Hermas Réhel, violoneux et gigueur du Comté de Gaspé-sud

Vol. 12, no. 3, Printemps 2010

par PAPILLON Véronique

Photo : Véronique Paillon

J’ai rencontré Hermas Réhel pour la première fois au printemps 2006. J’étais alors étudiante au programme de musique du Cégep régional de Lanaudière à Joliette, dans l’option de musique traditionnelle en troisième année qu’offre en exclusivité cet établissement. Dans le cadre du cours « Enquêtes et collectes en musique traditionnelle », enseigné par le musicien et ethnologue Éric Favreau, nous apprenions les rudiments de l’entrevue et de la collecte auprès de porteurs de traditions. J’ai donc rencontré le violoneux et danseur Hermas Réhel dans ce contexte, le 9 mai 2006 à son domicile de Brossard.

Hermas Réhel est né à Barachois, dans le comté de Gaspé-Sud le 31 janvier 1920. Premier enfant d’une famille de sept, il vécut en Gaspésie une grande partie de sa vie avant d’aller s’installer dans la grande région de Montréal. Lorsqu’il était enfant, il n’y avait pas de musiciens dans sa famille immédiate, mais son oncle du côté paternel, Moïse Réhel, jouait du violon. Du côté de sa mère, la musique était plus présente puisque beaucoup de ses oncles jouaient de la « musique à bouche » et possédaient des gramophones. C’est ainsi qu’il eut ses premiers contacts avec la musique et qu’il commença à jouer de l’harmonica. Par la suite, il demanda à son oncle Moïse de lui apprendre à jouer du violon. Il apprit ses trois premiers morceaux en une seule journée en compagnie de cet oncle qui lui « notait » (jouait) des bouts de mélodies, puis l’incitait à prendre le violon à son tour pour répéter ces passages. À 14 ans, constatant qu’il apprenait facilement, il commanda, dans le catalogue Eaton, son tout premier violon au coût de 3,95$. Même si c’était durant la crise économique, il s’était toujours débrouillé pour gagner de l’argent en faisant de la chasse pour la fourrure ou en cueillant des bleuets.

Il apprenait rapidement et s’est vite approprié un certain répertoire. Puisqu’il y avait plusieurs joueurs d’harmonica et de violon dans les alentours, les occasions de jouer étaient nombreuses. Monsieur Réhel mentionne même que 19 jours après avoir reçu son violon et pratiqué dessus en compagnie de plusieurs musiciens, on l’avait invité à jouer pour une danse dans une maison privée. Ce fut sa première veillée, mais certainement pas sa dernière ! Un an plus tard, il fut invité à jouer pour les veillées de danse à la salle « Le coin du banc », une ancienne église qui était reconvertie en salle de danse. Il était rémunéré pour certaines danses mensuelles des paroisses voisines et le montant qu’il se souvient avoir reçu pour ces premiers contrats était de cinq dollars. Il deviendra très vite le joueur de violon officiel pour les veillées de plusieurs villages aux alentours et ce pour plusieurs années. Il mentionne particulièrement « Le coin du banc », mais aussi la salle de Barachois-Ouest où il a beaucoup joué. Il était souvent le seul musicien dans ces veillées et il s’accompagnait d’un accord de pieds.

Il a tenu un premier magasin général à partir de 1942, puis en 1948 il s’est bâti une maison et un magasin neuf sur une parcelle de terre que son père lui avait donnée. C’est aussi cette année-là qu’il s’est marié avec Rita, sa femme encore aujourd’hui. Il commandait à l’occasion des instruments de musique, des cordes et des accessoires pour son magasin qu’il achetait chez Pit ou chez Archambault à Montréal. À cette époque, les nouveaux mariés se sont acheté chacun un instrument de musique. Monsieur Réhel a commandé son violon, un Roth numéro 4, celui qu’il utilise encore aujourd’hui, et une guitare Martin D-28 pour son épouse. Elle l’accompagne souvent à la guitare avec beaucoup d’enthousiasme depuis leurs toutes premières fréquentations.

Au fil des années, il a joué pour plusieurs événements, dans divers endroits, salles de danses et aussi dans un restaurant situé à Percé, au rythme intensif de quatre après-midis et quatre soirs par semaines pendant l’été.

Lors de ses déplacements, le couple Réhel a passé beaucoup de temps au Cap Breton, il s’y rendait à chaque année depuis très longtemps jusqu’à tout récemment. Ils avaient un plaisir fou à participer aux nombreuses veillées qui se terminaient pratiquement toujours le lendemain matin. Joueur infatigable lui-même, le violoneux de Barachois a vu là-bas une énergie et une passion pour la danse et la musique qu’il juge tout à fait unique ! Il a beaucoup écouté la musique du Cap Breton, de Don Messer, les émissions de radio des Maritimes de l’époque et il mentionne que son style de jeu a beaucoup été influencé par celui du Cap Breton et aussi, entre autres, par les musiciens Scott Fitzgerald, Isidore Soucy et Jean Carignan.

