Charles Marchand, troubadour de la Gatineau

Vol. 6, no. 1, Été 2001

par LESSARD Denis

Nous sommes en 1910. En ce premier quart de siècle, on voit apparaître tour à tour la radio, le phonographe, le cinéma. Si certains bénissent ces merveilles de la technologie, qui permettent la diffusion de la culture auprès d’un public de plus en plus vaste, d’autres redoutent, (déjà !), « l’américanisation » de cette dernière.

À l’ère de la « chanson yankee et jazzéiforme », selon l’expression de Frédéric Pelletier [1] Charles Marchand apparaît, seul, pour tenir le flambeau de la chanson de notre terroir. Il rêve de voir cette même chanson prendre sa juste part auprès de ses compatriotes et d’y faire naître une véritable armée de chanteurs aussi passionnés que lui. Il semble bien y être parvenu malgré les embûches et malgré une vie brusquement interrompue.

Notre chanteur est né à Saint-Paul-L’Ermite, (aujourd’hui Le Gardeur), le 10 juin 1890. Ses origines modestes ne l’empêchent pas de s’inscrire au collège de l’Assomption et de terminer ensuite son cours classique au collège Bourget à Rigaud. À la fin de ses études, il se fixera à Ottawa où ses talents de dessinateur seront retenus par le Gouvernement fédéral. Mais notre fonctionnaire ne se contente pas de ce simple emploi, puisqu’il offre ses talents pour des maisons de commerce et brosse des décors de scène pour des troupes de théâtre francophones. C’est à cette occasion qu’il s’initie à l’art de la scène et se découvre des talents de chanteur folkloriste. Il espère alors faire connaître et propager la « bonne Chanson française ». Mais il n’ose le faire sans avoir de la scène une connaissance quasi parfaite. Il se rend à Montréal pour prendre des leçons de voix et de diction auprès de Jean Riddez, (du Conservatoire national de musique), et de Max Pantaleieff. Marchand a quitté définitivement son poste de dessinateur pour se lancer dans une carrière peu rémunératrice, mais qui le passionne totalement.

Il se risque d’abord à Ottawa dans un premier concert, vêtu d’un costume marin de sa composition et interprétant une chanson de Théodore Botrel. Succès immédiat : on l’engage pour une série de récitals dans la région d’Ottawa et de Hull. Il se permet même à l’occasion d’analyser le caractère d’une chanson (À la claire fontaine) pour l’interpréter ensuite de sa belle voix de baryton.

En mars 1919, sur l’invitation pressante des Chevaliers de Colomb de Montréal, il chante à la salle Lafontaine. Par la suite, les « Veillées du bon vieux temps » données par Lorraine Wyman l’amènent à se consacrer à la chanson folklorique canadienne. À la demande de la « Société des Artisans Canadiens Français », Marchand se produit au Monument National en mai 1920. Une salle comble l’applaudit.

Il s’établit alors à Montréal et retrouve Oscar O’Brien, son accompagnateur depuis 1915. Ce dernier lui fournira l’harmonisation de 150 chansons tirées du répertoire recueilli par nul autre que Marius Barbeau. De plus, avec la collaboration du poète Maurice Morisset, ils créeront plusieurs chansons d’inspiration folklorique.

En 1922, avec l’aide de la Société des « Artisans Canadiens Français », Marchand, avec ses amis O’Brien, Morisset et Ernest Patience, forme un quatuor, le Carillon Canadien. C’est sous cette étiquette que le groupe entreprend alors une longue tournée au Québec, une partie de l’Ontario et aux États-Unis, dans un grand nombre d’États où résident des Franco Américains.

C’est à l’occasion du centenaire de la ville d’Ottawa en 1927, que notre chanteur, toujours avec le concours de son ami Morisset, mettra sur pied son célèbre quatuor : les Troubadours de Bytown. La même année, le groupe se produira à la salle Eaton à Toronto, puis à Québec lors du premier Festival de la Chanson et des Métiers du Terroir du Canadien Pacifique dont une bonne partie était consacrée au « Folk-Lore » [2]. On retrouve à cette occasion les quatre compères, Émile Boucher, Miville Belleau, Fortunat Champagne et, bien sûr, Charles Marchand, tous vêtus du costume des hommes de chantier et interprétant avec verve leurs chansons de bûcherons et de draveurs. Le succès est total. Ils reviendront l’année suivante, toujours aussi populaires, le C.P. ayant confié à Marchand une partie de la direction artistique du Festival. Mais en 1929, on devra se passer de notre célèbre baryton, puisqu’il est en Europe sous la solde du C.P. Le Festival suscite alors moins d’intérêt en l’absence de son troubadour préféré.

Marchand reviendra en 1930. Il est malade. On décide alors de reporter le Festival de mai à octobre. Il meurt durant l’été. Il a 39 ans. Lionel Daunais le remplace provisoirement. Peu de temps après, le quatuor interrompra ses activités. Il lui manque son créateur, son enthousiasme, son âme.

En dépit d’une trop courte carrière, nombre de journalistes et chroniqueurs nous ont laissé un portrait flatteur de Charles Marchand. Frédéric Pelletier le décrit ainsi :

« Solide comme un chêne dans sa stature trapue, Charles Marchand avait le cœur pur d’un enfant. Toujours gai, même aux heures sombres, son sourire était infectieux. Nature d’artiste, il savait plier une voix naturellement dure aux moindres nuances d’expression et son masque énergique se modifiait selon sa chanson, qu’elle fut douce romance, naïve complainte de trappeur ou ironique commentaire. [3]
Jules Francoeur, pour sa part, dans la revue La Lyre [4], cite un article d’Olivier Morel, paru dans le Droit, qui décrit bien le personnage : « Une figure mobile de Bourbon, aux paupières plissées. Une voix et une diction sans mélange. Et des gestes : du front, des yeux, de la bouche, de la nuque, des mains, des pieds... Puis il a l’intelligence du texte à rendre ; le choix des moyens ; le vernis. Bref un superbe vaudevilliste à la française... »

Charles Marchand, malgré une vie et une carrière très courtes, a donc eu droit aux honneurs et à la notoriété. Il a su en outre réaliser son rêve : faire connaître et répandre la chanson du terroir. Nombre de chercheurs, tel Marius Barbeau, lui doivent d’avoir porté à la scène et devant un public avide de belles choses le fruit de leur cueillette. Si certains travaillent dans l’ombre d’une archive ou d’un Musée, d’autres comme Charles Marchand, se manifestent au grand jour. Mais leur passion pour notre patrimoine et notre culture n’en demeure pas moins aussi profonde et aussi vraie.

Notes

[1PELLETIER, Frédéric. Charles Marchand, in Entre-Nous, mai 1930, p.57.),

[2D’ARAGON, Alexandre. Charles Marchand, in Action musicale, littéraire et artistique, mai 1932, p.8.

[3PELLETIER, Frédéric. op. cit.

[4FRANCOEUR, Jules. Le Carillon Canadien de Charles Marchand, in La lyre, novembre 1924, p.1.



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