Collectionneur de disques bien connu, Daniel Guilbert détient un BAC en Anthropologie (culturelle) de l’Université Concordia, et s’intéresse depuis longtemps au sujet de l’évolution de la musique traditionnelle québécoise et canadienne.
Dans la première partie de cet essai, j’ai argumenté que malgré le fait que Marius Barbeau était le plus célèbre doyen de la musique folklorique canadienne-française et qu’il était reconnu aujourd’hui comme le chercheur qui est à la source de l’intérêt qu’on porte maintenant à la chanson traditionnelle au Québec, Conrad Gauthier avait eu lui aussi une influence déterminante et fondamentale sur la pratique continue et courante de la musique traditionnelle québécoise, entre autres à cause des Veillées du bon vieux temps qu’il a organisées au Monument National pendant une vingtaine d’années. Cette influence s’était d’ailleurs manifestée dans un courant tout à fait différent de celui que Barbeau désirait. Cette deuxième partie va maintenant examiner l’influence de Barbeau, et plus particulièrement l’influence de son idéologie ou plutôt de sa vision, sur cette musique en tant que produit plutôt qu’en tant qu’élément d’une pratique.
Ce « produit », pour Barbeau, c’était de l’art, et comme on va le voir, c’est un produit qui est manifestement différent de l’approche plus populaire que j’associe (avec raison ou non) à Gauthier. Cette approche de Gauthier envers la musique folklorique est plutôt celle d’une pratique que d’un produit, sans, bien entendu, qu’il s’agisse d’une distinction mutuellement exclusive. Mais je pense qu’adopter cette distinction aide à expliquer le développement de la musique traditionnelle québécoise dans le courant du siècle dernier.
Tout comme Conrad Gauthier, Barbeau a eu une influence profonde dans le développement de la musique traditionnelle québécoise, et cela bien au-delà de ses publications de recueils de chansons. L’histoire de la musique traditionnelle québécoise, et plus particulièrement sa commercialisation à partir des années 1920, s’est faite avec une tension entre ces deux points de vue idéologiques opposés, l’un plus populaire et l’autre plus intellectuel ou puriste. L’un qui voulait simplement divertir et l’autre qui voulait au contraire que cette musique serve comme inspiration aux compositeurs de musique savante. C’est une étude fascinante en soi que je ne pourrai aborder ici que brièvement. L’opposition n’est pas exactement en noir et blanc, mais plutôt en tons de gris, mais celle-ci devient évidente lorsqu’on en fait une analyse approfondie.
Ainsi, en 1920, un ami de Barbeau, Édouard-Zotique Massicotte, historien et archiviste pour la Ville de Montréal, qui était aussi président de la Société de folklore d’Amérique et qui avait collaboré avec Barbeau à la présentation des « veillées » de 1919, a organisé une série de Soirées de Famille qui eurent lieu au Monument National. Massicotte avait déjà fait beaucoup de recherches au sujet des coutumes du régime français, entre autres (se situant donc dans la continuation du courant idéologique qu’avaient connu les années 1860), et avait même commencé à recueillir des chansons traditionnelles dans la région de Montréal en 1883, bien avant sa rencontre avec Barbeau, vers 1917. (Ils ont d’ailleurs par la suite fait de la recherche ensemble et publié conjointement sur ce sujet, dans des revues folkloriques américaines.)
On serait peut-être porté à associer ces Soirées de famille avec les Veillées du bon vieux temps et le revival folklorique des années 1920, mais en fait il s’agissait plutôt de pièces de théâtre produites par des troupes amateurs urbaines. Ces troupes avaient été regroupées par la Société Saint-Jean Baptiste dans un même organisme central qui portait le nom de Soirées de famille, mais ces productions théâtrales n’ont pas connu un grand succès (Morissonneau s.d.). La présentation de ces Soirées de famille visait à promouvoir la culture francophone de chez-nous, et voulait faire revivre une tradition encore plus ancienne de Soirées de famille, qui consistait en des activités de théâtre amateur par des « cercles dramatiques » de jeunes gens, également présentées au Monument National au tournant du siècle précédent, c’est-à-dire vers les années 1895-1905 (Carrier 1986).
Sans connaître exactement le contenu folklorique de ces « nouvelles » Soirées, on sait quand même qu’on avait engagé un jeune Ovila Légaré en tant que calleur de danses traditionnelles et chanteur (Labbé 1977:155). L’engagement d’un moins jeune Charles Marchand comme chanteur pour un récital de folklore, possiblement dans le cadre d’une de ces Soirées, en mai 1920, est encore plus significatif.