Il vit à Brossard depuis 1978 avec sa femme avec qui il eut 6 enfants qui ont tous joué de la musique. Au fil de ces années passées dans la grande région de Montréal, ils ont rencontré beaucoup de musiciens, particulièrement lors des galas. Le violoneux Yvon Cuillerier a d’ailleurs composé la Gigue Hermas Réhel, qui se retrouve dans un de ses recueils de pièces musicales intitulé Airs traditionnels pour violon, volume 2. Hermas Réhel était également présent lors des toutes premières éditions du festival La Grande Rencontre, organisé par la Société pour la promotion de la danse traditionnelle québécoise (SPDTQ) à Montréal et il en est très fier ! Bien qu’il n’ait malheureusement jamais enregistré de cassette ou de disque de son répertoire, les gens ont toujours apprécié son style et son jeu. Il a cependant participé, en 1991, à la production de la vidéocassette La gigue québécoise aux côtés du gigueur Pierre Chartrand et de l’accordéoniste Philippe Bruneau. Hermas Réhel est donc violoneux, mais aussi gigueur puisqu’il apparaît dans cette vidéo à titre de danseur exécutant des pas gigue de la Gaspésie.

Hermas Réhel gigue depuis l’âge de 9 ans. Un de ses oncles travaillait au chantier avec un homme qui venait de Newport, en Gaspésie et qui dansait très bien. Au chantier, ces hommes dansaient des « jigs » le soir, et son oncle revenait souvent du « camp » avec de nouveaux pas. Monsieur Réhel a donc appris plusieurs pas de cet oncle. Il y avait aussi plusieurs autres gigueurs dans son entourage. Lors de l’entrevue, à l’âge de 86 ans, il a gigué quelques pas et joué pas moins d’une trentaine de pièces musicales au violon.

La première des pièces que j’ai entendue de monsieur Réhel a été son fameux Reel Sainte-Anne « à l’écossaise » comme il tient à le spécifier ! Son répertoire est composé de plusieurs pièces bien connues au Québec comme la Grande gigue simple qu’il a appris selon la version d’Isidore Soucy vers 1925-1930, la Grondeuse, un air qu’il se souvient avoir beaucoup joué à ses débuts et qui était particulièrement destiné à faire giguer, puis le Reel du Pendu et plusieurs autres. Il joue aussi plusieurs pièces pour lesquelles il ne connaît aucun titre, mais qu’il se souvient avoir joué lors des veillées de village dans son jeune temps. On peut constater l’influence du style et du répertoire écossais dans son jeu, mais aussi son affection pour ce style dans ses propos lorsqu’il « jase » entre deux reels. Son parcours de la Gaspésie jusqu’à Montréal, en passant souvent par le Cap Breton et ses environs, a fait en sorte qu’il a côtoyé beaucoup de musiciens et de ce fait, il a un répertoire très varié. Il ne joue pas que des reels, mais aussi des 6/8, des valses, des clogs, des galopes et probablement plusieurs autres trésors musicaux moins connus qui se cachent dans ses souvenirs. Son répertoire semble plutôt bien garni. Son jeu est d’ailleurs encore assez précis, il fait de belles ornementations et il s’accompagne toujours en tapant du pied. J’ai trouvé intéressant de constater qu’il fait des nuances et des variations dans son jeu de pied lorsqu’il joue. Il tient aussi à spécifier qu’il fait toujours l’effort de jouer les pièces telles qu’il les a apprises afin de les conserver dans leur version d’origine le plus possible.

En août 2008, Hermas Réhel s’est vu décerné le prix Aldor lors de la 16e édition du festival La Grande Rencontre organisé par la SPDTQ. Il a reçu ce prix conjointement avec un autre violoneux gaspésien, Yvon Mimeault. Aujourd’hui, Hermas Réhel est âgé de 90 ans, il joue encore régulièrement pour les personnes âgées et il prend encore plaisir à sortir son violon lors d’occasions spéciales, et ce, au grand plaisir des gens qui ont la chance d’être présents. Cet homme est un porteur de tradition important au Québec par son parcours et par sa grande passion pour la musique et la danse. Toutes ces années de musique et une quantité phénoménale de coups d’archet en carrière font de lui un grand violoneux du Québec !

* Véronique Papillon est danseuse, musicienne, professeur de danse, chorégraphe.



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