L’État actuel du projet de « Répertoire des données musicales de la presse québécoise » de l’Université Laval

Vol. 13, no. 1, Printemps 2011

par BELLEMARE, Luc

Lucien Poirier

Luc Bellemare est étudiant au doctorat en musicologie à l’Université Laval et se spécialise en histoire de la musique populaire québécoise. Il est également impliqué dans la Société québécoise de recherche en musique (SQRM).

Que ce soit en matière de folklore et danses traditionnelles, de répertoire classique et religieux ou de chanson populaire, la recherche sur l’histoire de la musique au Québec a assurément fait des progrès remarquables depuis une trentaine d’années. Sans entrer dans le détail, pensons seulement à l’Encyclopédie de la musique au Canada en ligne (www.thecanadianencyclopedia.com), aux articles sur la page web de la Société québécoise de recherche en musique (www.sqrm.qc.ca), au site Québec Info Musique (www.qim.com) et à la récente parution de la Chronologie musicale du Québec. Il va sans dire que ces réalisations servent aussi bien les spécialistes et les amateurs curieux que les journalistes et chroniqueurs de tout acabit.

On déplore toutefois l’abandon depuis plusieurs années du Répertoire des données musicales de la presse québécoise de l’Université Laval, un chantier riche de promesses qui visait à recueillir toutes les mentions d’activités musicales dans la presse québécoise entre 1764 et 1918. Si l’on peut se réjouir du fait que les deux ouvrages publiés grâce au projet soient accessibles dans Internet (www.nosracines.ca), il est quelque peu regrettable de ne pas trouver en ligne un moteur de recherche qui permette de trouver rapidement des informations précises. Mais qu’en est-il plus exactement de la genèse du Répertoire des données musicales et des raisons qui ont mené à son interruption ? Les prochains paragraphes tenteront d’apporter quelques éléments de réponse à ces questions.

Le besoin d’un Répertoire des données musicales

À l’aube des années 1980, relativement peu de travaux avaient été publiés sur l’histoire de la musique au Québec. En musique classique, on se référait surtout aux ouvrages de synthèse incomplets d’Helmut Kallmann (1960) et de Willy Amtmann (1974). Le folklore et les danses traditionnelles étaient un peu mieux servis avec les premiers travaux de Conrad Laforte (1981) ou de Simonne Voyer (1984)[1986], mais beaucoup restait à faire. Pour la chanson populaire, quelques artistes comme Madame Bolduc, Félix Leclerc et Gilles Vigneault avaient déjà fait l’objet de livres, mais les synthèses laissaient à désirer par leur manque d’approfondissement et leur parti pris en faveur des grands chansonniers (L’Herbier 1974, Roy 1977, Millière 1978).

Sur le terrain, l’organisation des archives de la division de la musique à la Bibliothèque nationale du Canada en était à ses balbutiements. Par ailleurs, l’Association pour l’avancement de la recherche en musique au Québec (ARMuQ) — ancêtre de la Société québécoise de recherche en musique (SQRM) — venait de voir le jour avec le projet de faire l’inventaire des archives musicales accessibles et des sources de financement potentielles.

Devant l’état de la situation, l’historien musicologue Lucien Poirier de l’Université Laval avait bien compris que tout approfondissement des connaissances sur la vie musicale au Québec devait passer par un dépouillement systématique des journaux et des périodiques parus au Québec depuis les origines.

La vision de Lucien Poirier

Vers 1981, le projet de Répertoire des données musicales était lancé. Devant l’ampleur de la tâche, Lucien Poirier s’était associé à Juliette Bourassa-Trépanier pour la direction du projet. Ensemble, ils préparent un dossier qui reçoit l’appui financier du Gouvernement du Canada (CRSH), du Gouvernement du Québec (FCAR) et de l’Université Laval, ce qui permet d’embaucher une quinzaine d’auxiliaires pour le dépouillement des sources.

L’ambitieuse collecte de données envisagée englobait les concerts — dates, lieux, interprètes, programmes —, les critiques, les textes de chansons et autres partitions, l’enseignement — avis et annonces de cours, écoles, professeurs, méthodes —, les associations musicales, les placards publicitaires, l’organologie et les indices d’influences étrangères. Qui plus est, on se faisait un devoir de recueillir toutes les données touchant la danse et le théâtre, question de faciliter les futures recherches en ces domaines. Pour les adeptes de musique et danses traditionnelles québécoises, par exemple, les données recueillies dans les deux volumes publiés (1764-1824) touchent surtout l’enseignement — professeurs, cours — et la pratique — bals, concerts, soirées — du menuet, de la gavotte, du quadrille, de la contredanse et du cotillon.

Afin de diffuser les résultats, on prévoyait la publication de deux tomes en huit volumes. Le premier tome devait couvrir toutes les données musicales sur le Canada. Il aurait été composé des six premiers volumes, soit un ouvrage par tranche d’environ un quart de siècle : 1764-1799, 1800-1824, 1825-1849, etc. Le deuxième tome, en deux volumes, aurait quant à lui regroupé toutes les informations de la presse sur les États-Unis et l’Europe. Le premier volume du premier tome (1764-1799) a été publié en 1990. Avec l’appui des organismes subventionnaires, le dépouillement de la presse s’est poursuivi sans anicroche jusqu’en 1997, année du décès prématuré de Lucien Poirier.

