Chansons acadiennes dans la Baie-des-Chaleurs.

Vol. 12, no. 1, Hiver 2009

par FOREST Mario

À l’Action de grâces, en octobre dernier, se tenait à Carleton-sur-Mer, La Virée, festival de chanson, conte, danse et musique traditionnels, qui en était à sa huitième édition et me rappelait qu’il était en partie responsable de mon déménagement en Gaspésie. C’était en 2002 et La Virée en était à sa deuxième édition.

Déjà depuis quelques années quand j’étais à Joliette, je souhaitais retourner sur le terrain, à la rencontre des musiciens et des chanteurs qui possèdent un répertoire joué ou chanté. J’avais vécu des rencontres de première main avec ces colporteurs de bonheur dans les premières années de La Bottine : les chansons savoureuses que Marc Brien de Sainte-Marie-Salomée semblait sortir de sa besace, ou la voix haut perchée de Clarence Bordeleau ou celle plus rugueuse de Jean-Louis Thériault de Saint-Côme. J’entends encore le « hourra pour nous autres » que criait le violoneux Azelus Cantin, oncle de Gilles, de Saint-Liguori quand nous finissions de jouer un air. Je me souviens d’un hiver rigoureux à Québec où nous passions de longues journées à nous réchauffer les oreilles avec André Alain, fin violoneux de Portneuf.

En déménageant en Gaspésie, je savais que le temps était venu de reprendre mon petit bout de chemin de colporteur de tradition. Le lendemain de mon arrivée, le 23 décembre 2002, je me retrouve au Musée acadien du Québec à Bonaventure où je fais connaissance avec son directeur Jean-Claude Cyr. Tout en discutant de choses et d’autres, il s’informe de mes intentions professionnelles. Je lui parle alors de mon projet de collecte que je souhaite réaliser auprès des Acadiens de la Baie-des-Chaleurs et des plateaux de la vallée de la Matapédia.

Comme Jean-Claude Cyr est emballé par le projet, je le rencontre au début de janvier 2003 où nous mettons en place un plan afin de trouver des appuis financiers : rédaction du plan de projet, échéancier et budget. En attendant de trouver le financement pour réaliser le projet, je suis engagé par le Musée acadien du Québec pour organiser Chapeau à nos artistes , une série de 18 spectacles gratuits qui se déroule tout au long de l’été à Bonaventure.

Je participe aussi, au printemps 2004, dans le cadre du 400e anniversaire de la fondation de l’Acadie, à la réalisation d’une enquête sur l’identité acadienne. Au cours de celle-ci, j’ai rencontré 71 informateurs d’horizons multiples et de provenances diverses, âgés de 15 à 91 ans. Ils sont de la péninsule acadienne (Caraquet), des villages le long de la côte, tels Richibouctou, Bouctouche, Cocagne, Shédiac et Saint-Louis-de-Kent, de même que de la région Moncton/Dieppe et de la République du Madawaska du Nouveau-Brunswick. D’autres vivent dans la région Évangéline à l’Île-du-Prince-Édouard, dans la Baie Sainte-Marie en Nouvelle-Écosse, aux Îles-de-la-Madeleine et dans la Baie des Chaleurs au Québec.

Chacune des rencontres enregistrées sert de trame à ce que j’appelle une courtepointe sonore où se retrouvent entremêlés les témoignages sur différents aspects de l’« acadianité ».

Un disque est né de ce projet : ArtcaDIT . On y retrouve les sept thématiques abordées lors des entretiens : L’identité acadienne, d’hier à aujourd’hui, les Acadiens, la survivance, la fierté acadienne, le 400e anniversaire et les défis de l’Acadie.

Présence acadienne en Gaspésie

Le projet de collecte débute finalement à l’automne 2004 après avoir obtenu un financement de MCCQCRCD avec comme objectifs : rechercher, analyser, classifier et mettre en valeur la richesse du patrimoine oral acadien de la Gaspésie. Intitulé Témoignages vivants , il s’étale sur 12 mois avec comme objectif concret la réalisation d’un disque intitulé Paysages sonores d’une Gaspésie acadienne .