Charles Marchand était un chanteur de formation classique (un baryton) qui avait justement assisté à une des premières « veillées » organisées par Barbeau. Il avait été tellement impressionné par ce qu’il avait vu et entendu qu’il avait immédiatement commencé une carrière de chanteur de chansons folkloriques (Hurtubise 1939) [1]. Chanteur remarquable qui a aussi laissé des enregistrements qui le sont tout autant, son amour pour le folklore était sincère et complet, mais il s’agissait toutefois d’une approche beaucoup plus raffinée que celle des chanteurs associés à Conrad Gauthier. Ainsi il s’associa dès 1921, à un compositeur d’Ottawa, Oscar O’Brien, qui l’accompagnait au piano mais qui écrivait aussi des arrangements et même de la musique pour accompagner les chansons collectées par Barbeau ou par Marchand (Labbé 1977:162). Et lorsqu’on regarde de près les étiquettes de disques des enregistrements qu’il a laissés, on remarque que les chansons traditionnelles qu’il interpréta incluaient aussi des harmonisations des compositeurs Amédée Tremblay, Alexandre d’Aragon, etc., compositeurs du tournant du siècle, dont j’ai parlé dans mon article précédent. Ces harmonisations étaient même occasionnellement considérées comme étant entièrement des compositions, tout en indiquant qu’il s’agissait de « folklore du Canada ». En plus, il interpréta aussi des chansons à « caractère folklorique », mais entièrement composées par le compositeur Maurice Morriset, entre autres. D’autres membres de l’élite culturelle anglophone vont venir donner leur appui à Marchand, dont l’important John Murray Gibbon, alors directeur de la publicité pour la Compagnie des chemins de fer du Canadien Pacifique.
Ce Gibbon a non seulement contribué financièrement aux tournées de Marchand, mais il a aussi traduit en anglais plusieurs centaines de chansons traditionnelles canadiennes-françaises, pour une publication intitulée Canadian Folksongs (Old and New) [2], publié en 1927. Plus tard, il aura un rôle important à jouer, avec la participation de Barbeau et de Marchand, dans l’organisation de trois Festivals de la chanson, des danses et des métiers du terroir dont une grande partie était réservée au folklore, qui se tiendront au Château Frontenac de Québec en 1927, 1928 et 1930. Ces Festivals étaient une présentation du Canadien Pacifique, parce que Gibbon y voyait une opportunité publicitaire et de relations publiques. Ils faisaient partie d’une série de concerts et de festivals plus ou moins similaires qui avaient été produite par cette compagnie, dans leurs divers grands hôtels, à la grandeur du Canada entre 1927 et 1931. Étonnamment, celui de 1927 qui avait eu lieu à Québec a été diffusé en direct sur les ondes de CKAC, à Montréal, et de CKCO, à Ottawa (Montigny 1979:68).
Difficile de dire aujourd’hui exactement de quoi avaient l’air ces festivals, mais ils avaient sûrement très peu à voir avec les festivals de musique traditionnelle d’aujourd’hui : ceux-là s’adressant visiblement à l’élite culturelle, malgré la présence d’un certain nombre de musiciens traditionnels. Selon Pierre Chartrand, l’absence fréquente de chanteurs, de musiciens ou de danseurs authentiquement traditionnels était flagrante, comparativement à l’importance qu’on donnait aux musiciens académiques (Chartrand 1998). En fait, la présence des « artistes-amateurs » traditionnels n’était souvent pas mentionnée dans la programmation officielle. Barbeau affirme en 1955 qu’il y avait eu six concerts au festival de 1927 (on peut présumer qu’il voulait parler de présentations plus formelles), ainsi qu’une multitude de présentations plus informelles données par des chanteurs qu’il qualifiait d’« habitant » et de bûcheron, en plus des autres danseurs, sculpteurs, tisserands, cuisiniers, etc., qui étaient sur le site. Il spécifie en plus que « quelques » visiteurs de New York, Boston et Toronto avaient été impressionnés par les chanteurs Philéas Bédard et Vincent-Ferrier de Repentigny en particulier, que d’autres avaient été émerveillés par les cinq violoneux de la famille Ouellet, de Kamouraska, et que quelques individus seulement avaient été touchés par les complaintes chantées par François Saint-Laurent et Joseph Ouellet, deux pêcheurs de Gaspé (Barbeau 1955:34). Mais il raconte aussi qu’étant lui-même déjà familier avec ces éléments bruts dans leurs contextes d’origine, ce qui l’avait ravi était plutôt les interprétations et arrangements vocal ou instrumental de chansons folkloriques qu’il avait recueillies lui-même et qui ont été présentées sur scène lors des concerts formels. Il explique qu’il avait alors une « soif » pour cette sorte d’embellissement de la musique traditionnelle canadienne, qu’elle soit canadienne-française ou amérindienne, et que lui et plusieurs autres personnes présentes à ce festival considéraient qu’ils assistaient à la naissance virtuelle de la musique canadienne.