La poursuite du projet de Répertoire des données musicales

Au tournant du millénaire, Juliette Bourassa-Trépanier, Vincent Brauer et Claude Beaudry de l’Université Laval ont travaillé d’arrache-pied avec une vingtaine d’auxiliaires afin de compléter la rédaction du deuxième volume du premier tome (1800-1824). En 2003, la publication résultante se présentait en trois ouvrages : une synthèse historique des données sur la période couverte, un inventaire des informations sur la ville de Québec, et un inventaire sur Montréal et les autres villes (Trois-Rivières, Sorel, etc.). Fait à noter, cette publication a été mise en nomination au gala des Prix Opus.

Selon les informations qu’il a été possible de colliger, le dépouillement des données du Répertoire des données musicales est aujourd’hui complété jusqu’à l’année 1856, mais seulement dans une partie des journaux d’époque.

En 2004, le musicologue Bertrand Guay, maintenant professeur d’histoire de la musique au Conservatoire de Québec, et Raymond Ringuette, professeur d’éducation musicale à l’Université Laval, ont tenté de relancer le projet en préparant une nouvelle demande de subvention. Bertrand Guay travaillait alors depuis plusieurs années de façon indépendante à rassembler des informations sur la vie musicale au Québec. Il a d’ailleurs publié en 2002 une histoire de l’Orchestre symphonique de Québec, qui célébrait cette année-là son centenaire. Plus récemment, il était au nombre des collaborateurs de la Chronologie musicale du Québec. De son côté, Raymond Ringuette avait l’expérience d’une solide carrière de chercheur en éducation musicale. Bien qu’il ne soit pas historien spécialiste de la musique au Québec, il justifiait la demande en faisant valoir qu’à partir de 1825, on trouve dans la presse québécoise beaucoup de renseignements inédits sur l’éducation musicale. On ignore de quelle façon le dossier a été reçu par les organismes subventionnaires, mais la demande de financement a été refusée.

Paul Cadrin, actuel doyen de la Faculté de musique l’Université Laval, confirme que les archives dépouillées sont toujours conservées au quatrième étage du pavillon Casault. Pour la période 1825-1856 et les décennies qui suivent, les données dorment dans la presse en attendant la venue d’un courageux chercheur prêt à reprendre les fastidieuses demandes de subventions et à former une nouvelle équipe pour le dépouillement. Avis aux intéressés.

Bibliographie

Amtmann, Willy. 1976. La Musique au Québec, 1600-1875. Traduction de Michelle Pharand. Montréal : Éditions de l’Homme.
Baillargeon, Richard, et al. [2010]. Québec Info Musique [en ligne] http://www.qim.com/ (consulté le 4 mars 2010).
Beaulieu, André, et Jean Hamelin. 1973. La Presse québécoise : des origines à nos jours. Québec : Presses de l’Université Laval.
« Encyclopédie de la musique au Canada ». [2010]. Encyclopédie canadienne [en ligne] http://www.thecanadianencyclopedia.com/ (consulté 4 mars 2010).
Kallmann, Helmut. 1960. A History of Music in Canada, 1534-1914. Toronto : University of Toronto Press.
Laforte, Conrad. 1981. Survivances médiévales dans la chanson folklorique : poétique de la chanson en laisse. Québec : Presses de l’Université Laval.
Lefebvre, Marie-Thérèse, et Jean-Pierre Pinson. 2009. Chronologie musicale du Québec, 1534-2004 : musique de concert et musique religieuse. Avec la collaboration de Mireille Barrière, Paul Cadrin, Élisabeth Gallat-Morin, Bertrand Guay et Micheline Vézina. Québec : Septentrion.
L’Herbier, Benoît. 1974. La Chanson québécoise : des origines à nos jours. Montréal : Éditions de l’Homme.
Millière, Guy. 1978. Québec, chant des possibles. Coll. Rock & Folk. Paris : Albin Michel.
« Musiques au Québec ». [2010]. Société québécoise de recherche en musique [en ligne] http://www.sqrm.qc.ca (consultée le 4 mars 2010).
Poirier, Lucien et Juliette-Bourassa-Trépanier, dir. 1990. Répertoire des données musicales de la presse québécoise. Tome I, vol. 1, 1764-1799. Québec : Presses de l’Université Laval.
Poirier, Lucien et Juliette-Bourassa-Trépanier, dir. 2003. Répertoire des données musicales de la presse québécoise. Tome I, vol. 2, 1800-1824 (3 documents). Québec : Presses de l’Université Laval.
« Répertoire des données musicales de la presse québécoise ». Our Roots / Nos racines : les histoires locales du Canada en ligne [en ligne] http://www.nosracines.ca/ (consulté le 4 mars 2010).
Roy, Bruno. 1977. Panorama de la chanson au Québec. Coll. Les Beaux-arts. Montréal : Leméac.
Voyer, Simonne. 1984. « La Danse traditionnelle au Canada français : quadrilles et cotillons ».Thèse de doctorat, Québec, Université Laval.
*Entrevues avec Paul Cadrin et Bertrand Guay.


Infolettre

FACEBOOK