition québécoise, puisqu'elle intègre tous les moments essentiels de cette danse mimée.</p> <p>Les deux protagonistes du film (le Chasseur et l'Ours ) ne sont pas clairement identifiés. Sans doute sont-ils de la famille Ferland, mais nous ne pouvons le certifier pour le moment. On les appellera donc le Chasseur et l'Ours dans le cadre de cet article.</p> <p>Mentionnons que cette danse ainsi que la mélodie qui s'y rattache sont parfois appelées <em>La Danse du sauvage</em>. Le Chasseur nomme d'ailleurs cette danse <em>La Gigue de l'ours dansée par un sauvage</em> (et non <em>par l'homme sauvage</em> comme l'indique le titre officiel du film).</p> <h3>Avertissement</h3> <p>Cela est bien sûr fort délicat envers les membres des communautés autochtones et nous ne voudrions surtout pas les blesser par cette appellation d'une autre époque. À la décharge de M. Ferland et d'autres exécutants de cette danse, il est rarement fait mention de la participation d'un Autochtone au scénario, et tout semblerait indiquer que le nom d'<em>homme sauvage</em> de la tradition française ait perdu son premier terme de ce côté-ci de l'océan. Nous verrons plus bas en quoi l'adjectif <em>sauvage</em> fait référence dans la longue tradition européenne vieille de plusieurs siècles. Nous ne voudrions surtout pas heurter l'honneur des communautés autochtones de chez nous.</p> <h3 id="les-5-moments-de-cette-danse-mimée" class="unnumbered">Les 5 moments de cette danse mimée</h3> <p>Cette danse, telle que présentée dans le film de P. Lavalette, fait intervenir 2 danseurs et comporte 5 séquences importantes :</p> <ol class="spip"><li> La chasse : il peut s'agir d'une chasse à l'ours, au caribou, ou autre animal. Un danseur figure le chasseur, l'autre la bête. Généralement les deux miment une poursuite, en dansant en cercle, et, après un tir ou deux, l'animal s'effondre ;</p</li><li> Le dépeçage : une fois abattu, l'animal est dépecé. On utilise parfois des pièces de tissus rouges pour simuler les entrailles de l'animal. Dans le film de Lavalette on a même la présence de deux jeunes garçons qui simulent les chiens de chasse se repaissant des abats de l'animal ;</li><li> La résurrection : l'animal revient à la vie selon différents scénarios. Le souffle dans le postérieur est assez fréquent et tire ses origines de fort loin, comme on le verra plus bas. Parfois le danseur se relève tout simplement pour se mettre à danser avec l'autre exécutant, sautant ainsi la séquence du rasage ;</li><li> Le rasage : cette séquence peut suivre la résurrection de l'animal, comme on l'observe dans le film de Lavalette, ou peut au contraire constituer le début de la danse, comme c'est le cas dans la Danse du barbier, dans laquelle il n'y a pas de chasse, mais tout de même mise à mort du rasé, et résurrection de celui-ci ;</li><li> La danse finale : le tout se termine souvent par une gigue finale entre les 2 danseurs, sauf si le rasé est le musicien bien sûr.</li></ol> <p>Rares sont les versions collectées au Québec ou en Amérique francophone qui comportent les 5 moments clés de cette tradition. La fameuse <em>Danse du barbier</em> en est la preuve : on n'y voit plus l'animal, le rasé est parfois égorgé, mais pas toujours, et dans ce cas il ressuscite bien sûr.</p> <p>La version filmée par P. Lavalette chez les Ferland est donc exemplaire puisqu'elle comporte les 5 moments décrits ci-dessus.</p> <h2 id="une-vieille-tradition-européenne" class="unnumbered">Une vieille tradition européenne</h2> <p>D'où nous vient cette tradition de la danse de l'ours et de l'homme sauvage, et celle de la Danse du barbier ? Tentons de dresser une liste, bien sûr non exhaustive, de pratiques similaires sur le continent européen, surtout en France.</p> <h3 id="sud-de-la-france" class="unnumbered">Sud de la France</h3> <p>Commençons par le Sud de la France puisque la séquence française du film de Lavalette (à 12m20s.) provient de Bigorre, dans les Pyrénées orientales, en Occitanie.</p> <div class='spip_document_531 spip_document spip_documents spip_document_image spip_documents_center spip_document_center spip_document_avec_legende' data-legende-len="185" data-legende-lenx="xxx" > <figure class="spip_doc_inner"> <a href='https://mnemo.qc.ca/IMG/jpg/barbiers-prats-2.jpg' class="spip_doc_lien mediabox" type="image/jpeg"> <img src='https://mnemo.qc.ca/local/cache-vignettes/L500xH343/barbiers-prats-2-35a91.jpg?1729540276' width='500' height='343' alt='' /></a> <figcaption class='spip_doc_legende'> <div class='spip_doc_descriptif '>À Prats-de-Mollo-la-Preste : les Barbiers (ou les Blancs) attrapent l'Ours, tandis qu'on approche<br class='autobr' /> une chaise pour procéder au rasage de celui-ci. Photo : Laia Deler, 25 février 2019. </div> </figcaption></figure> </div><blockquote> <p><em>La sortie de l'ours en Bigorre, Hautes-Pyrénées, 1975. Une troupe de masques va de maison en maison, présenter un ours savant conduit par un oursaire. Lors de la représentation, l'ours est tué par méprise. Le médecin de la troupe ne saura ramener l'animal à la vie, mais l'oursaire réussira dans cette entreprise en utilisant son grand bâton comme un chalumeau pour souffler au cul de l'ours mort et le ramener à la vie.</em><br /> Lajoux, Jean-Dominique <em>L'Homme et l'ours</em>, p.91</p> </blockquote> <p>Des fêtes de l'ours se retrouvent également dans les Pyrénées orientales, dans le Haut-Vallespir. On l'observe dans 3 villages : à Prats-de-Mollo-la-Preste, à Arles-sur-Tech ainsi qu'à Saint-Laurent-de-Cerdans. L'UNESCO a par ailleurs inscrit ces trois fêtes de l'ours au patrimoine mondial le 19 janvier 2015. Dominique Lajoux, qui, rappelons-le, a incité Philippe Lavalette à venir au Québec en 1979, avait déjà tourné un film sur la Fête de l'ours à Prats-de-Mollo-la-Preste (en deux tournages successifs : le 7 février 1970 et le 16 février 1974). Ce film est disponible sur le site du CNRS : <a href="https://images.cnrs.fr/video/409"><em>L'Ours ou l'homme sauvage</em></a>.</p> <p>Il y a 2 ours dans le film de Lajoux. Il y a également plusieurs ours dans les villages du Haut-Vallespir. Ces quatre villages font tous intervenir des ours et des barbiers, souvent désignés comme les Noirs et les Blancs :</p> <blockquote> <p><em>La lutte des blancs contre les noirs est inégale, les hommes sauvages / ours succombent sous le nombre. Ours, ils personnifiaient l'hiver, rasés et dépouillés de leur pelage, ils symbolisent le printemps... Alors la liesse populaire se déchaine...</em><br /> (texte du film <span>L'Ours ou l'homme sauvage</span> de D.Lajoux ).</p> </blockquote> <p>À Prats-de-Mollo-la-Preste, les chasseurs poursuivent longuement les ours dans le village. Ceux-ci ne seront pas abattus, mais plutôt attrapés, enchaînés, pour finalement être rasés, afin de les rendre à la civilisation. On n'utilise pas le souffle dans le derrière de l'animal pour le rendre à la vie, puisqu'il n'est pas mort. Le tout se termine par un genre de grande farandole dans le village où tout le monde exprime sa liesse au son de l'orchestre.</p> <h3 id="ailleurs-en-europe" class="unnumbered">Ailleurs en Europe</h3> <p>Les mythes, légendes, et diverses pratiques culturelles liés à l'ours sont foison dans l'hémisphère Nord. Des Pyrénées à l'Italie et de la Scandinavie à la Sibérie, on retrouve, ou retrouvait, quantité de festivités ou rituels liés à l'ours :</p> <blockquote> <p><em>En effet, dans toute la mythologie de l'ours, l'élan, le renne, le cerf ou le caribou chez les Indiens sont, avec le morse chez les Esquimaux, toujours associés à l'ours quand ce n'est la chèvre dans les mascarades. Si la Grande Ourse est le Grand Élan des Ostyaks</em> <span>[</span>NDLR : tribu de Sibérie<span>]</span>, <em>dans leurs chants, l'ours peut, entre autres innombrables noms, être appelé élan car il faut le noter, il n'est probablement aucun autre animal qui puisse prétendre à autant d'égards oratoires que l'ours de part des hommes et cela certainement depuis les temps les plus reculés. En fait l'ours n'a pas de nom.</em><br /> <em>L'homme et l'ours</em>, LAJOUX, Jean-Dominique, 1996, Éditions Glénat, Grenoble (France)</p> </blockquote> <p>Le livre de D. Lajoux constitue une très bonne introduction pour connaître la place de l'ours dans la culture occidentale.</p> <p>Dans le Kavela<span class="spip_note_ref"> [<a href="#nb6" class="spip_note" rel="appendix" title="Fameuse épopée finnoise composée au 19e siècle, par Elias Lönnrot, qui est (...)" id="nh6">6</a>]</span> on trouve le chant de l'ours, composé de 600 vers, dans lequel on ne nomme jamais l'ours par son nom, mais plutôt par quantité de surnoms, quolibets, périphrases... par exemple : <em>bel enroulé, ô mon or, ô mon bien aimé, ô bas noir, ô habit de fourrure, L'Homme, le brave garçon, etc.</em></p> <p>Jean-Michel Guilcher<span class="spip_note_ref"> [<a href="#nb7" class="spip_note" rel="appendix" title="La Tradition de danse en Béarn et Pays basque français, Jean-Michel (...)" id="nh7">7</a>]</span> dans son texte sur la mascarade souletine (Pays basque) mentionne <em>Le jeu du berger et de l'ours</em> (p.646), où l'ours est mis à mort et dépecé, sans ressusciter cependant. Sa description provient d'un texte de M. J.-P. Morot-Monomy qui l'aurait observé dans une mascarade de 1898.</p> <p>Dans la même mascarade souletine, Guilcher décrit aussi <em>Le jeu du coiffeur</em> :<br /></p> <blockquote> <p><em>Le coiffeur venait raser le patron rémouleur. Il l'installait sur une chaise, lui nouait une serviette autour du cou, le savonnait, s'armait d'un rasoir de bois... et tranchait malencontreusement la gorge de son client. Aux appels du domestique le médecin accourait une fois de plus. Après divers essais infructueux, il rendait la vie au défunt en lui glissant un papier enflammé dans le gilet ou la braguette.</em> On verra plus loin comment cela ressemble grandement à notre danse du barbier.</p> </blockquote> <p>La <em>Bizar dantza</em> basque est encore plus semblable à notre Danse du barbier (Guilcher, p.398). Sa description provient d'un informateur qui l'aurait vue vers 1913 à Arbonne. Dans cette version, le rasé revient à la vie graĉe au soufflet qu'applique le barbier sur son postérieur. Comme le font les Ferland dans le film de Lavalette (sans soufflet cependant).</p> <p>L'article d'Anton Serdeczny, <em>Le bec de la cigogne : déchiffrement de l'héritage d'un mythe</em><span class="spip_note_ref"> [<a href="#nb8" class="spip_note" rel="appendix" title="Études rurales , juillet-décembre 2011, No. 188, Archéogéographie et (...)" id="nh8">8</a>]</span> nous montre l'étendue de la danse du barbier sur tout le continent européen :</p> <blockquote> <p><em>La danse du barbier, répandue dans toute l'Europe, illustre parfaitement cela : par maladresse, le barbier tue son client, puis il le ressuscite en lui soufflant dans le derrière avec un bâton creux, un soufflet ou un instrument apparenté. On retrouve cette danse en Pologne, en Souabe, au Pays basque et en Alsace</em><span class="spip_note_ref"> [<a href="#nb9" class="spip_note" rel="appendix" title="Serdeczny donne ces références : pour la Souabe, voir E.H. Meier, Deutsche (...)" id="nh9">9</a>]</span></p> </blockquote> <p>Parlant de la description alsacienne, Serdeczny ajoute : <em>pour des raisons qui m'échappent <span>[</span>l'auteur<span>]</span> affirme que la danse, de sérieuse qu'elle était autrefois, n'est plus qu'une « pantomime humoristique »</em>. On verra plus bas que le Québec a plus ou moins suivi un chemin similaire vers le jeu humoristique.</p> <p>Serdeczny mentionne également que la Danse du barbier se fait lors des mariages en Pologne et en Alsace, tandis qu'en Souabe et au Pays basque, on l'exécute plutôt lors du carnaval.</p> <p>Nous n'avons pas trouvé d'équivalent sérieux en ce qui concerne les Îles britanniques. Les <em>Mummers' plays</em> s'y apparentent de loin, mais de trop loin en fait. Y interviennent Saint-Georges et le dragon et d'autres personnages, historiques ou non. Il n'y a pas nécessairement de mise à mort, jamais de rasage. Cela ressemble plus à la Mi-Carême, bien que les Mummers se déploient plutôt un peu avant Noël.</p> <h3 id="le-soufflet-le-pet-et-les-soufflaculs" class="unnumbered">Le soufflet, le pet et les soufflaculs</h3> <p>Soulignons que le souffle au derrière, avec ou sans soufflet est assez fréquent. Depuis longtemps on associe l'âme au pet et c'est en soufflant dans le derrière d'un humain ou d'un animal qu'on peut lui redonner vie. Ou vice versa : <em>la pratique du souffle-à-cul consiste à inverser le circuit interne du souffle et de l'âme dans notre corps, de haut en bas et de bas en haut, afin d'expulser les mauvais esprits<span class="spip_note_ref"> [<a href="#nb10" class="spip_note" rel="appendix" title="Consultez Wikipédia" id="nh10">10</a>]</span>.</em></p> <p>Normand Legault m'a transmis une version fort intéressante d'<a href="https://www.youtube.com/watch?app=desktop&v=kB2hkVwsThg">une version basque utilisant le soufflet.</a></p> <p>On remarquera qu'à Saint-Sylvestre l'ours se fait raser face au postérieur d'une personne présente. Notre Chasseur les appelle <em>les miroirs</em>.</p> <h2 id="en-amérique-du-nord" class="unnumbered">En Amérique du Nord</h2> <p>Les différentes attestations que nous avons d'une danse de l'ours, du barbier, du sauvage, du caribou... concernent toutes la francophonie du Nord-Est de l'Amérique.</p> <h3 id="versions-anciennes-fin-19e---début-20e" class="unnumbered">Versions anciennes (fin 19e - début 20e)</h3> <p>Joseph Rousselle, de Saint-Denis-de-Kamouraska a observé la danse du barbier <strong>vers 1888</strong>, et E.Z. Massicotte a ainsi transcrit la description de Rouselle dans <em>Bulletin de recherches historiques, No XXXIX</em>, 3 mars 1928, pp.184-185 :</p> <blockquote> <p><em>Pendant que le client, serviette au cou, se tient immobile sur une chaise ou un banc et que le violoneux « zigonne » consciencieusement sa musique, le barbier va, vient, virevolte sur un pied, sur l'autre, autour du rasé, imitant sans perdre un pas, tous les mouvements d'un professionnel à l'œuvre. Il ne faut pas d'arrêt, c'est une condition formelle, ce qui signifie que pour réussir cette saynète agitée, il faut un danseur agile, doué d'une endurance remarquable.