Depuis ses premières Veillées du bon vieux temps présentées à la Bibliothèque Saint-Sulpice, Barbeau avait entre-temps publié son premier recueil de chansons folkloriques canadiennes-françaises, publié aux États-Unis en 1925 sous le nom de Folk Songs of French Canada [3] et ce livre avait attiré l’attention du musicien-compositeur canadien Ernest MacMillan, et était d’ailleurs à l’origine de l’intérêt de ce dernier envers la musique traditionnelle comme source d’inspiration. Ils avaient déjà, en fait, eu l’occasion de se rencontrer et d’improviser ensemble sur des airs de chansons traditionnelles jouées au piano (Barbeau 1955:33).
En ce qui concerne ces concerts plus formels, le président du Canadien Pacifique avait offert des prix pour les meilleures compositions inspirées de chansons folkloriques canadiennes-françaises, suite au succès du festival de 1927, et les musiciens qui y ont participé étaient des compositeurs de musique classique comme Ernest MacMillan, Alfred Laliberté, Achille Fortier, Claude Champagne, Hector Gratton, Oscar O’Brien, Léo-Pol Morin, Léo Roy, Irvin Cooper et Healy Willan, pour n’en nommer que quelques-uns [4] Comme on peut le constater, il s’agissait autant de compositeurs francophones qu’anglophones [5]. Ces compositeurs ont par la suite tous composé des pièces de musique classique pendant les décennies qui suivirent, incorporant des éléments du répertoire traditionnel canadien-français ou s’en inspirant fortement, dont quelques-unes ont été enregistrées, et beaucoup d’autres seulement jouées à la radio ou en salle. Un album complet fut ainsi consacré aux œuvres de MacMillan sur la prestigieuse étiquette allemande Deutsche Grammophon, sur lequel figurait entre autres son œuvre Two Sketches : ‘Notre Seigneur en pauvre’, ‘À Saint-Malo’ (une œuvre composée pour le festival de 1927 et qui avait déjà été diffusée vers 1930 sur un disque 78-tours par le même quatuor qui l’avait interprétée au festival [6]), interprété ici par le renommé Quatuor Amadeus [7]. Les enregistrements d’œuvres des autres compositeurs ont été principalement publiés sur des albums de l’étiquette Radio-Canada International [8], telle l’excellente Esquisses du Québec, une œuvre de Michel Perrault datant des années 1950 mais qui tourne toujours occasionnellement sur les ondes de Radio-Canada.
Mais il y en a littéralement des centaines sinon des milliers [9] d’autres, qui ont été produites, ou dont la partition a été publiée, particulièrement des arrangements de chansons (pour une liste complète d’œuvres, manuscrites ou publiées, répertoriées avant 1950, voir Kallmann 1952). Elles portent des noms comme Rigaudon (pour petit orchestre), de Maurice Blackburn (1948) ; Danse rustique (pour violon et piano) et Seven Folk Songs (pour ensemble vocal), de Victor Bouchard (tous deux de 1949) ; Suite villageoise (pour violon et piano), de François Brassard (1948) ; Danse rustique (pour piano), de Albertine Caron-Legris (1947) ; Suite Canadienne (pour chœur et orchestre, de 1928), et Images du Canada Français (pour chœur et orchestre, de 1943), de Claude Champagne ; Arrangements of French Canadian folk songs, de Gabriel Cusson ; Quatre chansons populaires (pour solistes, chœur et orch.), de Rolland Gingras ; Three Folk Song Miniatures (V’la l’bon vent ; Isabeau s’y promène ; Les raftmans), d’André Jutras (1957) ; Variations on ‘Ah ! vous dirais-je maman’ (pour piano), de Claude Lavoie ; Suite Canadienne (Rigaudon ; Chanson ; Gigue) (pour piano), de Léo-Pol Morin ; Chansons du vieux Québec (pour chœur, de 1939), d’Eudore Piché ; Danse Canadienne (sur des chansons de Mary Travers, dite La Bolduc), de Robert Prévost (1959), et Danse Villageoise (pour piano), de Georges Savaria, etc., tous des compositeurs d’origine québécoise.