La région de la Baie-des-Chaleurs fut la première région au Québec à accueillir des réfugiés acadiens fuyant la déportation. Dès 1758, et avec l’aide des Micmacs et des corsaires acadiens, ils fondent, au fond de la Baie des-Chaleurs, un endroit qu‘ils nomment Petite Rochelle.

En juillet 1760, ils seront plus de mille Acadiens à combattre les Anglais à la bataille navale de la Restigouche. Avec l’aide des Micmacs, d’une garnison de soldats français et des pêcheurs saisonniers (Basques, Normands, Bretons, Français et Canadiens) qui ont fuit leurs installations de pêche mis à sac par les Anglais, ils résisteront une quinzaine de jours avant de s’avouer vaincus.

Après la défaite, ils s’installeront sur les rives de la Baie-des-Chaleurs d’abord à Bonaventure en 1760 puis en 1766, à Tracadièche, aujourd’hui Carleton-sur-Mer.

Une deuxième vague importante de colonisation par les Acadiens commence à partir de 1860. Ils viennent de la région de Rustico à l’Île-du-Prince-Édouard et fondent, en 1870, le village de Saint-Alexis sur les plateaux à l’embouchure de la Matapédia. Ces nouveaux colons sont attirés par l’offre de terres gratuites faite par le gouvernement du Québec.

Aujourd’hui, ils sont 80 % de souche acadienne dans le comté de Bonaventure.

L’enquête

Au fil des mois précédant le début du projet, j’ai recueilli une liste de 45 informateurs potentiels. Ces noms provenaient de diverses rencontres informelles au cours desquelles je parlais du projet. Cet inventaire a pris considérablement de l’ampleur en cours de projet pour atteindre plus de 225 personnes.

L’identification

Les chansons sont identifiées et classées à partir du « Catalogue de la chanson folklorique française » de Conrad Laforte. Dans le cas des chansons plus récentes et souvent littéraires, nous utiliserons les Cahiers de la bonne chanson de l’abbé Charles-Émile Gadbois.

Les pièces instrumentales anonymes ou avec des titres personnels sont analysées et identifiées par Éric Favreau, ethnomusicologue consultant, et Ivan Hicks, joueur de violon et spécialiste du répertoire de l’Est du Canada et du style « Down East. »

M. Simon Bujold 1854-1926 de Bonaventure. Surnommé Ti-noum, Simon Bujold est un descendant du corsaire acadien Louis-Amand Bujold.

Lorsque j’entreprends mes recherches, mes attentes sont élevées, car cette population québécoise à forte concentration acadienne me semble un terroir favorable à des trouvailles particulières.

Je commence mes rencontres avec divers informateurs, surtout des chanteurs et des musiciens.

J’ai fait la rencontre de madame Blandine Vienneau originaire de New Richmond. À 94 ans, elle montre encore un plaisir évident à chanter. Son répertoire n’est pas de tradition orale. Elle me raconte que tous les soirs, elle chantait avec sa mère en essuyant la vaisselle et conclut avec un sourire grippette qu’elle va demander au propriétaire du foyer où elle loge la permission de faire la vaisselle. Sur le disque, elle chante une chanson de Madame Bolduc, La Bastringue sur laquelle on peut l’entendre sourire.

Après quelque temps, je constate que le répertoire chanté par les informateurs provient principalement des « Cahiers de la Bonne Chanson » publiés par l’abbé Gadbois dans les années trente. Il faut dire que ces cahiers furent excessivement populaires. En effet, 600,000 copies de la première édition sont vendues en 1938. Ça laisse des traces. Déçu, je décide alors de consulter les Archives de Folklore de l’Université Laval afin d’évaluer le collectage réalisé dans la Baie-des-Chaleurs. Heureusement, j’y ai trouvé plusieurs collections intéressantes.