</em></p> <p><em>L'opération terminée, le barbier constate que son client est sans connaissance. Affolé, le raseur prend le rasé dans ses bras et s'efforce de le planter debout. Pour sûr, il ne peut être frappé que d'une syncope. Mais non, l'inerte masse croule par terre.</em></p> <p><em>Dansant toujours, le barbier réfléchit : son client est mort ; on l'accusera d'être la cause de son trépas ; donc il faut ensevelir le défunt et le faire disparaître. Mais l'être inanimé gît sur le dos, les bras écartés. Pour le rouler dans un linceul, il faut lui rapprocher les bras du corps. Aussitôt pensé aussitôt fait. Hélas ! ce geste a pour résultat de faire écarter les jambes. Autre embarras ! Puis lorsque le barbier ramène les jambes l'une près de l'autre, les bras s'étendent en croix. Le barbier est au désespoir. Finalement, par un moyen qui varie, suivant que l'on joue devant des bûcherons ou dans une veillée famille et aussi, suivant l'inspiration comique du pseudo-barbier, le rasé recouvre ses sens et la scène se termine par une gigue double de vive allure.</em></p> </blockquote> <p>Rousselle/Massicotte ne nous informent point du moyen pris pour ramener le pauvre rasé à la vie, sinon qu'il varie selon le type de public (bûcherons ou veillée de famille). Les bûcherons seraient-il moins réfractaires au souffle dans le derrière que les familles ?</p> <p>Massicotte a aussi vu un numéro semblable à Montréal dix ans plus tôt : <strong>en 1878</strong>, nous avons vu jouer par des clowns canadiens français, au vélodrome de Sainte-Cunégonde, alors sis à l'angle des rues William et Napoléon (aujourd'hui Sainte-Cunégonde et Charlevoix) une bouffonnerie, non dansée, mais presque identique quant au fond*. Notre auteur a par ailleurs programmé une danse du barbier, interprétée par Eugène Bourgeois (Île Jésus), Paul Curodeau (Rivière-au-Renard) et par Salomon Samson (Anse-au-Griffon), au Monument-National (Montréal) lors de <em>La Veillée de la Sainte-Catherine</em> du 2 décembre <strong>1920</strong>. Il semble que ce numéro ait été très apprécié selon Massicotte : <em>Le grand succès folkloriste de la soirée fut <span>[</span>...<span>]</span> quand MM. Eugène Bourgeois (le raseur), Paul Curadeau (le rasé), Salomon Samson (le racleur) interprétèrent « la pantomime du barbier ». Ce fut un véritable triomphe de cette danse mimée. On a surtout admiré M. Bourgeois qui a dansé cette pantomime avec un entrain extraordinaire »</em>.</p> <p>Dans le même <em>Bulletin de recherches historiques</em>, E.-Z. Massicotte rapporte une description de la danse du sauvage selon Salomon Samson :</p> <blockquote> <p><em>La danse mimée du "blanc et du sauvage, qui doit remonter au temps héroïque de la Nouvelle-France, avait encore de la vogue il n'y a pas plus de trente ou quarante ans, dans la Gaspésie à ce que nous a assuré Salomon Samson, violoneux de l'Anse-au -Griffon. Voici en quoi elle consiste : Un Peau rouge et un Visage pâle se rencontrent inopinément. Duel. Le blanc paraît succomber et l'Indien va le scalper, mais à ce moment le blanc renaît, les ennemis deviennent amis et ils dansent."</em> (Encore toutes nos excuses pour nos amis autochtones qui pourraient, avec raison, se sentir offusqués par le vocabulaire utilisé ci-dessus. Autres temps, autres mœurs.)</p> </blockquote> <p>Cette danse apparentée à celle du barbier semble être une adaptation nord-américaine de la version européenne, où l'<em>homme sauvage</em> devient simplement le <em>sauvage</em>. Comme on le verra dans les versions regroupées ci-dessous, cela ne semble pas être si fréquent.</p> <h3 id="versions-plus-récentes" class="unnumbered">Versions plus récentes </h3> <p>Jean-Pierre Pichette m'a aimablement raconté certains souvenirs de jeunesse lorsqu'il était étudiant en ethnologie à l'Université Laval. C'est ainsi que <strong>vers 1968</strong>, à Saint-Frédéric-de-Beauce, il put observer une danse du barbier dans laquelle celui-ci égorgeait son client, qui reposait sur une table tandis que <em>le barbier faisait sortir du corps éventré toute une ribambelle d'objets, de guenilles, de rubans, des choses inattendues <span>[</span>...<span>]</span> et à la fin, le client se relevait et giguait avec le barbier.</em></p> <p>J.P. Pichette m'a aussi décrit une pratique similaire à Sudbury, observée vers <strong>1989</strong> :<br /></p> <blockquote> <p><em>C'était la danse du barbier : les deux gigueurs, après avoir dansé face à face, prenaient leur rôle, le barbier debout avec son rasoir (une règle de douze pouces) et le client assis sur une chaise. Le barbier, en taillant la barbe, en vient à couper, accidentellement, semble-t-il, la gorge du client qui tombe au sol, ventre contre terre. Le barbier, tout en giguant, dépose un mouchoir sur le postérieur du mort et entreprend de lui souffler au cul à plusieurs reprises. Le client réagit peu à peu à chaque souffle en bougeant les bras, puis les jambes, etc. jusqu'à se relever complètement et, revenu à la vie, giguer avec le barbier en finale.</em></p> </blockquote> <p>On voit donc la mort, le souffle au derrière, la résurrection et la danse à deux comme dans de multiples versions de la danse du barbier.</p> <h3 id="dans-le-maine-é-u" class="unnumbered">Dans le Maine (É-U)</h3> <p>Lisa Ornstein m'a aussi transmis la description de deux versions liées aux francophones du Maine. On sait que cet état comporte une grande part d'Acadiens parmi sa population.<br /> L. Ornstein a fait une entrevue avec Louis et Ethel Pelletier le 15 février 1994. Celle-ci avait vu la danse <em><strong>Skin the moose</strong></em> dans un gala de l'école secondaire du coin. La danse mettait en scène deux danseurs, le chasseur et l'orignal, celui-ci portant un manteau de fourrure symbolisant la peau de la bête, qu'on lui enlèvera un moment donné. On n'a cependant pas tous les détails de la danse. Denis Pelletier, oncle de Louis, dansait <em>Skin the moose</em> avec le même scénario et la même mélodie.</p> <p>En 1995, Margaret (Peggy) Yocom, a fait une entrevue avec Alden Grant, qui travailla dans des camps de bûcherons dans l'ouest du Maine dans les années 1910-1920. Celui-ci raconte que les canadiens-français du chantier dansaient <em><strong>Skin the caribou</strong></em> ainsi qu'une autre danse de fauchage<span class="spip_note_ref"> [<a href="#nb11" class="spip_note" rel="appendix" title="Serait-ce lié à notre danse du batteux ?" id="nh11">11</a>]</span>.</p> <p>Grant décrit ainsi la danse : 2 hommes dansent, un en chasseur, avec deux bâtons, et l'autre en caribou. Ils tournent un alentour de l'autre. Le chasseur utilise ses 2 bâtons comme un couteau et un fusil à aiguiser. Il ne tue pas le caribou, mais celui-ci finit par tomber par terre (comment et pourquoi ? on ne le sait guère). Quand le chasseur passe près de la tête du caribou, il saute et crie. Le caribou au sol a des guenilles rouges dans ses vêtements. Le chasseur simule le dépeçage de la bête et retire les guenilles rouges de ses vêtements. Ça dure environ 10 minutes.<br /> Il y a une chanson associée à la mélodie : <em>Old man St-John</em>, avec des paroles qui décrivent la chasse.</p> <p>Comme on le voit, ces différentes versions nord-américaines vont du barbier égorgeant son client (Massicotte, Pichette) à la chasse complète d'un animal et à sa résurrection (Ornstein, Grant) bien qu'on n'ait pas tous les détails sur ces versions du Maine. Cela démontre tout de même l'étendue de cette danse du barbier/caribou/orignal dans le Nord-Est du continent, et vraisemblablement liée, exclusivement ou non, aux francophones.</p> <h2 id="la-musique" class="unnumbered">La musique</h2> <p>La question de la mélodie utilisée pour cette danse est fort complexe. Nous ne connaissons pas toutes les mélodies apparentées à cette danse mimée. Il n'en demeure pas moins qu'une ligne mélodique plus ou moins précise, souvent nommée <em>Danse du sauvage</em> s'avère fort répandue. Cet air correspond en gros à celui joué par Georges Ferland, dans le film de Lavalette. Lisa Ornstein avait noté dans les années '80 quelques références sonores conservées aux Archives de folklore et d'ethnologie de l'université Laval (AFEUL) que vous pouvez maintenant écouter sur notre nuage. Un grand merci aux AFEUL et à Lisa Ornstein ! <a href="https://u.pcloud.link/publink/show?code=kZpoqXVZCtJ6plz7rwpbQ5DvBDP4gRB0HRly">Tous les fichiers sonores sont disponibles pour écoute en ligne ici</a> (le nom du ficher en ligne correspond au nom donné entre crochets / <em>bracket</em> dans la liste ci-dessous) :</p> <ul><ul class="spip"><li> Collecté par Catherine Jolicoeur : no. 1119. <em>Danse Sauvage</em>, Îles-de-la-Madeleine. Apparenté à la version de Georges Ferland. On ne sait qui parle, mais ça pourrait être Avila Leblanc, d'après les enregistrements précédents et suivants. Celui-ci dit (approximativement) : <em>Je ne l'ai pas vu dansé [la Danse du barbier], mais j'en ai tellement entendu parler</em> plus loin il dit : <em>la danse du barbier est une comédie aussi</em>. <span>[</span>2-Jolicoeur-1119-danse-sauvage<span>]</span> </li></li><li> Collecté par Madeleine Doyon-Ferland : no. 44, <em>La Gigue de la sauvagesse</em>, harmonica. Apparenté à la version de Georges Ferland. Par Philippe Cloutier, 35 ans, de Saint-Victor, en octobre 1956. <span>[</span>4-M-D-Ferland-gigue-sauvage<span>]</span> </li></li><li> Collecté par Christine Lebel, no. 11, <em>La Gigue du sauvage</em>, Bas-Saint-Laurent. Apparenté à la version de Georges Ferland. Joué par Antoine Boucher, à 58 ans, le 6 avril 1974. <span>[</span>Christiane-Lebel-gigue-sauvage-11<span>]</span> </li></li><li> Collecté par Christine Lebel (23 ans) et Joseph Dionne (57 ans, musicien), no. 35, <em>Le p'tit bonhomme</em> ou <em>Gigue du sauvage</em>, À Saint-Pacôme, Bas-Saint-Laurent. le 20 avril 1974. <span>[</span>Christiane-Lebel-sauvage-no35<span>]</span> </li></li><li> Collecté par Jean-Claude Dupont : no. 144. <em>Danse du sauvage</em> ou <em>Danse du barbier</em>. Apparenté à la version de Georges Ferland. Harmonica par Alfred Pomerleau, 62 ans. Saint-Sévérin (Beauce), probablement en 1963 (piste non décrite, mais la précédente et suivante sont de cette année). <span>[</span>JC-Dupond-danse-sauvage-144<span>]</span> </li></li><li> Collecté par Jean-Claude Dupont : no. 221, <em>Reel du sauvage</em>, harmonica. Apparenté à la version de Georges Ferland. À Saint-Sévérin (Beauce). Dupont a noté les chansons piste 219 puis 222, mais pas la 221. Serait-ce joué par Amédée Binet 47 ans, en juin 1964 ? Possible en considérant l'identification des pistes précédentes et suivantes. <span>[</span>JC-Dupond-Reel-sauvage-221<span>]</span> </li></li></ul> <p>On ne peut passer sous silence l'analyse qu'a fait Marc Gagné de cette mélodie à la page 72 de <a href="https://books.google.ca/books?id=3ZilkXwqAskC&pg=PA72&lpg=PA72&dq=Georges+Ferland+violoneux&source=bl&ots=ZGFZYwerCv&sig=ACfU3U2BEKhT38wThFwo__woAmTmeEqPOg&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwi1zIKUmbX2AhUNmuAKHaaDCvsQ6AF6BAgtEAM#v=onepage&q&f=true"><em>Chantons la chanson</em></a>.</p> <p>Cette mélodie n'a pas un contour qui l'associerait aux Îles britanniques, mais semble plutôt d'origine française. Plusieurs pistes ont été explorées pour essayer de trouver des liens possibles avec le répertoire français.</p> <p>Mentionnons tout d'abord la chanson bien connue <em>C'est dans le mois de mai...Que les fleurs volent au vent</em><span class="spip_note_ref"> [<a href="#nb12" class="spip_note" rel="appendix" title="Vous pouvez écouter cette chanson interprétée par le groupe Hommage aux (...)" id="nh12">12</a>]</span> qui a une partie A très semblable à la partie B de la version de la <em>Danse du sauvage</em> de M. Ferland (et des multiples versions ci-dessus).</p> <p>Catherine Perrier (Angers, France) associe la mélodie de la danse du sauvage à une chanson de grand'danse du marais nord-vendéen, intitulée <em>Les gants à porter trois fois l'an</em><span class="spip_note_ref"> [<a href="#nb13" class="spip_note" rel="appendix" title="Titre du Catalogue Laforte : Les gants (N-28) et chez Coirault Les gants à (...)" id="nh13">13</a>]</span> ainsi qu'à un air collecté par Jérôme Bujeaud au 19e siècle<span class="spip_note_ref"> [<a href="#nb14" class="spip_note" rel="appendix" title="Chants et chansons populaires des provinces de l'Ouest : Poitou, (...)" id="nh14">14</a>]</span>.</p> <p>Marion Labau, également française, a effectué une recherche fort intéressante sur les airs d'Avant-deux en Poitou-Charentes et autres régions limitrophes. Mme Labau associe certains airs d'Avant-deux à notre mélodie de la <em>Danse du sauvage</em> (version Ferland). Vous pouvez <a href="https://u.pcloud.link/publink/show?code=XZO9rXVZX8cPX4MGAcjavTHHVVVW88JQqSXX">écouter une version ici.</a><span class="spip_note_ref"> [<a href="#nb15" class="spip_note" rel="appendix" title="Cote CERDO : 003614_03. Titre : Avant-deux avec annonces joué au violon (...)" id="nh15">15</a>]</span></p> <h3 id="ressemblance-et-provenance" class="unnumbered">Ressemblance et provenance</h3> <p>Il faut toujours prendre garde à ne pas confondre ressemblance et provenance. Toutes ces mélodies sont fort simples, d'un même type mélodique. Elles ont indéniablement un air de famille, mais de là a en déduire une provenance il y a un grand pas à faire. Voilà au moins quelques pistes qui pourront être explorées par des recherches ethnomusicologiques plus approfondies.</p> <h2 id="conclusion" class="unnumbered">Conclusion</h2> <p>Cette danse mimée est somme toute un des rares reliquats de pratiques païennes dans la culture populaire québécoise, surtout en ce qui concerne la danse. Cela dit, il ne faut pas prêter de fausses intentions aux interprètes de Saint-Sylvestre. Ils ne sont pas en train de rejouer un vieux mythe médiéval dont ils seraient, sans le savoir, les innocents porteurs. C'est plutôt l'évolution qu'a subie cette danse qui est fascinante. Elle était associée, voilà un demi-millénaire, au retour du printemps, au grand cycle des saisons, puis, lentement, selon les pays et les régions, elle devint souvent l'occasion d'un jeu théâtral et musical bien réglé, connu et accepté de tous. Plusieurs versions n'ont gardé que le rasage (Danse du barbier), d'autres, à l'inverse, ont fauché le barbier et le rasé pour ne conserver que la chasse (<em>Skin the caribou</em> par exemple), mais toutes, à notre connaissance, procèdent à une mise à mort et à la résurrection du défunt. C'est toujours le même drame, celui de la vie et de la mort, interprété de façon parfois sérieuse, d'autre fois de manière loufoque ou vaudevillesque.