Une « tradition » avait donc graduellement pris naissance, comme Barbeau l’avait voulu, et au sujet de laquelle il fera des éloges pendant les décennies suivantes. Par exemple, en 1937, dans une récapitulation des festivals qui avaient eu lieu à Québec de 1927 à 1930, il écrivait : « On venait d’interpréter, au programme [d’un des Festivals] et à la radio, des compositions originales dont le thème était des chansons et des airs de danse. Plusieurs de ces compositions ont, depuis, été publiées et vulgarisées au Canada et à l’étranger. Les chants de notre pays peuvent faire naître de grandes œuvres, comme d’autres chants en ont inspirées en Europe. Nulle part ils ne sont plus nombreux, plus variés et plus admirables qu’au Canada ; ils y seront peut-être appelés à produire une renaissance du goût en musique et un renouveau dans l’art. » (Barbeau 1937 :116).
Il est clair que Barbeau lui-même considérait ces festivals, ainsi que les deux Veillées du bon vieux temps de 1919 qu’il avait présentés (puisqu’il en reparlera régulièrement dans ses écrits pendant les quarante années suivantes, mais tout en accordant aucune importance à celles de Gauthier) comme des moments clés dans l’histoire musicale canadienne. C’est une « tradition » qui s’est atténuée avec le temps, dans le monde de la musique savante, mais qui a quand même connu une certaine continuation jusqu’aux années 1970-1980, avec des pièces comme Les Turluteries d’André Gagnon (basée sur des chansons de Madame Bolduc, en 1972) ; Fantaisie pour violoneux et cordes (1976) et Fête Carignan (un ballet, de 1981), toutes deux du compositeur montréalais Donald Patriquin et mettant en vedette le violoneux Jean Carignan en tant que soliste et comme source d’inspiration. À la limite, on pourrait aussi inclure le Concerto pour piano et orchestre (1977) de François Dompierre, endisqué en 1980 sur l’étiquette Deutsche Grammophon avec le violoneux/violoniste André Proulx, une œuvre qui intègre toutes sortes de musique populaire sur un pied d’égalité, incluant un peu de musique traditionnelle québécoise dans le troisième mouvement.
Parallèlement, d’autres compositeurs canadiens-anglais continueront de faire la même chose, mais avec du matériel de source anglophone, tel Harry Somers et son Five Songs of the Newfoundland Outports (1968), ou encore de source autochtone, tel Murray Adaskin et son Algonquin Symphony qui incorpore des mélodies amérindiennes dans le troisième mouvement.
Entre-temps, Charles Marchand avait formé un quatuor vocal musical avec d’autres chanteurs de formation classique, qu’il a nommé Les Troubadours de Bytown, et qui participèrent aux trois festivals de Québec. Ils s’habillaient en ceintures fléchées, chemises et pantalons de laine carreautés, bretelles et bottes de travail de cuir, donnant l’impression qu’ils sortaient d’un camp de bûcherons, et ils ont fait fureur. Ils se promenaient dans les couloirs du Château Frontenac, lors du festival de 1927, tout en chantant leurs chansons de voyageurs et de bûcherons, et étaient accompagnés par un chef d’orchestre du Metropolitain Opera qui les suivait de près (Barbeau 1955:34). Malgré la présentation visuelle à la fois géniale et farfelue, il s’agissait cependant de présentations musicales raffinées et recherchées, utilisant des arrangements pour plusieurs voix de chansons traditionnelles, tel qu’on peut l’entendre sur leurs disques 78 tours [10]. Les arrangements (pour quatre voix) des Troubadours, contrairement à ceux de Marchand solo, semblent tous avoir été faits par un certain Pierre « Père » Gauthier, qui était en fait un musicien d’Ottawa (selon Barbeau 1955:34).
Lorsque Marchand décéda subitement en 1930, juste avant le festival dont il était un des organisateurs, ce qui entraîna la fin du quatuor vocal, Oscar O’Brien rencontra d’autres chanteurs de formation classique qui l’avaient approché parce qu’ils voulaient suivre le même cheminement, et qui formèrent Le Quatuor Alouette, avec O’Brien comme directeur artistique. Ce groupe, avec ses arrangements spectaculaires, fut rapidement reconnu mondialement comme le représentant du folklore canadien. Son moment de gloire suprême arriva lorsqu’il fut sélectionné pour chanter en présence de la reine et du roi lors de leur visite au Canada en 1939, mais il a aussi fait des tournées au Canada, aux États-Unis, en Europe et en Amérique du Sud. Le groupe entretiendra toujours un certain lien avec l’élite culturelle ainsi qu’avec le milieu anglophone : ce sera John Murray Gibbon qui écrira les notes pour les pochettes de leurs deux albums, et qui les comparera alors aux ménestrels de l’ancienne France. Ces deux albums étaient fort probablement les tout premiers albums (et non des disques 78 tours individuels) de musique traditionnelle québécoise et ils ont été publiés, en 1943 et 1948, sur l’étiquette RCA-Victor (quoique le deuxième était plutôt d’ordre religieux, et consistait d’anciens textes médiévaux mis en musique par les troubadours et les ménestrels de la France). Il s’agissait alors d’albums de plusieurs disques 78 tours, plus tard réédités en format vinyle 10 pouces, et encore plus tard combinés pour faire un seul album format 12 pouces. Leurs enregistrements étaient, encore une fois, des arrangements ou des harmonisations d’Amédée Tremblay, de Pierre Gauthier, d’Oscar O’Brien, ou encore d’un des membres du quatuor, Roger Filiatrault. Le groupe est demeuré actif jusqu’au milieu des années 1960. Plusieurs enregistrements radio faits pour Radio-Canada en 1954-55, toujours de chansons traditionnelles, ont été publiés sur disque compact en 2005.
