Jacques Labrecque, grand chantre du patrimoine

Vol. 5, no. 1, Été 2000

par LESSARD Denis

Il est midi trente. à la radio, on peut entendre les premières mesures du thème musical du « Réveil rural ». Je termine mon repas en écoutant une belle voix ronflante et gouailleuse. Jacques Labrecque interprète tantôt une chanson guillerette, tantôt une douce ballade. J’aime ces moments magiques où mon imaginaire s’envole sur les chantiers avec « des mitaines pas d’pouce en hiver ».Oui, en ces années 50, Jacques Labrecque savait bien égayer mes heures de lunch à la maison juste avant de reprendre le chemin du collège.

Folkloriste, conteur, comédien, chanteur, producteur, éditeur et parfois ethnologue, Jacques Labrecque a mené plusieurs carrières à la fois. Il est né à Saint-Benoît, près de Montréal en 1917. On affirme que c’est dans le milieu familial qu’il a développé ce gošt pour la chanson traditionnelle. Après des études en art vocal à Montréal auprès de Céline Marier, Henri Pontbriand et Roger Filiatrault, il se familiarise avec l’harmonie sous la direction d’Oscar O’Brien. Il prendra ensuite connaissance du répertoire français avec Marie-Thérèse Paquin. On le retrouve dès l’âge de 17 ans à la radio de Radio-Canada où il fait montre de ses talents de ténor à cette émission mentionnée plus haut, (le Réveil rural), où nombre d’artistes du patrimoine francophone, (Albert Viau, Omer Dumas etc.), se sont produits. À 29 ans, Jacques Labrecque signe un contrat de 3 ans avec la National Concerts and Artists de New-York pour entreprendre une tournée en Acadie. C’est à la suite de cet engagement qu’il gagnera l’Europe où il participe à un festival international de folklore à Venise. Il est consacré alors interprète-diffuseur de la chanson traditionnelle. Il fera ensuite un séjour prolongé à Paris où il jouera sur la scène du Théâtre des Variétés, puis à la radio et à la télévision (ORTF) et enfin à Londres (BBC). De retour au pays, il donne 80 concerts pour les Jeunesses musicales (1955-56). Il fonde au même moment sa maison de production et d’édition de disques sous l’étiquette Musicana.On ne compte plus ses apparitions et ses succès sur les scènes canadiennes. Parmi celles-ci, on peut citer le Festival de Stratford (Ontario), et Mariposa (Toronto).

Pendant tout ce temps, notre chantre du patrimoine et de la tradition n’abandonne pas la radio. On peut même l’entendre dans des interprétations d’auteurs-compositeurs-interprètes qu’il a contribué à faire connaître : Gilles Vigneault (Jos Monferrand), Jean-Paul Filion (La Parenté), Laurence Lepage (Kino l’Indien). En 1972, boursier du gouvernement français, il repart vers Paris pour enseigner le répertoire francophone du Canada à l’Université de Paris VI. Il continue à cette occasion à donner nombre de récitals en France et en Belgique. C’est d’ailleurs à Bruxelles qu’on soulignera « son naturel, sa verve et sa voix magnifique de douceur, de force ou de gouaille... » On apprécie de même les talents « d’excellent mime et de comédien spontané »...chez « celui qui est sans doute le plus vraiment canadien des chanteurs canadiens ». [1]

Lors de son retour au Québec, il s’établira aux Éboulements (Charlevoix). Il y produira, (été 1976), une série d’émissions, « Chansons voltigeantes...chansons dolentes », consacrées aux multiples versions de chansons traditionnelles. On le verra ensuite sur la scène du Grand Théâtre de Québec (1979). Durant les années 80, il dirige les « Éditions et Disques Patrimoine » où l’on retrouve, outre ses interprétations, les musiques de Jean Carignan. C’est à cette même maison de production que l’on doit la célèbre collection « Géographie sonore du Québec ». On peut lire entre autres dans cette sorte d’anthologie des chansons recueillies par Ernest Gagnon, Marius Barbeau et Carmen Roy. Aux Éboulements, Jacques Labrecque multiplie les activités artistiques : il est à la fois directeur de la Galerie du Patrimoine, qui expose des oeuvres de la région et aussi animateur des « Veillées de contes espéciales » où les visiteurs affluent en grand nombre.

Ce qu’il faut souligner chez ce grand artiste, c’est surtout sa contribution et son amour inconditionnel pour la chanson et la musique traditionnelle. Jacques Labrecque fait partie de ces grands interprètes qui consacreront leur vie à la diffusion de notre patrimoine. Grâce à la collaboration de tels artistes-interprètes, les fruits de la recherche retrouvent pleinement vie. Dommage que son décès (1995) nous ait privés de ses multiples talents dans le domaine des arts traditionnels.

Notes

[1« La Cité », Bruxelles, 7 mars 1974 in « Encyclopédie de la musique au Canada », Fides 1993.



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