</p> <p>M. Georges Ferland joue de son violon, tandis que le Chasseur et l'Ours interprètent leurs rôles respectifs, bien décrits par celui-là, avec le nombre de tours à faire et de coups de feu à tirer, selon un scénario bien établi, tandis que les enfants du musicien font les chiens affamés lors du dépeçage. Ce sont trois générations qui se retrouvent dans ce jeu venu de loin, de très loin, dans le temps et dans l'espace, et cependant réactualisé dans le Lotbinière du 20<sup>e</sup> siècle finissant. Est-ce une leçon de civilisation ? À tout le moins un exemple inspirant d'un partage intergénérationnel d'un jeu musical et dansé.</p> <p>Plus chaleureux que le savoir, plus tendres que le talent, le jeu et le rire du Chasseur nous plongent dans une culture qui nous semble fort lointaine.</p></div> <hr /> <div class='rss_notes'><div id="nb1"> <p><span class="spip_note_ref">[<a href="#nh1" class="spip_note" title="Notes 1" rev="appendix">1</a>] </span>Merci à Louise Perron pour cette information.</p> </div><div id="nb2"> <p><span class="spip_note_ref">[<a href="#nh2" class="spip_note" title="Notes 2" rev="appendix">2</a>] </span>Communauté innue du Saguenay–Lac-Saint-Jean. À ma connaissance on n'a pas de description de cette danse telle qu'observée, sans doute, par Guy Thomas. Celui-ci avait effectivement procédé à des collectes en danse au milieu des années soixante. Voir <a href="http://mnemo.qc.ca/bulletin-mnemo/article/rencontre-avec-un-homme-fier-et"><em>Rencontre avec un homme fier et doux : Guy Thomas</em></a>, Pierre Chartrand, Bulletin Mnémo, 2010.</p> </div><div id="nb3"> <p><span class="spip_note_ref">[<a href="#nh3" class="spip_note" title="Notes 3" rev="appendix">3</a>] </span>C'est Normand Legault, qui avait participé au projet de tournage, qui m'avait remis une copie VHS du film.</p> </div><div id="nb4"> <p><span class="spip_note_ref">[<a href="#nh4" class="spip_note" title="Notes 4" rev="appendix">4</a>] </span>Centre national de recherche scientifique, en France.</p> </div><div id="nb5"> <p><span class="spip_note_ref">[<a href="#nh5" class="spip_note" title="Notes 5" rev="appendix">5</a>] </span>Film de Philippe Lavalette, chez la famille Ferland de Saint-Sylvestre. Images : Philippe Lavalette. Son : André Dussault. Montage : François Liffran. Avec la collaboration du CELAT de l'Université Laval, de Claude Gaignebet, de Jean-Dominique Lajoux et de Normand Legault. Coproduction SERDDAV, Films du Ruisseau frais, et le CNRS audiovisuel.</p> </div><div id="nb6"> <p><span class="spip_note_ref">[<a href="#nh6" class="spip_note" title="Notes 6" rev="appendix">6</a>] </span>Fameuse épopée finnoise composée au 19e siècle, par Elias Lönnrot, qui est un <em>assemblage de poèmes populaires authentiques recueillis entre 1834 et 1847 dans les campagnes finlandaises...</em> <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Kalevala">https://fr.wikipedia.org/wiki/Kalevala</a></p> </div><div id="nb7"> <p><span class="spip_note_ref">[<a href="#nh7" class="spip_note" title="Notes 7" rev="appendix">7</a>] </span>La Tradition de danse en Béarn et Pays basque français</em>, Jean-Michel Guilcher, Édition de la Maison des sciences de l'Homme, Paris, 1984.</p> </div><div id="nb8"> <p><span class="spip_note_ref">[<a href="#nh8" class="spip_note" title="Notes 8" rev="appendix">8</a>] </span><em>Études rurales</em> , juillet-décembre 2011, No. 188, Archéogéographie et disciplines voisines, pp. 205-221, publié par EHESS : <a href="https://www.jstor.org/stable/23345150">https://www.jstor.org/stable/23345150</a></p> </div><div id="nb9"> <p><span class="spip_note_ref">[<a href="#nh9" class="spip_note" title="Notes 9" rev="appendix">9</a>] </span>Serdeczny donne ces références : pour la Souabe, voir E.H. Meier, Deutsche Sagen, Sitten und Gebräuche aus Schwaben, Stuttgart, 1852 ; pour la Pologne, voir E. Seefried-Gulgowski, Von einem unbekannten Volke in Deutschland, Berlin, 1911 ; pour le Pays basque, voir G. Hérelle, « Les mascarades soulétines », Revista internacional de estudios vascos VIII, 1924 ; pour l'Alsace, voir Encyclopédie de l'Alsace, vol. 4.</p> </div><div id="nb10"> <p><span class="spip_note_ref">[<a href="#nh10" class="spip_note" title="Notes 10" rev="appendix">10</a>] </span>Consultez <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Soufflaculs">Wikipédia</a></p> </div><div id="nb11"> <p><span class="spip_note_ref">[<a href="#nh11" class="spip_note" title="Notes 11" rev="appendix">11</a>] </span>Serait-ce lié à notre danse du batteux ?</p> </div><div id="nb12"> <p><span class="spip_note_ref">[<a href="#nh12" class="spip_note" title="Notes 12" rev="appendix">12</a>] </span>Vous pouvez écouter cette chanson interprétée par le groupe <em>Hommage aux aînés</em> ici <a href="https://youtu.be/LF2ZQ6u48Ws">https://youtu.be/LF2ZQ6u48Ws</a> et même acheter leur CD ici : <a href="https://www.librairiemartin.com/Musiques/Hommage-aux-aines-Si-Mignonnement/4-2-63/10599/Traditionnelle">https://www.librairiemartin.com/Musiques/Hommage-aux-aines-Si-Mignonnement/4-2-63/10599/Traditionnelle</a></p> </div><div id="nb13"> <p><span class="spip_note_ref">[<a href="#nh13" class="spip_note" title="Notes 13" rev="appendix">13</a>] </span>Titre du Catalogue Laforte : <em>Les gants</em> (N-28) et chez Coirault <em>Les gants à porter trois fois l'an</em>, 4517</p> </div><div id="nb14"> <p><span class="spip_note_ref">[<a href="#nh14" class="spip_note" title="Notes 14" rev="appendix">14</a>] </span><em>Chants et chansons populaires des provinces de l'Ouest : Poitou, Saintonge, Aunis et Angoumois, avec les airs originaux</em>. Tome 1, recueillis et annotés par Jérome Bujeaud. Éditeur : L. Clouzot (Niort)1895. <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9708179q/f187.item#">https://gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k9708179q/f187.item#</a></p> </div><div id="nb15"> <p><span class="spip_note_ref">[<a href="#nh15" class="spip_note" title="Notes 15" rev="appendix">15</a>] </span>Cote CERDO : 003614_03. Titre : <em>Avant-deux avec annonces joué au violon</em> par Albert Girardeau. POITOU-CHARENTES, canton de Cerizay, La Forêt-sur-Sèvre (Saint-Marsault).</p> </div></div> Réjean Simard : « La musique, c'est toute ma vie ! » https://mnemo.qc.ca/bulletin-mnemo/article/rejean-simard-la-musique-c-est-toute-ma-vie https://mnemo.qc.ca/bulletin-mnemo/article/rejean-simard-la-musique-c-est-toute-ma-vie 2024-07-04T03:55:50Z text/html fr LAVOIE, Gino <p>Par Gino Lavoie (accordéoniste, et fondateur-directeur de l'Association des accordéonistes de la région de Drummondville) <br class='autobr' /> Interview réalisé le 8 mars 2019 par Gino Lavoie auprès de M. Réjean Simard, musicien et facteur d'accordéon de Chûte-aux-Outardes dans la région de la Côte-Nord au Québec. Réjean Simard est né le 24 mai 1954 à Alma, de Rosaire Simard et Ghislaine Émond, natifs de Hébertville. GL : Vers quel âge as-tu commencé à jouer de l'accordéon ? <br class='autobr' /> RS : J'ai commencé à (...)</p> - <a href="https://mnemo.qc.ca/bulletin-mnemo/" rel="directory">Bulletin Mnémo</a> <div class='rss_texte'><p>Par Gino Lavoie (accordéoniste, et fondateur-directeur de l'Association des accordéonistes de la région de Drummondville)</p> <p><span class="lettrine">Interview réalisé le 8 mars 2019 par Gino Lavoie auprès de M. Réjean Simard, musicien et facteur d'accordéon de Chûte-aux-Outardes dans la région de la Côte-Nord au Québec. <br class='autobr' /> Réjean Simard est né le 24 mai 1954 à Alma, de Rosaire Simard et Ghislaine Émond, natifs de Hébertville.</p> <div class='spip_document_522 spip_document spip_documents spip_document_image spip_documents_center spip_document_center'> <figure class="spip_doc_inner"> <a href='https://mnemo.qc.ca/IMG/jpg/simard-rejean.jpg' class="spip_doc_lien mediabox" type="image/jpeg"> <img src='https://mnemo.qc.ca/local/cache-vignettes/L500xH750/simard-rejean-4ebcb.jpg?1729540304' width='500' height='750' alt='' /></a> </figure> </div> <h3 class="unnumbered" id="gl-vers-quel-uxe2ge-as-tu-commencuxe9-uxe0-jouer-de-laccorduxe9on">GL : Vers quel âge as-tu commencé à jouer de l'accordéon ?</h3> <p>RS : J'ai commencé à jouer de l'accordéon en 1957 à l'âge de 3 ans, on habitait à Delisle tout près d'Alma dans ce temps-là. Je jouais des morceaux de mon père Rosaire Simard avec son accordéon Hohner 2 rangées, ma mère Ghislaine Émond me notait des pièces et j'apprenais assez vite quand mon père n'était pas là car ça me gênait de jouer devant lui.</p> <h3 class="unnumbered" id="gl-donc-tu-as-appris-le-ruxe9pertoire-familial-en-premier.-douxf9-te-vient-ce-gouxfbt-prononcuxe9-pour-la-musique">GL : Donc, tu as appris le répertoire familial en premier. D'où te vient ce goût prononcé pour la musique ?</h3> <p>RS : Ça me vient de mon père. Mon père jouait assez bien de l'accordéon et je voulais apprendre son répertoire. Je pouvais passer des heures à l'écouter assis par terre devant lui. Du côté de ma mère (les Émond), il y avait mon parrain et mon oncle qui en jouaient mais je les entendais très peu jouer. C'étaient surtout des gigueurs, ils connaissaient beaucoup de danses. Les Émond étaient parents avec les Vaillancourt du Saguenay/Lac—Saint-Jean, « tu sais là le brandy frotté que Philippe Bruneau a enseigné, et bien ça vient de mes oncles et mes tantes ». Ils ont montré ça à Philippe et à Michel Cartier, je pense, quand ils sont venus à Jonquière au début des années 60. Tout jeune, j'ai appris le brandy et je pouvais faire danser mes oncles et mes tantes !</p> <h3 class="unnumbered" id="gl-plus-tard-comment-se-fait-ton-apprentissage-et-quel-est-ton-ruxe9pertoire-tes-influences">GL : Plus tard, comment se fait ton apprentissage et quel est ton répertoire, tes influences ?</h3> <p>RS : J'ai toujours appris la musique par moi-même, donc j'ai pas vraiment eu de professeur. À un moment donné, mon père arrive avec des longs-jeux de Philippe Bruneau et Ti-Jean Carignan (album intitulé : <em>The Folk Fiddler who Electrified the Newport Folk Festival</em> <em>– 1960</em> <em>par Elektra #EKL-266</em>) et là j'écoute et j'apprends à l'oreille du nouveau répertoire qui me permet d'apprécier le jeu de Philippe. Je devais avoir 7 ou 8 ans, j'avais seulement accès à un accordéon 2 rangées La-Ré, et Philippe jouait avec un accordéon 3 rangées La-Ré-Sol sur ses disques, alors il me manquait un peu de notes mais j'apprenais les pièces que je pouvais reproduire. Ensuite, vers l'âge de 10-11 ans, on est déménagé sur la Côte-Nord, mon père continuait d'acheter d'autres longs jeux et je pouvais continuer d'écouter et d'apprendre de nouveaux répertoires, comme ceux de Gérard Lajoie et de la famille Soucy entre autres.</p> <h3 class="unnumbered" id="gl-quest-ce-qui-vous-a-amenuxe9-sur-la-cuxf4te-nord">GL : Qu'est-ce qui vous a amenés sur la Côte-Nord ?</h3> <p>RS : Mon père travaillait déjà sur la Côte-Nord depuis 1959 mais c'est seulement en 1965 qu'il a eu une nouvelle job pour Hydro Québec et toute la famille a déménagé sur la Côte-Nord et c'est depuis ce temps-là que je suis par ici. Rendu là, mon frère a acheté un accordéon Hohner 3 rangées Sol-Do-Fa, alors c'était plus facile pour moi d'apprendre toutes ces pièces du répertoire québécois. J'ai même touché à l'accordéon piano que mon père avait acheté dans cette période. Ensuite mon père a acheté un orgue Hohner symphonique 35 et je me suis mis à jouer sur ça.</p> <h3 class="unnumbered" id="gl-donc-tu-as-touchuxe9-uxe0-plusieurs-instruments-dans-ton-jeune-uxe2ge">GL : Donc tu as touché à plusieurs instruments dans ton jeune âge ?</h3> <p>RS : Ben oui ! J'ai touché à l'accordéon pitons (diatonique), à l'accordéon piano, au clavier, à la guitare, à la basse et à la batterie. Mais mon instrument préféré était l'accordéon à pitons avec lequel j'ai joué et pratiqué régulièrement en solo jusqu'à l'âge de 15 ans. Vers l'âge de 16 ans, j'ai commencé à jouer du clavier dans un orchestre populaire. C'est à cette période que j'ai commencé aussi à travailler dans les chantiers comme commis d'épicerie et là je faisais un peu d'argent. Alors je me suis acheté un orgue Hammond B3 et là les contrats ont commencé à entrer, on jouait de la musique populaire tous les weekends avec mon groupe « Dimension ». À un moment donné, on avait beaucoup de demandes et c'est devenu assez imposant comme orchestre, j'ai dû abandonner les chantiers pour faire seulement de la musique. Là on est parti sur la route pour jouer dans différentes soirées populaires au Québec pendant une dizaine d'années.</p> <h3 class="unnumbered" id="gl-tu-as-laissuxe9-laccorduxe9on-durant-cette-puxe9riode">GL : Tu as laissé l'accordéon durant cette période ?</h3> <p>RS : Non, je continuais à pratiquer mon accordéon dès que j'en avais l'occasion. J'avais acheté d'autres longs-jeux de Philippe, l'album blanc et l'album bleu et je regardais Philippe à l'émission « À la canadienne » et j'aimais apprendre de nouvelles pièces de son répertoire.</p> <div class='spip_document_523 spip_document spip_documents spip_document_image spip_documents_center spip_document_center spip_document_avec_legende' data-legende-len="79" data-legende-lenx="xx" > <figure class="spip_doc_inner"> <a href='https://mnemo.qc.ca/IMG/jpg/rejean-simard-1979-festival-cantons-avec-sa-messervier.jpg' class="spip_doc_lien mediabox" type="image/jpeg"> <img src='https://mnemo.qc.ca/local/cache-vignettes/L500xH666/rejean-simard-1979-festival-cantons-avec-sa-messervier-f90fa.jpg?1729540298' width='500' height='666' alt='' /></a> <figcaption class='spip_doc_legende'> <div class='spip_doc_descriptif '>Réjean Simard avec son accordéon Messervier, au Festival des Cantons en 1979. </div> </figcaption></figure> </div><h3 class="unnumbered" id="gl-durant-cette-puxe9riode-du-duxe9but-des-annuxe9es-1970-donnais-tu-des-spectacles-de-musique-daccorduxe9on">GL : Durant cette période du début des années 1970, donnais-tu des spectacles de musique d'accordéon ?