D’ailleurs, c’est plutôt Le Quatuor Alouette, ainsi que des chanteurs de formation similaire tels Les Grenadiers Impériaux, Mariette Vaillant avec Omer Dumas et ses Ménestrels, Jacques Labrecque, Paul-Émile Corbeil, Albert Viau et les autres chanteurs de formation classique associés à La Bonne Chanson, etc., et non pas Madame Bolduc ni les chanteurs-comédiens du Monument National, qui étaient diffusés sur les ondes de Radio-Canada dans ses émissions tels le Réveil Rural ou Le Quart d’heure de La Bonne Chanson, des années 1930-60, si on se fie aux publicités (tel que reproduites dans Labbé 1977) [11]. Ces émissions se voulaient diffuseurs de musique et de chanson traditionnelles, et elles l’étaient, mais conçues pour les oreilles plus fines de l’époque. La culture qui était diffusée sur les ondes de Radio-Canada pendant les années 1940-50 est généralement reconnue avoir été plutôt orientée vers la classe bourgeoise et l’élite culturelle, et pour illustrer ce propos je cite l’artiste visuel René Derouin : « Si on ne l’a pas connu, on ne peut pas s’imaginer ce qu’était le Québec en 1955. […] Je viens d’un milieu prolétaire, ouvrier, c’est pour ça que j’ai quitté, pour fuir la médiocrité. Lorsque je suis arrivé à Mexico […] j’ai découvert que la culture était une chose quotidienne, palpable, […] alors que chez nous, ça se résumait plus ou moins aux ondes d’une radio qui transmettait de la musique et de la poésie à la mode de Paris […]. [Au Québec,] La culture me paraissait être une chose hors de ma portée. » (Derouin, interviewé par Couëlle 1996:B1).
Ce soi-disant « réveil rural » (ou « réveil folklorique »), n’était pas un réveil métaphorique du pays rural lui-même, mais bien un réveil, par et pour les membres de l’élite culturelle, aux beautés du folklore rural, mais raffiné d’une manière à être comestible pour cette élite. C’était un terme qu’on appliquait alors au phénomène (et qui diffère un peu du terme « revival », puisque celui-ci s’applique plutôt à la renaissance de l’activité plus populaire), et d’où venait le titre de l’émission de Radio-Canada. On va d’ailleurs remarquer que dans son bref « résumé du réveil folklorique au Canada », le Docteur Hurtubise, membre de l’élite culturelle et associé d’assez près au milieu (ce serait lui qui aurait invité Marchand à donner un récital au Monument National, en 1920), ne fait aucunement mention des Veillées du bon vieux temps qui avaient eu lieu au Monument National depuis déjà presque que dix-huit ans (Hurtubise 1939). (Mais on va remarquer que lui aussi remonte à Ernest Gagnon pour les débuts de ce réveil.)