L’objectif premier de cette consultation est de cibler les enregistrements de chansons pouvant compléter les enquêtes que je mène dans le cadre du projet de Témoignages vivants et permettre la réalisation d’un centre d’archives sonores et la réalisation d’un DC.

Au cours des quatre journées passées à Québec en décembre 2005, je consulte 38 dossiers, de différentes ampleurs, dont les recherches ont été menées dans les comtés de Gaspé Est, Bonaventure et Matapédia.

Parmi les trouvailles, il y a Isidore Bernard que Simonne Voyer a rencontré à Maria en 1957. C’est un chanteur spectaculaire, avec un sens du théâtre qui sûrement influencé sa petite-fille, la comédienne Nicole Leblanc. Il interprète deux chansons : Le chat et Le pont de Longueuil dans laquelle les politiciens de l’époque sont déjà aussi tordus que ceux d’aujourd’hui. Aussi M. Sévérin Langlois de Cannes-de-Roches près de Percé qui a donné plusieurs belles chansons au répertoire de Raoul Roy.

La Gaspésie acadienne : musique et chansons traditionnelles des Cayens

Afin de produire un disque qui reflète la richesse des traditions orales des communautés acadiennes de la Gaspésie, je fais une sélection de chansons qui proviennent des Archives de l’Université Laval.

Quant au répertoire instrumental, il est fortement influencé par la proximité du Nouveau-Brunswick et par des émissions de radio vouées au violon. Les musiciens y recherchent de nouveaux répertoires auprès de « vedettes » tel Don Messer and His Islanders de Charlottetown (IPÉ) qui se produit trois fois par semaine sur CBC Radio entre 1939 et 1958. À partir de 1956 et jusqu’en 1969, on peut voir le Don Messer’s Jubilee à chaque semaine à la télévision de CBC Halifax, N.É.

Plus récemment c’est Ivan Hicks, membre du North American Fiddlers Hall of Fame qui tient l’antenne de CFQM-Radio Moncton pendant 13 ans.

Résultats de l’enquête

250 chansons incluant les chansons provenant des Archives de Folklore ;

254 airs de violon, 23 mélodies d’harmonica, 11 mélodies de guitare, 7 airs d’accordéon, 1 morceau de piano.

J’ai réalisé en 2007 un disque intitulé Paysages sonores d’une Gaspésie acadienne avec 20 chansons et 19 mélodies. Une partie du répertoire recueilli sert aussi à de jeunes chanteurs intéressés par les traditions locales : Pierre-André Bujold, Les Pièges à Pattes, Éric Dion.

Centre d’archives sonores acadiennes du Québec (CASAQ)

Le Musée acadien du Québec à Bonaventure désire fonder un Centre d’archives sonores acadiennes du Québec (CASAQ). Pour atteindre cet objectif, nous désirons regrouper à Bonaventure tous les fonds sonores dont les collectes ont été réalisées dans les communautés acadiennes de la Gaspésie. Ces collectes se retrouvent aux Archives de folklore et d’ethnologie de l’Université Laval (AFEUL), au Centre d’Études acadiennes (CEA) de l’Université de Moncton et au Musée canadien des civilisations (MCC) de Hull. Le projet n’est pas encore réalisé faute de fonds.

Conclusion

Je souhaite poursuivre les recherches et mettre en place un centre d’archives sonores au Musée acadien du Québec à Bonaventure afin de rapatrier le fruit des collectes qui se sont faites dans la région. Ainsi, cette richesse se rapprochera de son milieu d’origine et pourra servir aux artistes intéressés.

* Mario Forest est musicien et chanteur. Originaire de la région de Joliette, il a fait partie de la Bottine Souriante à ses débuts. Il habite dans la Baie-des-Chaleurs depuis 2002.



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