</h3> <p>RS : Non je pratiquais et jouais pour moi-même, pour mon plaisir.</p> <h3 class="unnumbered" id="gl-ensuite-quest-ce-qui-sest-passuxe9-raconte-moi.">GL : Ensuite, qu'est-ce qui s'est passé ? Raconte-moi.</h3> <p>RS : Quand Philippe a quitté l'émission « À la canadienne », j'ai un peu délaissé la pratique de l'accordéon car c'était mon idole, mon inspiration et là je ne me retrouvais plus. Là on a été un bout qu'on n'a pas vu ou entendu parler de Philippe. Dans les années 1975 lorsque je travaillais dans un magasin de musique, j'ai fait quelques belles rencontres dont M. Adélard Thomassin qui avait entendu parler de moi. Dans la même période, j'ai entendu parler des « Accordéons Messervier », je me demandais ben c'était quoi ça car sur la Côte-Nord dans ces années-là, y avait pas grand-chose ! De retour d'une <em>run</em> de la Baie James, je voulais me faire fabriquer un accordéon 4 jeux « Acadian » de la Louisiane pour m'améliorer car je jouais avec un accordéon Hohner model 114. Mais finalement, je suis plutôt allé rencontrer Marcel Messervier de Montmagny et j'ai trouvé qu'il faisait une bonne qualité d'accordéon. J'ai donc décidé de lui passer une commande pour un accordéon 4 jeux en 1978.</p> <div class="figure*"><h3 class="unnumbered" id="gl-suite-uxe0-cette-rencontre-avec-messervier-quest-ce-qui-sest-passuxe9">GL : Suite à cette rencontre avec Messervier, qu'est-ce qui s'est passé ?</h3> <p>RS : Je voulais apprendre le répertoire de Marcel et de sa région car c'était une belle musique pour faire danser. Comme Marcel n'avait pas d'enregistrements, j'ai commencé à écouter des enregistrements de Françine Desjardins qui jouait beaucoup de répertoire de Marcel Messervier et de la région du Bas-du-fleuve. Alors, j'ai appris ce répertoire-là comme ça et en jouant avec Marcel lors de nos rencontres à Montmagny.</p> <h3 class="unnumbered" id="gl-uxe0-partir-de-quelle-annuxe9e-as-tu-jouuxe9-pour-des-spectacles-ou-du-concert-uxe0-laccorduxe9on">GL : À partir de quelle année as-tu joué pour des spectacles ou du concert à l'accordéon ?</h3> <p>RS : Dans ces années-là, y avait le festival des Cantons de Sherbrooke et lors d'une visite chez mon oncle Ti-Louis Simard d'Alma, il me dit : « ce serait l'fun que tu y participes, Réjean ! » et de répondre « ben voyons mon oncle, y a beaucoup trop de bons joueurs là-bas, je n'ai pas de chance de gagner ! » Finalement, je me suis inscrit et c'est moi qui ai gagné le festival des Cantons en 1979 avec mon nouvel accordéon Messervier. Ensuite dans les années 80, plusieurs voyages à Montmagny se sont enchaînés pour jouer avec la famille Messervier. On jouait dans des galas et à l'exposition régionale agricole de Montmagny, où il y avait des spectacles de musique de folklore. C'est là que j'ai vu jouer en personne pour la première fois Philippe Bruneau en spectacle. Je ne lui ai pas parlé à cette première apparition mais il m'avait encore impressionné !</p> <h3 class="unnumbered" id="gl-quest-ce-que-le-festival-des-cantons-ta-apportuxe9-est-ce-que-uxe7a-changuxe9-la-perception-des-autres-musiciens-envers-toi-apruxe8s-avoir-remportuxe9-le-premier-prix">GL : Qu'est-ce que le festival des Cantons t'a apporté ? Est-ce que ça changé la perception des autres musiciens envers toi après avoir remporté le premier prix ? </h3> <p>RS : Le festival des Cantons m'a fait connaître davantage auprès des autres musiciens et à partir de là, plusieurs autres rencontres enrichissantes et contrats de musique sont arrivés et j'ai même participé à des émissions de télévision, par exemple à « Gentille Allouette ». J'ai joué de la musique dans différents évènements avec la famille Messervier (Marcel, Raymond et Junior), Raynald Ouellette, Armand Labrecque, Denis Pépin, Jean-Pierre Joyal, Yvan Breault, Jean-Marie Verret, Mario Loiselle, Benoit Legault, et plusieurs autres. J'ai joué pour des troupes de danse comme les « Danseurs du vieux moulin », « les Sortilèges » et la troupe de danse « Kineskamie » de Baie-Comeau, dans des tournées au Canada, en Europe et aux États-Unis. Ensuite il y a eu Québec 84 où j'ai fait une tournée à travers plusieurs villes du Québec avec Jean-Pierre Joyal, Yvan Breault, Guy Dion, Luc Laroche et Breton-Cyr. Ça c'était quelque chose ! On faisait principalement de la musique et des chansons québécoises.</p> <h3 class="unnumbered" id="gl-finalement-ta-premiuxe8re-rencontre-en-personne-avec-philippe-bruneau-est-arrivuxe9e-quand-et-comment">GL : Finalement ta première rencontre en personne avec Philippe Bruneau est arrivée quand et comment ?</h3> <p>RS : Grâce à Denis Pépin, c'est vers 1981-82 que j'ai fait ma première rencontre en personne avec Philippe Bruneau chez lui lorsqu'il habitait sur la rue De Gaspé (Montréal). Ça faisait tellement longtemps que j'écoutais sa musique que c'est comme si je le connaissais depuis 30 Ans ! En fait, c'était comme si je visitais un de mes oncles ou de la famille. Ça été une rencontre chaleureuse, tout en jouant sur nos accordéons 3 rangées, sa musique et d'autres répertoires québécois que j'avais appris depuis ma tendre enfance. Plusieurs rencontres eurent lieu chez lui par la suite, en compagnie de d'autres musiciens québécois comme Sabin Jacques, Etienne Bouchard, etc.</p> <h3 class="unnumbered" id="gl-as-tu-duxe9juxe0-uxe9tuxe9-lartiste-invituxe9-au-carrefour-mondial-de-laccorduxe9on-de-montmagny">GL : As-tu déjà été l'artiste invité au Carrefour Mondial de l'accordéon de Montmagny ?</h3> <p>RS : Oui. En 1990, j'ai participé au Carrefour, c'est André Bouchard qui m'accompagnait au piano avec Guy Dion à la contrebasse je crois. J'avais présenté une dizaine de mes compositions lors du concert international. La plupart de ces compositions n'ont jamais été enregistrées, ni publiées.</p> <h3 class="unnumbered" id="gl-pourquoi-combien-as-tu-de-compositions-en-tout">GL : Pourquoi ? Combien as-tu de compositions en tout ?</h3> <p>RS : C'est trop dispendieux de faire un bon CD aujourd'hui et je n'avais pas les moyens. Faudrait avoir des subventions afin de pouvoir se produire pour publier davantage notre répertoire de musique. Je dois avoir environ une trentaine de compositions personnelles, dont les plus connues sont : la galope à M. Simard (reel à mon père), l'hommage à Jean-Pierre Joyal et le reel du Nord-Côtier.</p> <h3 class="unnumbered" id="gl-as-tu-fait-des-productions-sonores">GL : As-tu fait des productions sonores ?</h3> <p>RS : Au début des années 90, j'ai enregistré 1 cassette qui s'intitulait « la swing de par chez-nous » et en 2001, j'ai enregistré 1 CD : « Mes compositions volume 1 ».</p> <h3 class="unnumbered" id="gl-aujourdhui-avec-le-recul-et-par-ordre-dimportance-tu-dirais-que-tes-principales-influences-viennent-de-qui">GL : Aujourd'hui, avec le recul et par ordre d'importance, tu dirais que tes principales influences viennent de qui ?</h3> <p>RS : Mon père, Philippe Bruneau, Gérard Lajoie, La Bolduc, Alfred Montmarquette, Jos Bouchard, la famille Verret et Marcel Messervier. Aujourd'hui j'applique mon jeu personnel dans mes interprétations et mes compositions.</p> <h3 class="unnumbered" id="gl-du-cuxf4tuxe9-transmission-de-la-musique-est-ce-que-tu-as-eu-la-chance-denseigner-ta-musique">GL : Du côté transmission de la musique, est-ce que tu as eu la chance d'enseigner ta musique ?</h3> <p>RS : Oui un peu lors du festival Art et Tradition de Baie-Comeau. Au début des années 2000, j'avais eu l'idée de démarrer un festival de musique traditionnelle sur la Côte-Nord et j'avais parti ça ici au village de Chûtes-aux-Outardes. Ensuite, un comité a décidé que ça serait mieux si ça se passait au théâtre de Baie-Comeau. Ils ont appelé ça « Art et Tradition ». Durant cette période, j'ai fait plusieurs spectacles et j'ai fait de l'enseignement de l'accordéon dans des ateliers. On avait de la difficulté à avoir du public, alors on a dû arrêter ça après la 6<sup>e</sup> année.</p> <h3 class="unnumbered" id="gl-il-me-semble-que-tu-as-duxe9juxe0-fabriquuxe9-des-accorduxe9ons-ruxe9jean-peux-tu-nous-en-parler">GL : Il me semble que tu as déjà fabriqué des accordéons, Réjean ? Peux-tu nous en parler ?</h3> <p>RS : Oui, lors de la récession dans les années 80, avec très peu de moyens, j'ai commencé à fabriquer à la main un accordéon de type 1 rangée 4 jeux. Avec les années, j'ai acquis de l'expérience et mon produit s'est toujours amélioré, alors j'ai eu un bon succès et j'en ai vendu plusieurs. Par contre, ces dernières années, j'ai dû faire une relâche à cause de la maladie qui a affecté la famille et j'ai assumé mes responsabilités d'aidant naturel pendant une dizaine d'années. Par contre, je prévois recommencer à fabriquer à l'automne 2019.</p> <h3 class="unnumbered" id="gl-comment-vois-tu-lavenir-pour-la-transmission-de-notre-musique-traditionnelle-et-la-reluxe8ve-de-musiciens-daccorduxe9on">GL : Comment vois-tu l'avenir pour la transmission de notre musique traditionnelle et la relève de musiciens d'accordéon ?</h3> <p>RS : Si on parle de la Côte-Nord, par ici il ne reste plus grand-chose, juste une petite gang qui pratique un loisir ensemble. Les gens disent que c'est de la musique du temps des Fêtes, alors on fait quoi le reste de l'année ? Au Lac—Saint-jean c'est la même chose, c'est en déclin dans les régions éloignées et les petits villages. Aussi, on voit de plus en plus du folklore mélangé avec du country dans certaines soirées. En rapport avec l'Internet, on y trouve un peu n'importe quoi sur la musique traditionnelle, c'est difficile de s'y retrouver pour nous, imagine pour la relève et les amateurs ! Concernant les nouvelles générations de joueurs d'accordéon, je trouve qu'ils jouent de moins en moins de répertoire québécois. On dirait que c'est pire depuis que Philippe est décédé en 2011, il était comme le gardien de notre musique québécoise !</p> <p>Heureusement, il y a encore des regroupements de musiciens traditionnels qui sont très actifs, où il se donne de l'enseignement du répertoire québécois et où on peut aller voir des spectacles de qualité. Comme ce que vous avez fait à Drummond en 2018, au 20<sup>e</sup> anniversaire de l'AARD, ça a attiré pas mal de monde et on était environ 15 accordéonistes invités à se présenter sur scène cette journée-là. Ce fut tout un évènement et j'espère qu'il y en aura d'autres comme ça !</p> <p>Je vais avoir bientôt 65 ans, j'ai passé ma vie là-dedans, j'ai fait pas mal tout ce que je pouvais pour préserver et promouvoir notre répertoire. Je souhaite que plus de musiciens jouent notre beau répertoire traditionnel québécois afin de perpétuer nos traditions !</p></div> Analyse comparative de la mélodie du Captain Jinks https://mnemo.qc.ca/bulletin-mnemo/article/analyse-comparative-de-la-melodie-du-captain-jinks https://mnemo.qc.ca/bulletin-mnemo/article/analyse-comparative-de-la-melodie-du-captain-jinks 2024-02-19T21:02:48Z text/html fr FERRAUD, Alexandra <p>La musique traditionnelle québécoise, bien qu'elle soit constituée de nombreuses compositions, puise également ses sources dans diverses cultures, comme les musiques traditionnelles en provenances des Iles Britanniques, ou la musique américaine, par exemple. <br class='autobr' /> Lorsqu'une pièce provient d'un autre pays, elle peut être importée au Québec de différentes façons (immigration, enregistrements audios, etc.). Ainsi, on <br class='autobr' /> constate facilement qu'une seule et même pièce peut exister sous différentes (...)</p> - <a href="https://mnemo.qc.ca/bulletin-mnemo/" rel="directory">Bulletin Mnémo</a> <div class='rss_texte'><p>La musique traditionnelle québécoise, bien qu'elle soit constituée de nombreuses compositions, puise également ses sources dans diverses cultures, comme les musiques traditionnelles en provenances des Iles Britanniques, ou la musique américaine, par exemple.</p> <p>Lorsqu'une pièce provient d'un autre pays, elle peut être importée au Québec de différentes façons (immigration, enregistrements audios, etc.). Ainsi, on<br class='autobr' /> constate facilement qu'une seule et même pièce peut exister sous différentes variantes.</p> <p>Nous allons donc nous intéresser ici à quatre pièces traditionnelles québécoises, que sont le Capitaine voleur, le Capitaine trompeur, le Piquet et la Gigue du violoneux. Nous allons les présenter en identifiant leur profil historique commun, puis en les comparant entre elles...</p> <p>— > Poursuivez votre lecture <a href="https://u.pcloud.link/publink/show?code=XZtWTRVZ3n1n6yQODNbUgO7At5vSMzhTKP5y" class="spip_out" rel="external">en téléchargeant gratuitement cet article de 23 pages</a> (format PDF), comprenant de multiples partitions et images.</p></div> Les Veillées du bon vieux temps, 1919-1922 https://mnemo.qc.ca/bulletin-mnemo/article/les-veillees-du-bon-vieux-temps-1919-1922 https://mnemo.qc.ca/bulletin-mnemo/article/les-veillees-du-bon-vieux-temps-1919-1922 2023-12-18T22:53:22Z text/html fr RISK Laura <p>Cet article est la traduction, par Pierre Chartrand, d'une partie du chapitre écrit par Laura Risk, « Le bon vieux temps : The Veillée in Twentieth-Century Quebec », paru dans Contemporary Musical Expressions in Canada, p. 43 à 86, sous la direction de Sherry Johnson, Judith Klassen et Anna Hoefnagels, aux Presses de l'Université McGill-Queen's, Montréal (QC),en 2019. ISBN : 9780228000150, 9780228000143, 0228000157. <br class='autobr' /> En 2019, j'ai écrit un chapitre intitulé « Le bon vieux temps : The (...)</p> - <a href="https://mnemo.qc.ca/bulletin-mnemo/" rel="directory">Bulletin Mnémo</a> <div class='rss_texte'><p><em>Cet article est la traduction, par Pierre Chartrand, d'une partie du chapitre écrit par Laura Risk, « Le bon vieux temps : The Veillée in Twentieth-Century Quebec », paru dans <a href=" https://www.mqup.ca/contemporary-musical-expressions-in-<br class='autobr' /> canada-products-9780773558809.php"><em>Contemporary Musical Expressions in Canada</em></a>, p. 43 à 86, sous la direction de Sherry Johnson, Judith Klassen et Anna Hoefnagels, aux Presses de l'Université McGill-Queen's, Montréal (QC),en 2019. ISBN : 9780228000150, 9780228000143, 0228000157.