Parallèlement, par contre, de nombreuses autres émissions de musique et de chanson traditionnelles auront lieu sur les ondes de postes de radio (et plus tard de télévision) plus « populaires », tel CKVL, à Verdun, et un peu partout à travers la province, qui mettront en vedette des artistes plus populaires, tels Isidore Soucy et la Famille Soucy, Oscar Morin, Ovila Légaré, Eugène et Pierre Daignault, André Lejeune (tous à Montréal), ainsi que les violoneux Paul Bossé (Rimouski), Monsieur Pointu (Montréal), Ti-Blanc Richard (Sherbrooke), et même le groupe Éritage (Québec), etc. (Labbé 1995:17-19). D’une façon générale mais significative, il s’agissait d’artistes qui avaient été associés de loin ou de près aux Veillées du bon vieux temps au Monument National, ou à leur descendance artistique. On relate justement que la fameuse émission radiophonique du groupe Les Montagnards Laurentiens, qui a été diffusée pendant trois décennies à partir de 1931 à Québec, était similaire aux numéros de vaudeville présentés à l’époque, mélangeant sketches radiophoniques, blagues, musique traditionnelle, variétés populaires, etc. (Favreau 2005:1), donc un mélange similaire aux Veillées du bon vieux temps de Conrad Gauthier. Gauthier lui-même aura été un des premiers folkloristes populaires à diffuser du folklore sur les ondes radiophoniques de CKAC, vers 1922-23. Celle-ci visait comme clientèle le prolétariat urbain de Sainte-Marie, Hochelaga et Maisonneuve, quartiers ouvriers de Montréal (Montigny 1979:47-48).
Mais, pour y revenir, cette présentation ou cette transformation de la musique et de la chanson traditionnelle, avec une présentation et/ou des arrangements plus soignés ou classiques (et complètement à part de la « tradition » de s’inspirer du patrimoine traditionnel dans le domaine de la musique classique et « savante »), est devenue une sorte de tradition en soi, avec les années, ou plutôt une façon de faire du traditionnel qui a persisté, mais qui est demeuré en marge du revival de la musique traditionnelle plus « authentique » qui aura lieu à partir des années 1970. Quelques exemples notables sont les tout premiers disques de Jacques Labrecque (qui avait d’ailleurs été membre temporaire du Quatuor Alouette) des années fin 1940-début 1950 enregistrés avec un grand orchestre (une approche qu’il a repris vers la fin de sa carrière, vers les années 1980, ou il sera accompagné par l’Ensemble Claude-Gervaise) [12], ainsi que les albums de Raoul Roy des années 1960 (mais pas ses spectacles), sur lesquels il faisait appel à un chef d’orchestre et arrangeur différent pour chaque album, dans le but d’explorer des nouvelles sonorités [13].
Dans cette catégorie il faudrait aussi mentionner les disques produits par La Bonne Chanson : une série d’au moins une dizaine de long-jeux qui étaient conçus pour les écoles et y étaient distribués, pendant les années 1950-60 (en plus d’une cinquantaine de disques 78 tours qui avaient déjà été produits pendant les années 1930-40), et qui étaient un mélange de folklore, de musique religieuse et de compositions patriotiques originales à caractère plus ou moins traditionnel. Il y avait un album pour chaque année scolaire du cours primaire, en plus d’autres albums qui pouvaient être utilisés indistinctement. Plusieurs sélections ont été commercialisées sur des compilations dans les décennies qui ont suivi, et parmi les sélections de matériel folklorique en particulier on retrouve des orchestrations ou des harmonisations souvent assez extraordinaires, par des musiciens tels Conrad Letendre, André Grassi [14], Gabriel Cusson ou Michel Perrault. Certains étaient des musiciens assez avant-gardistes, comme le mentionne brièvement Jean-Claude Bélanger dans une critique d’un livre sur l’œuvre de La Bonne Chanson (Bélanger 2002:6). Naturellement, les chanteurs sur ces disques étaient tous de formation classique (Claude Létourneau, baryton ; Guy Lavoie, tenor ; Aline Giroux, soprano ; Jules Bruyère, baryton ; Robert Savoie, baryton ; Marguerite Gignac, soprano, etc., ceux-ci étant tous des canadiens-français avec des carrières internationales). Ces productions sont peut-être un peu marginales aujourd’hui, mais à l’époque elles ont créé une esthétique pour une bonne partie d’une certaine génération, puisque ces disques étaient distribués non seulement à la grandeur du Québec mais aussi en Ontario et au Nouveau Brunswick, en compagnie des fameux recueils de chanson, pour être intégrées aux programmes officiels des écoles (Dupont-Hébert 1958) [15].
De plus, on va se rappeler qu’avant d’entrer en contact avec Marius Barbeau et son milieu, le rêve de Charles Marchand avait été « de créer une Chanson Canadienne analogue à la Bonne Chanson Française » (Hurtubise 1939), l’organisme à l’origine de celle d’ici. Mais il est aussi intéressant de noter que l’œuvre de La Bonne Chanson, par contre, ne plaisait pas particulièrement à Barbeau, et il avait exprimé sa désapprobation par écrit (Barbeau 1946:10). Mais il serait juste de signaler que son désagrément ne venait pas des arrangements musicaux qu’on pouvait entendre sur les enregistrements, mais plutôt de la chanson, qu’il trouvait être une tromperie et une imposture de ce qu’était vraiment la chanson populaire (c’est-à-dire la chanson de tradition orale).