</em></p> <p><span class="lettrine">E</span>n 2019, j'ai écrit un chapitre intitulé « Le bon vieux temps : The Veillée in Twentieth-Century Quebec » pour le livre <a href="https://www.mqup.ca/contemporary-musical-expressions-in-canada-products-9780773558809.php"><em>Contemporary Musical Expressions in Canada</em></a> , édité par Anna Hoefnagels, Judith Klassen et Sherry Johnson (McGill-Queen's University Press).</p> <p>Dans ce chapitre, j'ai présenté la veillée comme un espace à résonance culturelle qui, à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, a servi de symbole d'un mode de vie rural idéalisé et associé à une identité nationale conservatrice et, au XX<sup>e</sup> siècle, a regroupé divers matériaux musicaux (eux-mêmes associés à ce mode de vie idéalisé) sous le genre " folklore " ou musique traditionnelle. J'ai historicisé les veillées du Québec du XX<sup>e</sup> siècle par le biais de deux études de cas : les premières veillées mises en scène à Montréal dans les années 1910 et 1920, et la pratique musicale informelle dans la péninsule gaspésienne au milieu du XX<sup>e</sup> siècle. Le texte qui suit est extrait de ce chapitre et se concentre sur les veillées scéniques de 1919 à 1922. Cette période comprend les premières veillées organisées principalement par Édouard-Zotique Massicotte, Marius Barbeau et la section québécoise de l'American Folklore Society, et se termine juste après le début de la longue série de Conrad Gauthier, les « Veillées du bon vieux temps ».</p> <p>Ma recherche s'appuie sur les travaux de plusieurs autres chercheurs qui ont écrit sur les premières veillées mises en scène à Montréal. À la recherche des origines du concept actuel de patrimonialisation, Diane Joly documente les négociations en coulisse entre Massicotte, Barbeau et Victor Morin, président de la Société historique de Montréal, pour les premières veillées mises en scène à Montréal, à la Bibliothèque Saint-Sulpice, les 18 mars et 24 avril 1919 (2012, 357-63). Joly compare aussi brièvement les veillées mises en scène par la section québécoise de l'American Folklore Society et celles produites par l'acteur et chanteur Conrad Gauthier (369-72). Daniel Guilbert soutient que ces deux séries de veillées étaient substantiellement différentes en termes de public visé et de contenu musical : les veillées de la Section du Québec visaient un public élitiste et éduqué et mettaient en valeur les mélodies folkloriques pour alimenter une nouvelle école nationaliste de composition musicale, tandis que les veillées de Gauthier étaient des recréations populistes de traditions rurales pour un public urbain et ouvrier (2010-12). Luc Bellemare documente les veillées de Gauthier à partir de 1922, en se concentrant sur les liens entre le spectacle sur scène, la station de radio montréalaise CKAC et le commanditaire local, Living Room Furniture (2012). Dans ce texte, j'utilise des sources d'archives pour approfondir ces descriptions et corriger certaines méprises courantes à propos des <em>Veillées du bon vieux temps</em>, notamment l'idée que Massicotte et Barbeau n'ont organisé que deux veillées scéniques ou l'idée que Gauthier avait l'appui de Massicotte et Barbeau pour sa propre série de veillées. J'inclus également un tableau énumérant toutes les veillées mises en scène de mars 1919 à novembre 1922 pour lesquelles je dispose de preuves documentaires.</p> <p>Édouard-Zotique Massicotte a proposé le concept de la veillée à Marius Barbeau après une présentation de ce dernier à la Société historique de Montréal le 29 mai 1918. D'autres membres de la Société sont également intéressés par l'idée et ils forment une petite équipe d'organisation, avec Barbeau comme consultant. Massicotte est chargé de trouver des interprètes. La première veillée était initialement prévue pour la Sainte-Catherine, le 25 novembre 1918, mais elle a été reportée au mois de mars de l'année suivante, en partie à cause de l'absence initiale de réponse de Barbeau (Joly 2012, 357-8 ; " Les Mémoires de Marius Barbeau ", Archives du Musée canadien de l'histoire, fonds Carmen Roy, boîte 624, f9, 67-8).</p> <div class='spip_document_517 spip_document spip_documents spip_document_image spip_documents_center spip_document_center spip_document_avec_legende' data-legende-len="61" data-legende-lenx="x" > <figure class="spip_doc_inner"> <img src='https://mnemo.qc.ca/local/cache-vignettes/L500xH731/veillee-bvt-1920-05-05-p2-net-b486c.jpg?1702937979' width='500' height='731' alt='' /> <figcaption class='spip_doc_legende'> <div class='spip_doc_descriptif '>Une page du programme de la Veillée du 5 mai 1920, à Ottawa </div> </figcaption></figure> </div> <p>Pour Barbeau, Massicotte et la section québécoise de l'American Folklore Society, cette première veillée était à la fois une activité de sensibilisation et une occasion de collecte de fonds. Entre mai 1918 et le début de 1919, Barbeau avait recueilli 1 300 chansons, cinquante-cinq airs de violon, huit danses chantées, vingt-deux histoires et quarante anecdotes, et Massicotte, quelques 460 chansons, expressions et rimes populaires (Barbeau 1919, 182 ; <em>La Presse</em>, 27 mars 1919, 9). L'American Folklore Society avait publié un numéro canadien-français en 1916 et 1917, et le fera à nouveau en 1919 et 1920, mais ces publications nécessitaient le soutien financier de la section québécoise (Nowry 1995, 176-7, 192). Trop de matériel et pas assez d'argent - la solution était de rendre publiques leurs découvertes.</p> <p>Le public cible de la veillée de mars 1919 : les classes instruites qui, « mieux averties, partageraient peut-être notre profonde appréciation des trésors cachés du terroir canadien, et nous aideraient à triompher de résistances qui nuisent au progrès de nos travaux folkloriques ». Ce soutien n'était toutefois pas assuré. Plus typiques, selon Barbeau, étaient « l'indifférence générale » et « l'hostilité hautaine » de certains intellectuels, dont un collègue anonyme de la Société royale du Canada qui avait reproché à Barbeau de chercher à préserver « ces niaiseries » que d'autres cherchaient à faire disparaître depuis des décennies (Barbeau et Massicotte 1920, 1).</p> <p>En dépit de ces opposants - ou peut-être pour les convaincre - Massicotte et Barbeau ont conçu le programme avec des « exécutants du terroir », c'est-à-dire des porteurs de traditions : des chanteurs, un violoniste et un danseur, tous sans formation académique et issus de milieux agricoles ou ouvriers (ibid., 4, 8-11). Barbeau s'inquiète de l'accueil réservé à ces interprètes, dont il qualifie le style de rude, de naïf et d'âpre. Un geste malencontreux ou un ornement musical inhabituel peut-il choquer un public habitué au conservatoire et à l'opéra ? Pour lui, leur style d'interprétation s'apparente aux scories d'une usine sidérurgique, sortes de déchets résiduels que l'on peut brûler pour laisser place au métal pur des textes musicaux (ibid., 2-3). Massicotte et lui ont donc procédé avec précaution. Ils ont engagé un monologuiste professionnel plutôt que de risquer « un vrai conteur du cru » (ibid.). Ils font appel à des artistes « qui sauraient rehausser le ton du programme » : des chanteurs et des pianistes de formation qui interprètent des arrangements musicaux artistiques de mélodies populaires, ou « folklore artistique » (<em>Les Mémoires de Marius Barbeau</em>, Archives du Musée canadien de l'histoire, fonds Carmen Roy, boîte 624, f9, 68). La réaction extrêmement positive du public à la première soirée semble les avoir pris tout à fait par surprise.</p> <p>Massicotte et Barbeau ont planté le décor pour transporter le public hors de la ville et dans un passé idéalisé et menacé, et la foule a adhéré de tout cœur. Avec la scène meublée comme un intérieur de maison rustique et le chanteur de chansons de voyageurs habillé en bûcheron, la « résurrection du passé » était complète, et beaucoup ont ressenti « un ravissement complet » alors que la soirée réveillait des souvenirs d'enfance (Barbeau et Massicotte 1920, 3). Le critique Louis Claude se souviendra plus tard que le public des premières veillées était « conquis, emballé même » et applaudissait frénétiquement. En réponse à la demande du public, Massicotte et Barbeau organisent une deuxième veillée le 24 avril 1919. Les deux soirs, un grand nombre de spectateurs sont refoulés à la porte (<em>La Revue moderne</em>, 15 juillet 1920, 23).</p> <p>Forts de ces succès, Massicotte et Barbeau organisent plus d'une douzaine de veillées supplémentaires entre 1919 et la fin de 1920. Massicotte prend généralement la tête des veillées montréalaises, qui ont lieu au Monument-National à partir de juin 1919, et Barbeau des veillées à l'extérieur de la ville, notamment à Québec, à Ottawa et à New York. Pour la « Veillée de la Sainte-Catherine », le 25 novembre 1920, Massicotte planifie la veillée la plus ambitieuse à ce jour sur le thème de la « vie de voyageur en chanson ». La première partie du programme utilise la chanson pour suivre les bûcherons depuis l'embauche et le départ, en passant par le rythme mesuré de l'aviron, jusqu'au samedi soir dans le camp de bûcherons et le retour à la maison. La seconde partie mettait en vedette douze Gaspésiens qui présentaient des danses de groupe de leurs paroisses natales de Rivière-Madeleine, Rivière-au-Renard, L'Anse-au-Griffon et Percé. Le programme est répété le 2 décembre 1920, et le théâtre de 800 places fait salle comble les deux soirs : une mesure, selon <em>La Presse</em>, du nombre de personnes « qui ont reçu la leçon de patriotisme qui se dégage des évocations des choses du passé, des chansons, des contes et des danses de nos pères » (3 décembre 1920, 13). Les spectateurs de l'événement du 25 novembre ont ingéré cette « leçon de patriotisme » non seulement métaphoriquement, par le son et la vue, mais aussi littéralement, en mangeant gratuitement de la tire Sainte-Catherine distribuée par l'homme d'affaires montréalais Ludger Gravel.</p> <p>Ce qui avait commencé comme une expérience s'est transformé en une formule théâtrale très réussie. « Retentissantes <span>[</span>...<span>]</span> » écrit Gustave Baudouin, « partout, on désire les entendre et l'accueil est enthousiaste » (<em>L'action française</em>, mars 1921, 167). Les veillées du Monument-National attirent un échantillon de la population urbaine bien au-delà de la cible initiale de Barbeau et Massicotte, à savoir l'élite cultivée. Certains spectateurs étaient jeunes et espéraient apprendre les coutumes de leurs ancêtres, tandis que d'autres étaient plus âgés et se souvenaient du temps passé. <em>La Presse</em> décrit une foule tapageuse, vraisemblablement issue de la classe ouvrière, qui tape avec enthousiasme sur les rythmes des airs de violon et des chansons avec ses talons en avril 1920 et qui exige une présence policière aux entrées et aux sorties en novembre 1920. Pourtant, le public comptait également de nombreux amateurs de musique d'art qui applaudissaient avec enthousiasme les parties de la soirée consacrées au « folklore artistique ».</p> <h2 id="folklore-artistique-et-exécutants-du-terroir" class="unnumbered">Folklore artistique et exécutants du terroir</h2> <p>Barbeau a plaidé - à une époque où la culture musicale classique du Québec était encore jeune (voir Thompson 2015) - pour une nouvelle musique d'art nationale basée sur la musique rurale des canadiens-français ; les représentations de folklore artistique de chaque veillée étaient destinées à démontrer le potentiel de composition issu de la tradition (voir Willis et Kallmann 2007). Incorporer des airs de violon dans la musique d'art, c'est aller au-delà des classes sociales et des circonstances économiques. Les veillées de Barbeau et Massicotte ont utilisé le langage de l'élévation : elles ont rassemblé des textes linguistiques et musicaux dans le but d'extraire ces textes de la vie culturelle rurale et de les réintégrer dans le grand art. Elles ont soigneusement situé les spectacles du terroir dans un cadre muséal, en commençant la plupart des veillées par un exposé sur les traditions populaires et en présentant chaque artiste du terroir par âge, lieu d'origine et profession, et chaque chanson, danse, histoire ou air par des détails historiques et techniques. Ces informations avaient pour but de rehausser la valeur perçue des interprètes et du répertoire du terroir (<em>La Canadienne</em>, juillet-août 1921, 8).</p> <p>Bien que ces introductions aient fourni une importante mise en contexte, le discours plus large - celui des performances du terroir comme matière première pour la musique d'art - a contribué à dévaloriser les exécutants du terroir en les positionnant comme des porteurs temporaires, et inadéquats, de mélodies qui appartenaient à juste titre à la nation dans son ensemble. Pourtant, les décisions de programmation de Massicotte et Barbeau suggèrent que les exécutants du terroir étaient le principal attrait pour de nombreux spectateurs. Après avril 1919, plusieurs veillées ne présentent qu'un seul soliste de « folklore artistique », même si le nombre d'exécutants du terroir augmente - jusqu'à dix-neuf pour les soirées du 25 novembre et 2 décembre 1920. (En général, Barbeau engage moins d'exécutants du terroir pour les veillées à l'extérieur de la ville que Massicotte pour les veillées à Montréal).</p> <p>Barbeau et Massicotte ont conçu leurs veillées comme un aperçu d'un passé idéalisé dans le but de rajeunir la musique d'art canadienne-française, et n'ont probablement jamais anticipé les profondes réactions émotionnelles que leurs mises en scène allaient provoquer. <em>La Presse</em> a décrit un public presque en pâmoison devant le décor rustique, qui comprenait des objets tels qu'un berceau, un banc, un lit et des cardeurs de laine. « À chaque objet que M. Marius Barbeau montrait, le public trépignait de joie et chacun répétait le nom de l'objet : 'Ah ! regardez-moi donc ça ! Un vrai rouet ! » (30 avril 1920, 7). Dans un tel contexte, les porteurs de tradition de la veillée, dont beaucoup étaient des septuagénaires et des octogénaires, étaient à la fois objet - antiquités vivantes, semblables aux accessoires de scène - et guide, capable d'entraîner un public consentant dans un lieu et un temps imaginés.</p> <div class='spip_document_518 spip_document spip_documents spip_document_image spip_documents_center spip_document_center spip_document_avec_legende' data-legende-len="69" data-legende-lenx="xx" > <figure class="spip_doc_inner"> <a href='https://mnemo.qc.ca/IMG/jpg/leroux_isaie-2.jpg' class="spip_doc_lien mediabox" type="image/jpeg"> <img src='https://mnemo.qc.ca/local/cache-vignettes/L500xH657/leroux_isaie-2-a1b96.jpg?1702937979' width='500' height='657' alt='' /></a> <figcaption class='spip_doc_legende'> <div class='spip_doc_descriptif '>Le gigueur Isaïe Leroux, un habitué des Veillées du bon vieux temps </div> </figcaption></figure> </div><h2 id="les-imitations-burlesques" class="unnumbered">Les imitations burlesques</h2> <p>En juillet-août 1921, <em>La Canadienne</em> conclut son portrait de la Section du Québec par un avertissement aux lecteurs : « Il ne faut pas confondre les soirées que <span>[</span>la Section du Québec<span>]</span> organise avec les imitations, qui prêtent plutôt au burlesque qu'à l'exposé fidèle et vécu des touchantes traditions de notre population ». Il s'agit probablement des <em>Veillées du bon vieux temps</em> organisées par les acteurs et chanteurs Conrad Gauthier et Arthur Lapierre. Leurs veillées empruntent beaucoup à celles de la section québécoise, mais sont ouvertement populistes.</p> <p>Gauthier produit ses <em>Veillées du bon vieux temps</em> au Monument-National jusqu'au début des années 1940. (La participation de Lapierre prend fin au milieu des années 1920 ; voir Thérien, 1998.) Ces mises en scène n'ont guère d'attrait pour l'élite culturelle de la ville et une critique parue dans <em>La Lyre</em> en mars 1925 demande qu'on mette fin à « cette ridicule et inutile parade de 'canayens' en tuques carottées, en pantalons rapiécés, en chemises d'étoffe du pays, et en souliers de bœuf » (Fabio, <em>Le Mois Théatral</em>, <span>[</span>11<span>]</span>). Pourtant, ce sont les veillées de Gauthier qui perdurent. En quelques années, il a mis en place une jeune génération d'exécutants du terroir qui se sont fait connaître non seulement sur scène, mais aussi à la radio et sur disque, et ont ainsi défini une grande partie du répertoire de base de la musique traditionnelle québécoise. Des icônes musicales telles qu'Isidore Soucy, Donat Lafleur, Alfred Montmarquette et Mary Travers, alias La Bolduc, se produisaient toutes dans les <em>Veillées du bon vieux temps</em> de Gauthier (Labbé 1995, 142, 182, 231 ; Bellemare 2012, 169-75). Dans cette section, je me concentre sur les premières années de ces veillées, alors qu'elles faisaient concurrence aux veillées de Barbeau et de Massicotte, qu'elles ont finalement remplacées.</p> <p>Gauthier et Lapierre ont produit leur première « soirée de folklore canadien », intitulée <em>À la bonne franquette</em>, à la salle Sainte-Brigide de Montréal. La plupart des interprètes du terroir qu'ils engagent pour cette veillée et celles qui suivront en 1921 et 1922 sont des trouvailles de Barbeau et Massicotte. Ils copient également le répertoire et les accessoires en toute impunité et offrent même de la tire aux spectateurs le jour de la Sainte-Catherine (<em>La Presse</em>, 19 novembre 1921, 4).</p> <p>Les veillées de Gauthier et Lapierre avaient des objectifs fondamentalement différents de ceux des veillées de Massicotte et Barbeau. Les secondes équilibraient divertissement et édification ; les premières étaient un pur divertissement et étaient probablement influencées dans leur format et leurs caractéristiques par les spectacles de vaudeville et de ménestrel contemporains. Les seconds présentaient les exécutants du terroir comme des pièces de musée ; les premiers intégraient leurs performances dans un cadre théâtral. Les seconds séparaient les exécutants du terroir et les exécutants artistiques et encourageaient la composition de musique d'art basée sur des éléments folkloriques ; les premiers éliminaient complètement le « folklore artistique ».</p> <p>Pour <em>À la bonne franquette</em>, reprise au Monument-National le 21 avril 1921, Gauthier écrit une série de scènes évoquant la vie d'autrefois au Canada français. Il joue le rôle principal et engage un petit groupe d'acteurs professionnels, mais les vedettes sont les chanteurs, les danseurs, les conteurs et les violoneux du terroir, et Gauthier semble avoir construit ses scènes autour de leurs répertoires (<em>La Presse</em>, 22 avril 1921, 21).</p> <p>Les veillées suivantes de Gauthier placent de la même façon le répertoire du terroir au sein de représentations théâtrales de festivités rurales, généralement liées à la date de la représentation : Mardi Gras, Noël, une épluchette de blé d'inde à l'automne, une sucrerie au printemps. Pour la veillée du 24 novembre 1921, par exemple, il est l'auteur d'une comédie en deux actes intitulée <em>La Sainte-Catherine</em>. Le premier acte emprunte généreusement à <em>Consultations gratuites</em>, une farce de Régis Roy dans laquelle un jeune dentiste montréalais se réconcilie avec son père habitant dont il s'est séparé. Dans le deuxième acte, le père organise une veillée dans son village natal de Saint-Jacques-de-l'Achigan. Là, les interprètes du terroir de Gauthier dansent la « danse du matelot » (présentée l'année précédente à la « Veillée de la Sainte-Catherine » de la section du Québec), des menuets et des danses champêtres ; deux comédiennes dansent le <em>Ballet des roses</em>. Gauthier interprète des chansons traditionnelles canadiennes-françaises et Lapierre et les comédiens Sylva Alarie et Armand Lefebvre chantent les <em>Soirées de Québec</em> d'Ernest Gagnon (<em>La Presse</em>, 25 novembre 1921, 14). Ces dernières prestations ne relèvent ni du terroir ni du folklore artistique, mais se comprennent probablement mieux dans le contexte du nombre croissant de chanteurs professionnels, comme Charles Marchand, qui, dans la foulée du succès des veillées de la Section du Québec, présentaient des récitals de chansons folkloriques en langage populaire et en costume (De Surmont 2005 ; Potvin 2007).</p> <p>Barbeau et Massicotte n'avaient que mépris et désapprobation pour Gauthier et ses veillées. Dans un article résumant le travail de la Section du Québec, parlant de folklore, Barbeau fait allusion à « ceux qui se mirent, pour des fins purement personnelles, à le vulgariser et à l'exploiter sans discernement » (<em>La Presse</em>, 25 février 1922, supplément du samedi, K, M). Dans sa correspondance privée, Massicotte est encore plus direct : « Faudrait empêcher Gauthier de récolter ce que nous avons semé », écrit-il à Barbeau le 27 mars 1922. « Il se fait passer pour le représentant accrédité du folklore canadien ». Près d'une décennie plus tard, il semble que la rancœur de Massicotte n'ait pas diminué ; dans une lettre adressée à Barbeau le 3 janvier 1930, il regrette que « certains types se soient acquis une renommée que je crois surfaite et ils ont présenté nos vieilles choses d'une façon qui m'humilie. On ne vise qu'à faire de l'argent et à faire parler de soi » (Archives de Folklore de l'Université Laval, fonds Édouard-Zotique Massicotte).</p> <p>Une différence cruciale entre les veillées de la Section du Québec et celles de Gauthier réside dans l'utilisation du langage. Les premières limitaient soigneusement le langage populaire aux textes de chansons et de contes, qu'elles entouraient d'explications savantes en « bon français ». Les spectateurs de la classe ouvrière trouvaient probablement ces explications ennuyeuses - sinon, pourquoi un critique de <em>La Presse</em>, un quotidien de la classe ouvrière, aurait-il eu besoin de justifier à plusieurs reprises les éléments pédagogiques des veillées (26 novembre 1920, 13) - mais pour les membres éduqués du public, ce cadrage offrait le frisson de regarder par-dessus un fossé socio-économique depuis la sécurité d'une classe privilégiée. Aux veillées de Gauthier, en revanche, selon une critique de Fabio dans <em>La Lyre</em>, un magazine culturel, « on y parle une langue farcie des plus atroces anglicismes » (mars 1925, <span>[</span>11<span>]</span>). La langue populaire permet d'identifier instantanément la classe sociale - dans <em>Consultations gratuites</em>, le père à la voix rauque interprète le français érudit de son fils comme un signe de réussite matérielle dans la ville - et l'utilisation intensive par Gauthier d'idiomes populaires indique probablement aux spectateurs éduqués qu'ils ne sont pas son public cible. Le désaccord sur les mérites des veillées de Gauthier ne porte pas sur le répertoire musical, mais sur la langue : <em>La Presse</em> tolère l'utilisation d'idiomes populaires, soutenant qu'elle sert à « rendre plus complète l'illusion » (7 novembre 1922, 21), tandis que dans <em>La Lyre</em>, Fabio écrit sur un ton de dégoût et de consternation que « si vraiment nos pères avaient cette grossièreté de langage et de tenue, je demanderais à M. Conrad Gauthier d'en priver désormais la scène canadienne-française ». Pourtant, c'est cette mise en scène quasi burlesque du folklore qui a perduré vingt ans et qui, à bien des égards, a façonné l'imagerie de la musique traditionnelle jusqu'à nos jours.</p> <p> Vous pouvez télécharger l'imposant <i>Tableau des veillées mises en scène de mars 1919 à novembre 1922</i></p> <div class='spip_document_519 spip_document spip_documents spip_document_file spip_documents_center spip_document_center spip_document_avec_legende' data-legende-len="33" data-legende-lenx="x" > <figure class="spip_doc_inner"> <a href='https://mnemo.qc.ca/IMG/pdf/tableau-veillees-laura-risk.pdf' class=" spip_doc_lien" title='PDF - 72.3 kio' type="application/pdf"><img src='https://mnemo.qc.ca/local/cache-vignettes/L64xH64/pdf-b8aed.svg?1696346168' width='64' height='64' alt='' /></a> <figcaption class='spip_doc_legende'> <div class='spip_doc_titre '><strong>Tableau-Veillees-Laura-Risk.pdf </strong></div> </figcaption></figure> </div><h2 id="références" class="unnumbered">Références</h2> <p><span>[</span>BARBEAU, Marius, et Édouard-Zotique Massicotte<span>]</span>. 1920. <em>Veillées du bon vieux temps à la Bibliothèque Saint-Sulpice, à Montréal, les 18 mars et 24 avril 1919 sous les auspices de la Société historique de Montréal et de la Société de folklore d'Amérique</em>. Montreal : G. Ducharme.</p> <p>BARBEAU, Marius. 1919. “Notes et enquêtes : La première séance annuelle de la Section de Québec.” <em>The Journal of American Folk-Lore</em> 32 (123) : 181–3.</p> <p>BELLEMARE, Luc. 2012. “Les réseaux des ‘Lyriques' et des ‘Veillées' : une histoire de la chanson au Québec dans l'entre-deux-guerres par la radiodiffusion au poste ckac de Montréal (1922–1939).” PhD diss., Université Laval.</p> <p>DE SURMONT, Jean-Nicolas. 2005. “Marchard, Charles.” Dans le <em>Dictionnaire biographique du Canada</em> 15. Université Laval/University of Toronto, 2003. <a href="http://www.biographi.ca/fr/bio/marchand_charles_15F.html">Accédé le 29 novembre 2015</a>.</p> <p>DUVAL, Jean. 2012. “Porteurs de pays à l'air libre : jeu et enjeux des pièces asymétriques dans la musique traditionnelle du Québec.” PhD diss., Université de Montréal.</p> <p>FABIO. 1925. “Le Mois Théâtral.” <em>La Lyre</em> 3 (29) : 11.</p> <p>GUILBERT, Daniel. 2010–12. “La légende des ‘Veillées du bon vieux temps.'” En quatre parties. <a href="http://mnemo.qc.ca/bulletin-mnemo/article/la-legende-des-veillees-du-bon"><em>Bulletin Mnémo</em> 12 (4)</a> ; <a href="http://mnemo.qc.ca/bulletin-mnemo/article/la-legende-des-veillees-du-bon-vieux-temps-2e-partie"><em>Bulletin Mnémo</em> 13 (1) ;</a> <a href="http://mnemo.qc.ca/bulletin-mnemo/article/la-legende-des-veillees-du-bon-vieux-temps-3e-partie"><em>Bulletin Mnémo</em> 13 (4)</a>, <a href="http://mnemo.qc.ca/bulletin-mnemo/article/la-legende-des-veillees-du-bon-vieux-temps-4e-partie-suite-et-fin"><em>Bulletin Mnémo</em> 14 (1).</a> Accédé le 19 août 2019.</p> <p>JOLY, Diane. 2012. “(En)Quête de patrimoine au canada français 1882–1930 : Genèse du concept et du processus de patrimonialisation.” PhD diss., Université Laval.</p> <p>LABBÉ, Gabriel. 1995. <em>Musiciens traditionnels du Québec (1920–1993).</em> Montreal, QC, VLB</p> <p>NOWRY, Laurence. 1995. <em>Marius Barbeau : Man of Mana, a Biography</em>. Toronto, ON, NC Press Ltd.</p> <p>POTVIN, Gilles. 2007. “Charles Marchand.” dans <em>The Canadian Encyclopedia</em>. Article publié le 9 mai. <a href="http://www.thecanadianencyclopedia.ca/en/article/charles-marchand-emc/"> <em><em>Accédé le 23 novembre 2015</em></em></a>.</p> <p>THÉRIEN, Robert. 1998. “Arthur Lapierre, singer, folk musician, and actor <em>(circa 1888- ?)</em>. Archives nationales du Canada. <a href="https://www.bac-lac.gc.ca/eng/discover/films-videos-sound-recordings/virtual-gramophone/Pages/arthur-lapierre-bio.aspx">Accédé le 23 novembre 2015</a>.</p> <p>WILLIS, Stephen C., et Helmut Kallmann. 2007. “Folk-Music-Inspired Composition.” Dans <em>The Canadian Encyclopedia</em>. Article publié le 20 août. <a href="http://www.thecanadianencyclopedia.ca/en/article/folk-music-inspired-composition-emc/"><em><em>Accédé le 23 novembre 2015</em></em></a>.</p> <h2 id="archives" class="unnumbered">Archives</h2> <p>Archives de Folklore de l'Université Laval. Fonds Édouard-Zotique Massicotte.</p> <p>Musée canadien de l'histoire, Archives. Fonds Marius Barbeau et fonds Carmen Roy. : <a href="http://www.historymuseum.ca/research-and-collections/library-and-archives/archival-collections/"><em><em>sélection disponible en ligne.</em></em></a></p> <section class="footnotes"> <hr /> <ol> <li id="fn1"> <p>Merci à Louise Perron pour cette information.