Dans cette « tradition » on pourrait aussi inclure les compositions de Lionel Daunais, interprétées par son groupe vocal Le Trio Lyrique qui a aussi chanté plusieurs de ses arrangements de chansons folkloriques (années 1940-60). Dans cette optique, il est aussi intéressant d’ajouter que Daunais avait remplacé Charles Marchand dans le groupe Les Troubadours de Bytown pour leurs dernières prestations au Festival de la chanson, des danses et des métiers du terroir de Québec de 1930, suite au décès de Marchand. En plus, il avait été un élève d’Oscar O’Brien (Perron 2004), qui de son côté, avait été un élève d’Amédée Tremblay (Kallmann 1952:185). En discutant de la carrière de Jacques Labrecque, Mathieu Perron écrit d’ailleurs que : « La future carrière d’un élève est souvent orientée par les intérêts, la renommée et les réseaux de contacts de ses professeurs » (Perron 2004). On peut effectivement voir comment cette « tradition » s’est transmise à travers une multitude d’acteurs et sur plusieurs générations, à partir des musiciens-compositeurs du tournant du siècle.
Mais cette transformation s’est toutefois aussi propagée parmi des groupes plus intimement liés au milieu revivaliste traditionnel plus contemporain : je pense au groupe Éritage, qui, sur ses deux albums, présente des arrangements très formels, particulièrement flagrants sur les pièces lentes ainsi que sur les chansons. Ceci n’est pas tout à fait surprenant lorsqu’on considère que la majorité des membres de ce groupe un peu légendaire avait une formation musicale plus académique. Pendant ses dernières années, vers le milieu des années 1980, ce groupe élaborera d’ailleurs cette approche dans ses spectacles d’une façon assez poussée, une période qui n’a malheureusement pas été préservée sur disque (Benoît 2010). La chanteuse de formation qui avait accompagné le groupe sur son premier album, Céline Chaput, a d’ailleurs enregistré un album complet de chansons traditionnelles avec le ténor Roger Doucet (celui qui chantait l’hymne national au Forum de Montréal), vers les mêmes années (1980).
C’est aussi une approche qui se retrouve, d’une façon plus ou moins prononcée, sur des productions musicales de groupes contemporains qui se trouvent un peu en marge du milieu trad plus puriste ou néo-trad comme tel : des groupes comme L’Ensemble Folklorique Arc-en-son [16] (plus évident sur leur premier album, la cassette de 1993), ou La Troupe Bouclée (2002). Mais c’est aussi une distinction qui tend à disparaître à mesure que le niveau technique de musiciens associé à la musique traditionnelle contemporaine augmente.
On pourrait aussi inclure dans cette catégorie les plus récents disques de Monique Jutras (1999 et 2008), qui font appel aux arrangements musicaux de Jean-Claude Bélanger (qui a d’ailleurs non seulement étudié avec Michel Perrault mais qui reprend essentiellement ce qu’avait prôné Marius Barbeau et Ernest Gagnon avant lui) et à l’accompagnement de l’Ensemble Claude-Gervaise, ce qui leur donne une saveur semblable à ce que faisait Raoul Roy auparavant, mi-classique et mi-médiéval. D’autres vont explorer plus expressément ce côté médiéval, comme le groupe La Sainte Barbe (2003, quoique d’une façon plus ou moins « authentique » puisqu’on y intègre beaucoup de sonorités jazz), ou encore Bernard Simard et son association fascinante avec le groupe Constantinople (2005).
Finalement, Le Vent du Nord, par contre, vient tout juste de sortir un disque (2010) enregistré en spectacle où il est accompagné par l’Orchestre symphonique de Québec et où chaque pièce du répertoire du groupe est accompagnée d’arrangements orchestraux. Il s’agirait là possiblement d’une nouvelle tendance, puisque depuis quelques années d’autres groupes traditionnels ont fait la même chose : Yves Lambert et Le Bébert Orchestra qui ont collaboré avec l’Orchestre Symphonique de Montréal en 2008, Les Langues Fourchues avec l’Orchestre symphonique de jeunes Philippe-Filion de Shawinigan en 2008, La Volée d’Castors avec la Sinfonia de Lanaudière en 2009, tous des spectacles uniques mais qui n’ont pas étés enregistrés sur disque, en plus du Vent du Nord, qui avait tenté une première expérience symphonique en 2007 avec l’Orchestre de Portland, Maine (Bernard 2009). Par contre, dans le cas de l’enregistrement avec l’OSQ, il n’y a pas de doute qu’il s’agit du son distinctif du Vent du Nord—la présence de l’orchestre ajoute des harmonies et sonorités intéressantes mais ne transforme pas fondamentalement l’approche musicale du groupe.