<a href="#fnref1" class="footnote-back">↩</a></p> </li> <li id="fn2"> <p>Communauté innue du Saguenay–Lac-Saint-Jean. À ma connaissance on n'a pas de description de cette danse telle qu'observée, sans doute, par Guy Thomas. Celui-ci avait effectivement procédé à des collectes en danse au milieu des années soixante. Voir <a href="http://mnemo.qc.ca/bulletin-mnemo/article/rencontre-avec-un-homme-fier-et"><em>Rencontre avec un homme fier et doux : Guy Thomas</em></a>, Pierre Chartrand, Bulletin Mnémo, 2010.<a href="#fnref2" class="footnote-back">↩</a></p> </li> <li id="fn3"> <p>C'est Normand Legault, qui avait participé au projet de tournage, qui m'avait remis une copie VHS du film.<a href="#fnref3" class="footnote-back">↩</a></p> </li> <li id="fn4"> <p>Centre national de recherche scientifique, en France.<a href="#fnref4" class="footnote-back">↩</a></p> </li> <li id="fn5"> <p>Film de Philippe Lavalette, chez la famille Ferland de Saint-Sylvestre. Images : Philippe Lavalette. Son : André Dussault. Montage : François Liffran. Avec la collaboration du CELAT de l'Université Laval, de Claude Gaignebet, de Jean-Dominique Lajoux et de Normand Legault. Coproduction SERDDAV, Films du Ruisseau frais, et le CNRS audiovisuel.<a href="#fnref5" class="footnote-back">↩</a></p> </li> <li id="fn6"> <p>Fameuse épopée finnoise composée au 19e siècle, par Elias Lönnrot, qui est un <em>assemblage de poèmes populaires authentiques recueillis entre 1834 et 1847 dans les campagnes finlandaises...</em> <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Kalevala">https://fr.wikipedia.org/wiki/Kalevala</a><a href="#fnref6" class="footnote-back">↩</a></p> </li> <li id="fn7"> <p><em>La Tradition de danse en Béarn et Pays basque français</em>, Jean-Michel Guilcher, Édition de la Maison des sciences de l'Homme, Paris, 1984.<a href="#fnref7" class="footnote-back">↩</a></p> </li> <li id="fn8"> <p><em>Études rurales</em> , juillet-décembre 2011, No. 188, Archéogéographie et disciplines voisines, pp. 205-221, publié par EHESS : <a href="https://www.jstor.org/stable/23345150">https://www.jstor.org/stable/23345150</a><a href="#fnref8" class="footnote-back">↩</a></p> </li> <li id="fn9"> <p>Serdeczny donne ces références : pour la Souabe, voir E.H. Meier, Deutsche Sagen, Sitten und Gebräuche aus Schwaben, Stuttgart, 1852 ; pour la Pologne, voir E. Seefried-Gulgowski, Von einem unbekannten Volke in Deutschland, Berlin, 1911 ; pour le Pays basque, voir G. Hérelle, « Les mascarades soulétines », Revista internacional de estudios vascos VIII, 1924 ; pour l'Alsace, voir Encyclopédie de l'Alsace, vol. 4.<a href="#fnref9" class="footnote-back">↩</a></p> </li> <li id="fn10"> <p>Consultez <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Soufflaculs">Wikipédia</a><a href="#fnref10" class="footnote-back">↩</a></p> </li> <li id="fn11"> <p>Serait-ce lié à notre danse du batteux ?<a href="#fnref11" class="footnote-back">↩</a></p> </li> <li id="fn12"> <p>Vous pouvez écouter cette chanson interprétée par le groupe <em>Hommage aux aînés</em> ici <a href="https://youtu.be/LF2ZQ6u48Ws">https://youtu.be/LF2ZQ6u48Ws</a> et même acheter leur CD ici : <a href="https://www.librairiemartin.com/Musiques/Hommage-aux-aines-Si-Mignonnement/4-2-63/10599/Traditionnelle">https://www.librairiemartin.com/Musiques/Hommage-aux-aines-Si-Mignonnement/4-2-63/10599/Traditionnelle</a><a href="#fnref12" class="footnote-back">↩</a></p> </li> <li id="fn13"> <p>Titre du Catalogue Laforte : <em>Les gants</em> (N-28) et chez Coirault <em>Les gants à porter trois fois l'an</em>, 4517<a href="#fnref13" class="footnote-back">↩</a></p> </li> <li id="fn14"> <p><em>Chants et chansons populaires des provinces de l'Ouest : Poitou, Saintonge, Aunis et Angoumois, avec les airs originaux</em>. Tome 1, recueillis et annotés par Jérome Bujeaud. Éditeur : L. Clouzot (Niort)1895. <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9708179q/f187.item#">https://gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k9708179q/f187.item#</a><a href="#fnref14" class="footnote-back">↩</a></p> </li> <li id="fn15"> <p>Cote CERDO : 003614_03. Titre : <em>Avant-deux avec annonces joué au violon</em> par Albert Girardeau. POITOU-CHARENTES, canton de Cerizay, La Forêt-sur-Sèvre (Saint-Marsault).<a href="#fnref15" class="footnote-back">↩</a></p> </li> </ol></div> Gigue irlandaise, ports de bras et danses de pas https://mnemo.qc.ca/bulletin-mnemo/article/gigue-irlandaise-ports-de-bras-et-danses-de-pas https://mnemo.qc.ca/bulletin-mnemo/article/gigue-irlandaise-ports-de-bras-et-danses-de-pas 2023-10-12T23:05:17Z text/html fr CHARTRAND Pierre <p>Gigue irlandaise et légendes urbaines <br class='autobr' /> Il est fréquent d'entendre que les bras fixes des gigueurs irlandais sont directement reliés à des interdits de l'Église, ou des conquérants anglais, ou à des vents violents qui font voler les jupes des danseuses, ou… <br class='autobr' /> Ainsi les gigueurs irlandais auraient eu la formidable idée de coller les bras à leur tronc pour que le curé ne s'aperçoive de rien en passant devant la fenêtre de leur maison. À moins que le curé ne se dise “il a bien les bras collés (...)</p> - <a href="https://mnemo.qc.ca/bulletin-mnemo/" rel="directory">Bulletin Mnémo</a> <div class='rss_texte'><h2 id="gigue-irlandaise-et-luxe9gendes-urbaines" class="unnumbered">Gigue irlandaise et légendes urbaines</h2> <p><span class="lettrine">I</span><span>l</span> est fréquent d'entendre que les bras fixes des gigueurs irlandais sont directement reliés à des interdits de l'Église, ou des conquérants anglais, ou à des vents violents qui font voler les jupes des danseuses, ou…</p> <p>Ainsi les gigueurs irlandais auraient eu la formidable idée de coller les bras à leur tronc pour que le curé ne s'aperçoive de rien en passant devant la fenêtre de leur maison. À moins que le curé ne se dise “il a bien les bras collés au corps celui-là, il doit être en train de giguer !”</p> <p>Le conquérant anglais aurait interdit la pratique de la danse. Quelqu'un a-t-il déjà trouvé un texte sur ces fameux interdits (avis légaux, articles de journal, etc.) ? Pourquoi interdire la danse chez les Irlandais ? et pourquoi la gigue et non pas aussi toutes les autres types de danses (sets, quadrilles, polkas…) dont la pratique est authentifiée au 19e s.?<span class="spip_note_ref"> [<a href="#nb2-1" class="spip_note" rel="appendix" title="Il y a bien sûr eu le Public Dance Hall Act de 1935 interdisant les danses (...)" id="nh2-1">1</a>]</span></p> <p>Quant aux filles qui dansent les bras collés au corps pour retenir leur jupes qui volent au vent, c'est peut-être charmant, mais les gars en pantalon qu'en fait-on ?</p> <p>L'édition du 13 avril 2017 du journal <em>La Presse</em> de Montréal (section ARTS, écran 8) dans un article intitulé « L'Irlande danse au Québec » <em>Si vous vous demandiez pourquoi les artistes du tap dance <span>[</span>sic<span>]</span> ont toujours les bras collés au corps, il faut remonter au XIIe siècle. À cette époque, l'occupant anglais ne tolérait pas de manifestation de la culture locale. Ainsi, les Irlandais qui voulaient danser se plaçaient derrière un bar ou à leur fenêtre, gardaient le buste raide et laissaient leurs jambes s'exprimer</em>. — La Presse</p> <p>La gigue et le bar au 12e siècle : l'imagination est féconde !<span class="spip_note_ref"> [<a href="#nb2-2" class="spip_note" rel="appendix" title="On a cependant trouvé une séquence vidéo qui montre un imperturbable (...)" id="nh2-2">2</a>]</span></p> <p>On voit bien que toutes ces hypothèses ne tiennent à rien, et ne sont basées sur aucune source. Comme me disait mon tuteur à la maîtrise (J-M Guilcher) « ça nous prend 5% ou 10% d'hypothèses, et 90% de faits » (cité de mémoire). Dans le cas présent on est dans les 100% d'hypothèses et 0% de sources.</p> <h2 id="de-quoi-parle-t-on" class="unnumbered">De quoi parle-t-on ?</h2> <p>Quel est l'objet de ces multiples théories sur les bras fixes de la gigue irlandaise ? Parle-t-on de danse irlandaise ancienne ? de collectes de danses traditionnelles ? d'iconographie du 19e s.? On devine que ces amusantes élucubrations sont en fait issues de l'observation de la danse de compétition irlandaise, forme moderne s'il en est !</p> <p>La Gaelic League (Conradh na Gaeilge) fondée en 1893 initiera le <em>revival</em> de plusieurs traditions irlandaises et sera à la base de la création de la <em>An Coimisiún le Rincí Gaelacha</em> (Commission de la danse irlandaise) dans les années 1930. C'est à cette époque que la Commission commencera à standardiser la gigue de compétition, prescrivant les bras collés au corps (et parfois les mains sur les hanches), des 5e positions avec ouverture, un grande amplitude des sauts, avec certains tempi qui ralentiront de décennies en décennies, etc.</p> <p>Le livre d'Helen Brennan nous offre d'intéressants témoignages sur le sujet<span class="spip_note_ref"> [<a href="#nb2-3" class="spip_note" rel="appendix" title="Brennan, Helen. 1999. The Story of Irish Dance. Dingle, Co. Kerry : (...)" id="nh2-3">3</a>]</span> :</p> <blockquote class="spip"> <p>Early accounts tell of the dancing masters attempts to deter "Paddy" from raising his arms and clicking his fingers, movements which were part of the earlier dance style and arose naturally in the course of an exuberant jig or reel. Indeed, accounts of "moneen" jigs in Kerry in the mid-nineteenth century confirm this use of arms movements. During the debates in the Gaelic league in the early 1900s on the authenticity of dance style, the question of arm movement was raised, so to speak. A "Special Correspondent" in the Mayo newspaper the <i>Western People</i> writes :<br>- « Personally I am not inclined to favour rigidity of the arms as I lean to the conviction that the arms played an important part in old Irish dancing . I saw an old man dancing at a country celebration. His style was traditional if anything was. He was certainly a splendid dancer. His arms swung, rose and fell in rhythmic motion, and the effect was admirable. »</p> <p>Joe O'Donovan, the dancing master of Cork, who is still teaching<span class="spip_note_ref"> [<a href="#nb2-4" class="spip_note" rel="appendix" title="Joe O'Donovan (1910-2008) était encore vivant lors de la sortie du livre (...)" id="nh2-4">4</a>]</span> says that the older dancing masters used to weigh down their male pupils' hands with stones if they showed a tendency towards arms movements. As late as 1946, a woman from Limerick said that girls danced with the right hand on the hip in her young days and that she did the same until some adjudicator spoke against it<span class="spip_note_ref"> [<a href="#nb2-5" class="spip_note" rel="appendix" title="Margareth Murphy, (née Maggie Mc Donnell). Thomondgate, Limerick, 1946, (...)" id="nh2-5">5</a>]</span>. It would seem that the tendency of some dancers in the Connemara <i>sean-nós</i> tradition to raise their arms to shoulder heigh or even higher is an indication of the lack of influence of the dancing masters in this region<span class="spip_note_ref"> [<a href="#nb2-6" class="spip_note" rel="appendix" title="Mes remerciements à Samantha Jones de m'avoir rappelé ce passage lu il y a (...)" id="nh2-6">6</a>]</span>.</p> </blockquote> <p>Ma traduction rapide :</p> <blockquote class="spip"> <p>D'anciens témoignages racontent que des maîtres à danser tentaient de dissuader "Paddy" de lever les bras et de claquer des doigts, mouvements qui faisaient partie de l'ancien style de danse, et qui se manifestaient naturellement au cours d'une Jig ou d'un Reel exubérant. En effet, des récits de « moneen » jigs dans le Kerry du milieu 19e siècle confirment cette utilisation des mouvements de bras. Au début des années 1900, la question du mouvement des bras a été soulevée dans des débats portant sur l'authenticité du style de danse au sein de la Ligue Gaélique. Un "Correspondant Spécial" du journal « Western People » du comté de Mayo écrit :</i></p> <p>« Personnellement, je ne suis pas enclin à privilégier la rigidité des bras, car je suis convaincu que les bras ont joué un rôle important dans l'ancienne danse irlandaise. J'ai vu un vieil homme danser lors d'une fête à la campagne. Son style, s'il en est un, était fort traditionnel. Il était sans conteste un danseur magnifique. Ses bras se balançaient, se soulevaient et tombaient en mouvements rythmiques, et l'effet était admirable ».</i></p> <p>Joe O'Donovan, le maître de danse de Cork, qui enseigne toujours, dit que les anciens maîtres à danser alourdissaient les mains de leurs élèves masculins avec des cailloux, s'ils manifestaient une tendance à bouger les bras. Pas plus tard qu'en 1946, une femme de Limerick disait que, dans sa jeunesse, les filles dansaient avec la main droite sur la hanche, et qu'elle le fit jusqu'à ce qu'un arbitre [lié aux compétitions de danse] se prononce contre cette pratique. Il semblerait que la tendance de certains danseurs de sean-nós du Connemara à lever les bras au-dessus des épaules, voire plus, témoigne du manque d'influence des maîtres à danser dans cette région.</i></p> </blockquote> <p> Le témoignage de Joe O'Donovan nous indique que l'enseignement plus formel des maîtres à danser avait déjà tendance à prescrire, au début du siècle, des bras immobiles le long du corps. L'article du <i>Western People</i> et la citation de Margareth Murphy nous démontre l'utilisation des bras libres, particulièrement dans les comtés occidentaux de l'Irlande (Mayo et Connemara étant au nord-ouest de l'Irlande).</p> <p>On voit donc qu'expliquer une position moderne de bras<br class='autobr' /> (début-milieu 20e siècle) par des interdictions datant du 19e sinon du 12e siècle ne tient guère la route.</p> <p>La forme plus traditionnelle (non compétitive) de la gigue irlandaise s'est poursuivie dans certaines régions d'Irlande sous le nom actuel de <em>Sean-nós</em> (signifiant à peu près <em>vieux style</em>). Il y a d'ailleurs un engouement depuis deux ou trois décennies pour le <em>Sean-nós</em>, en partie en réaction à l'omniprésence de la gigue de compétition. Cette dernière est souvent la seule médiatisée, celle qu'on voit sur les scènes internationales dans des spectacles comme <em>Riverdance</em>, et aussi enseignée dans quantité de pays selon les normes de la <em>Commission of Irish Dancing</em>, et qui fait l'objet des grandes compétitions internationales (World Irish Dancing Championships).<span class="spip_note_ref"> [<a href="#nb2-7" class="spip_note" rel="appendix" title="Montréal accueillit d'ailleurs cette compétition internationale en 2015 (...)" id="nh2-7">7</a>]</span></p> <p>Les bras fixes et rigides le long du corps sont donc un ajout récent dans la gigue irlandaise, essentiellement lié à la danse de compétition, et qui s'est imposé internationalement comme référence principale de la danse irlandaise par les grands spectacles et les compétitions qui regroupent souvent 5000 ou 6000 danseurs.</p> <p>Mais comment plaçait-on les bras avant le milieu du siècle dernier ? et quelle image avait le commun des mortels de la danse irlandaise ? Une petite recherche iconographique pourra nous donner des pistes de réponses.</p> <h2 id="liconographie-de-la-gigue-irlandaise-fin-19e---duxe9but-20e-siuxe8cles." class="unnumbered">L'Iconographie de la gigue irlandaise fin 19e - début 20e siècles.</h2> <p>Comment représente-t-on la gigue irlandaise à la fin du 19e siècle et au début du 20e s., dans la peinture, la gravure, les cartes postales ?</p> <p><strong>- Voir Figures ci-dessous -</strong></p> <img src='https://mnemo.qc.ca/local/cache-vignettes/L500xH407/Wedding-danc87a1-3a668.png?1697151827' width='500' height='407' /> <p>MacDonald, D. (c. 1848) : A Wedding Dance, oil on canvas, 75.5 cm x 90 cm, Crawford Art Gallery, Cork City. (n'est pas explicitement identifiée comme de la gigue)</p> <p><img src='https://mnemo.qc.ca/local/cache-vignettes/L500xH762/Gigueuse-irl645d-d0d15.jpg?1697151827' width='500' height='762' /> <br>Glenarm, Co. Antrim, 1904 (Bigger Collection, Ulster Museum), tiré du livre « The Story of Irish Dance » d'Helen Brennan, p. 48</p> <p><img src='https://mnemo.qc.ca/local/cache-vignettes/L491xH869/irish-jig-2jb395-e4ca2.jpg?1697151827' width='491' height='869' /> <br>1889, Irish Jig, from National Dances (N225, Type 1) issued by Kinney Bros.</p> <p><img src='https://mnemo.qc.ca/local/cache-vignettes/L500xH493/Litho-Irish-7aaa-c117b.png?1697151827' width='500' height='493' /> <br>Lithographie circa 1905 : Irish St. Patrick's Day</p> <p><img src='https://mnemo.qc.ca/local/cache-vignettes/L474xH750/irish-jig1jp5264-16803.jpg?1697151827' width='474' height='750' /> <br>The Old Irish Jig, non-daté</p> <p><img src='https://mnemo.qc.ca/local/cache-vignettes/L324xH518/irish-jig-chfd0e-3d96d.jpg?1697151827' width='324' height='518' /><br> Chicago : The Regan Printing House, 1910</p> <p><img src='https://mnemo.qc.ca/local/cache-vignettes/L500xH350/Gigue-Irland576e-eeb55.jpg?1697151827' width='500' height='350' /><br>Gravure non-datée, sans doute l'inspiration de la figure précédente (1910)</p> <p><img src='https://mnemo.qc.ca/local/cache-vignettes/L500xH735/1913-carte-p17a0-d412a.jpg?1697151827' width='500' height='735' /><br>Carte postale pour la Saint-Patrick (1913)</p> <p>En faisant un rapide tour de l'iconographie de la gigue irlandaise de cette période on s'aperçoit qu'on représente presque toujours la gigue par un homme le bras levé, tenant un bâton dans sa main en l'air. Aucunes des illustrations trouvées montrent des danseurs ayant les bras collés au corps, et ce n'est pas faute d'en avoir cherchées (pour la période fin 19e - début 20e toujours). Les gigueuses ont le plus souvent les deux mains sur les hanches, ou seulement une. Une seule d'entre elles a le bras droit levé.</p> <p>Cela semble donc confirmer l'hypothèse de l'imposition des bras collés au corps par la Commission de danse irlandaise dans l'entre-deux-guerres (ou plus tard, selon les pays et régions).</p> <h2 id="les-danses-de-pas-en-europe-de-louest" class="unnumbered">Les danses de pas en Europe de l'Ouest</h2> <p><strong>- Voir Figures ci-dessous -</strong></p> <p>La présence du bâton dans le bras levé des illustrations précédentes ne peut que nous rappeler les divers types de danse de pas en Europe de l'Ouest, particulièrement dans la France au 19e siècle, mais aussi au pays basque par exemple, et qui ont survécus au 20e en gardant l'utilisation du bâton.</p> <p>Ces danses de pas sont essentiellement constituées de pas, en nombre assez important, souvent exécutées en solo, à l'opposé des danses de figures (contredanses, quadrilles) et sont fréquemment liées de près ou de loin à l'école française fin 18e s., comme c'est le cas par exemple avec les danses <em>Highland</em> écossaises. L'influence française sur celles-ci est évidente, mais elle est aussi perceptible dans la danse irlandaise. La fameuse étude <em>Danse irlandaise traditionnelle et danse française ancienne</em> de Naïk Raviart<span class="spip_note_ref"> [<a href="#nb2-8" class="spip_note" rel="appendix" title="Danse irlandaise traditionnelle et danse française ancienne in « Tradition (...)" id="nh2-8">8</a>]</span> le montre bien. Ces danses de pas ont été diffusées principalement par les maîtres à danser, itinérants ou non, dont la présence est bien attestée dans les Îles britanniques, incluant l'Irlande.</p> <blockquote> <p><em>Un apport qui s'apprécie différemment selon que l'on considère le nombre des éléments empruntés ou le rôle qu'ils jouent dans la danse. Du premier point de vue, la contribution française est somme toute modeste pour ce qui est des pas. Vient-on à considérer la fréquence de leur emploi et la fonction majeure qu'ils remplissent, tant dans les danses de solistes que dans la contredanse, il faut bien conclure qu'ils ont joué dans les renouvellements de la tradition irlandaise un rôle plus décisif que leur petit nombre ne permettrait d'abord de le penser.</em></p> </blockquote> <p>Naïk Raviart, <em>Danse irlandaise traditionnelle et danse française ancienne</em>, p.70.</p> <p>En ce qui concerne l'utilisation du bâton (canne, baguette, etc.), on le retrouve également dans les compétitions de danses de pas provençales, dont la la fameuse <em>Gigue anglaise</em>. Consultez la séquence vidéo suivante : <a href="https://youtu.be/-NNBqufQA7Q">Danse provençale : Gigue anglaise (2008)</a></p> <p>Les maîtres à danser des assauts de danse en Sarthe nous montre la même utilisation du bâton.</p> <p><img src="http://mnemo.qc.ca/images/Maitres-sarthois-Guillard-crop.jpg" style='max-width: 500px;max-width: min(100%,500px); max-height: 10000px'><br>Maîtres de danse sarthois, à la suite d'un Assaut de danse, en 1925, à Thoiré-sur-Dinan. De gauche à droite : Albert Simon, Marcel Simon, Louis Gauthier, Auguste Bône. Tiré de l'article de Yves Guillard « Un grand rêve : devenir maître de danse », paru dans le Cénomane en 1984</p> <p>Cette petite canne du maître à danser se retrouve par ailleurs dans les brevets de danse délivrés au 19e s. aux militaires, la danse faisant partie de leur formation.</p> <p><img src="http://mnemo.qc.ca/images/Brevet-de-danse2.jpg" style='max-width: 500px;max-width: min(100%,500px); max-height: 10000px'><br> Brevet de danse délivré en août 1857</p> <p><img src='https://mnemo.qc.ca/local/cache-vignettes/L449xH752/Brevet2-deta34a7-37c4d.jpg?1697151827' width='449' height='752' /><br>Détail du brevet de 1857</p> <p>On pourrait aussi penser à la canne-pochette du maître à danser du 18e (voir <a href="https://www.canesegas.com/accessibilite/1.2_canne.pochette.html">page web à ce sujet</a>), sinon du bâton du maître à danser au 19e. tel que dans <em>La classe de danse</em> <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Maître_de_ballet#/media/File:Degas-_La_classe_de_danse_1874.jpg">peinte par Degas par exemple</a>. Une étude indépendante sur cet article du maître à danser et ses répercussions sur diverses pratiques traditionnelles reste à faire.<span class="spip_note_ref"> [<a href="#nb2-9" class="spip_note" rel="appendix" title="À moins qu'elle n'ait été faite. Nous n'avons rien trouvé à ce sujet pour (...)" id="nh2-9">9</a>]</span></p> <p>Il n'en reste pas moins que la gigue irlandaise fait partie de cette famille des danses de pas développées en Europe de l'Ouest aux 18e et 19e siècles. L'utilisation d'une canne ou d'un bâton pour l'exécution de ces danses a comme effet de donner une tenue aux bras, en imposant leur immobilité (ce n'est pas tout à fait le cas pour la <em>Gigue Anglaise</em> provençale)<span class="spip_note_ref"> [<a href="#nb2-10" class="spip_note" rel="appendix" title="Comme vous avez pu l'observer dans la vidéo citée plus haut" id="nh2-10">10</a>]</span> afin<br class='autobr' /> d'attirer toute l'attention sur les <i>batteries</i> de pas qui se succèdent souvent à vive allure. Ces danses d'école, enseignées de façon formelle et structurée, avec de multiples enchaînements de pas, ont toutes plus ou moins opté pour des ports de bras fixes : sur les hanches, avec un ou deux bras en l'air, comme dans les danses Highland écossaises] afin d'attirer toute l'attention sur les <em>batteries</em> de pas qui se succèdent souvent à vive allure. Ces danses d'école, enseignées de façon formelle et structurée, avec de multiples enchaînements de pas, ont plus ou moins toutes opté pour des ports bras fixes : sur les hanches, avec un bâton, en l'air comme dans les danses Highland écossaises.<span class="spip_note_ref"> [<a href="#nb2-11" class="spip_note" rel="appendix" title="Bien que celles-ci utilisent l'opposition des bras et changent donc (...)" id="nh2-11">11</a>]</span></p> <h2 id="conclusion" class="unnumbered">Conclusion</h2> <p>Tout indique que les ports de bras collés au corps de la gigue irlandaise de compétition sont une pratique récente et liée aux normes édictées par la Commission de danse irlandaise à partir des années 1930. La pratique traditionnelle de la gigue irlandaise (<em>sean-nós</em>) utilise des bras libres, très près de ceux utilisés dans la gigue québécoise ou du Cap-Breton. La fixité des bras imposée dans la gigue de compétition irlandaise rejoint sans doute l'objectif courant d'attirer toute l'attention sur les pas, mais peut-être de façon exagérée.</p> <p>Chose certaine, les explications visant à faire remonter ces ports de bras collés au corps à des interdits du 12e ou du 19e siècles, ou encore aux fortes brises irlandaises faisant voler les jupes des danseuses, sont hors-propos, bien que souvent assez cocasses ! L'histoire de la danse se construit sur des sources, comme c'est le cas pour toute discipline historique.</p> <p><em>PS : mes remerciements à Kieran Jordan, Danielle Enblom et Samantha Jones avec qui j'ai échangé sur le sujet avant de rédiger cet article.</em></p></div> <hr /> <div class='rss_notes'><div id="nb2-1"> <p><span class="spip_note_ref">[<a href="#nh2-1" class="spip_note" title="Notes 2-1" rev="appendix">1</a>] </span>Il y a bien sûr eu le Public Dance Hall Act de 1935 interdisant les danses dans des salles, sans interdire celles dans les maisons ou à la croisée des chemins. Le clergé a cependant poussé l'interdiction plus loin dans certains cas. Mais tout cela est cependant trop récent pour des propositions se réclamant d'interdictions au 19 s., sinon au 12 s.</p> </div><div id="nb2-2"> <p><span class="spip_note_ref">[<a href="#nh2-2" class="spip_note" title="Notes 2-2" rev="appendix">2</a>] </span>On a cependant trouvé une <a href="https://filedn.com/lHegFjl0gGKjOLsyMUfekRb/Lucky%20luck%20daisy%20town%20vf.mp4" class="spip_out" rel="external">séquence vidéo</a> qui montre un imperturbable gigueur derrière un bar du 19e s. (tirée du film Daisy<br class='autobr' /> Town, avec Lucky Luke).</p> </div><div id="nb2-3"> <p><span class="spip_note_ref">[<a href="#nh2-3" class="spip_note" title="Notes 2-3" rev="appendix">3</a>] </span>Brennan, Helen. 1999. <i>The Story of Irish Dance</i>. Dingle, Co. Kerry : Brandon (Mount Eagle Publications Ltd), pp. 57.</i></p> </div><div id="nb2-4"> <p><span class="spip_note_ref">[<a href="#nh2-4" class="spip_note" title="Notes 2-4" rev="appendix">4</a>] </span>Joe O'Donovan (1910-2008) était encore vivant lors de la sortie du livre de Brennan en 1999.</p> </div><div id="nb2-5"> <p><span class="spip_note_ref">[<a href="#nh2-5" class="spip_note" title="Notes 2-5" rev="appendix">5</a>] </span>Margareth Murphy, (née Maggie Mc Donnell). Thomondgate, Limerick, 1946, coll. Séamus Ennis, I.F.C., vol. 1305, p.25.</p> </div><div id="nb2-6"> <p><span class="spip_note_ref">[<a href="#nh2-6" class="spip_note" title="Notes 2-6" rev="appendix">6</a>] </span>Mes remerciements à Samantha Jones de m'avoir rappelé ce passage lu il y a fort longemps !</p> </div><div id="nb2-7"> <p><span class="spip_note_ref">[<a href="#nh2-7" class="spip_note" title="Notes 2-7" rev="appendix">7</a>] </span>Montréal accueillit d'ailleurs cette<br class='autobr' /> compétition internationale en 2015 au Palais des Congrès.</p> </div><div id="nb2-8"> <p><span class="spip_note_ref">[<a href="#nh2-8" class="spip_note" title="Notes 2-8" rev="appendix">8</a>] </span>Danse irlandaise traditionnelle et danse française ancienne in « Tradition et Histoire dans la culture populaire : Rencontres autour de l'œuvre de Jean-Michel Guilcher ». Documents d'ethnologie régionale, vol.II, Centre alpin et rhodanien d'ethnologie, Grenoble, 1990.</p> </div><div id="nb2-9"> <p><span class="spip_note_ref">[<a href="#nh2-9" class="spip_note" title="Notes 2-9" rev="appendix">9</a>] </span>À moins qu'elle n'ait été faite. Nous n'avons rien trouvé à ce sujet pour le moment.</p> </div><div id="nb2-10"> <p><span class="spip_note_ref">[<a href="#nh2-10" class="spip_note" title="Notes 2-10" rev="appendix">10</a>] </span>Comme vous avez pu l'observer dans la<br class='autobr' /> vidéo citée plus haut <i><a href="https://youtu.be/-NNBqufQA7Q" class="spip_url spip_out auto" rel="nofollow external">https://youtu.be/-NNBqufQA7Q</a></i><i><a href="https://youtu.be/-NNBqufQA7Q" class="spip_url spip_out auto" rel="nofollow external">https://youtu.be/-NNBqufQA7Q</a></i></i></p> </div><div id="nb2-11"> <p><span class="spip_note_ref">[<a href="#nh2-11" class="spip_note" title="Notes 2-11" rev="appendix">11</a>] </span>Bien que celles-ci utilisent l'opposition des bras et changent donc fréquemment de position.</p> </div></div> vérifier les droits d’écriture

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