Au niveau strictement instrumental, cette approche plus raffinée, avec arrangements pour un plus grand orchestre, et avec connotations de musiques plus sérieuses (sans toutefois être de la musique classique), et/ou intégrant des instruments qui ne sont pas normalement associés au folklore québécois, avait été faite par des groupes pseudo-folkloriques tels Omer Dumas et ses Ménestrels, et Adrien Avon et ses divers groupes (ses Gais Lurons ou Les Diables Noirs), pendant les années 1940-50, mais c’est une approche qui est devenue très marginale, comparativement à la place qu’elle avait auparavant. C’est une façon de faire et de présenter la musique traditionnelle qui avait perdu son attrait suite aux approches plus puristes des groupes revivalistes des années 1970. Justement dans le but d’explorer de nouvelles sonorités et après la fin de la période forte de ce revival, La Bottine Souriante a enregistré un arrangement d’un reel pour quatuor à cordes, avec Lisa Ornstein, sur l’album Je voudrais changer d’chapeau, vers 1989. Plus tard, le Duo St-Pierre/Roussel a entrepris un mélange de folklore, de jazz et de musique classique, entièrement instrumental et fortement inspiré par la musique de Jean Carignan, ce qui lui avait valu un prix « Coup de cœur » et qui avait donné lieu à un album complet au début des années 2000.
Le disque À cause (paru en 2000) du duo violon-guitare Marie-Claude Simard et Clément Tremblay (connu sous le nom de L’Ensemble Bouffon) est encore meilleur et d’une rare beauté. Dans ce cas il s’agit d’un album de reels au violon, mais nettement interprétés comme s’il s’agissait de musique classique ; un peu comme la violoniste Angèle Dubeau et son groupe La Pietà qui a interprété le Reel du Diable sur un de ses disques (en 2003). Pour comprendre À cause, il faut l’écouter justement comme une expression de la volonté de trouver une beauté dans la musique traditionnelle tout en l’élevant au niveau de la musique classique, et non comme un album de musique traditionnelle comme tel (car dans ce cas il est décevant). Pour son deuxième album, À cause d’eux (2003), le duo a plutôt pris une approche plus typiquement néo-traditionnelle contemporaine.
Autre approche intéressante : celle du groupe Buzz, qui est en fait un quintette de cuivres, et qui a produit un album en 2006 composé entièrement de suites instrumentales inspirées de musique traditionnelle québécoise (dont quelques-uns des compositeurs mentionnés dans la liste ci-dessus), mêlé à trois hommages instrumentaux dédiés à ceux que le groupe considère être trois piliers de la chanson québécoise : Gilles Vigneault, Félix Leclerc, et Madame Bolduc. L’approche est entièrement classique et n’a absolument rien à voir avec le jazz, contrairement aux cuivres de La Bottine Souriante des vingt dernières années.
Du côté ensemble vocal, il y a une certaine tradition qui se maintient avec des groupes plus contemporains du milieu (néo‑) traditionnel proprement dit, comme Les Charbonniers de l’Enfer [17], et Galant, tu perds ton temps, etc., même si l’approche n’est pas strictement classique [18]. Cette « tradition » s’est aussi manifestée d’une façon plus « sérieuse » tout au long des années 1950-60-70-80 et même 1990 avec des petits groupes vocaux comme les Joyeux Copains de Hawkesbury (une dizaine de jeune hommes, actifs en Ontario ainsi qu’au Québec, fin des années 1950), Les Troubadours de Terre des Hommes (un quatuor mixte qui chantait des harmonisations polyphoniques assez poussées pour quatre voix, de chansons entièrement tirées du répertoire traditionnel québécois, toutes puisées dans les Archives du folklore de l’Université Laval à Québec, vers les années 1970), et Figaro (un quatuor masculin avec piano dont le répertoire semble être composé à parts égales de chansons traditionnelles québécoises, de lieder et de barbershop, vers 1994) ; ainsi que plusieurs chorales qui ont enregistré d’excellents disques partiellement et même entièrement consacrés au folklore québécois et canadien-français, tels les Disciples de Massenet vers la fin des années 1950 (une chorale qui avait d’ailleurs été présente au Festival de la chanson, des danses et des métiers du terroir de Québec de 1928 et de 1930), La Société la Chorale Bach de Montréal (vers 1959), Le Petit Ensemble Vocal de L’École Normale de Musique (un ensemble d’environ une vingtaine de jeunes femmes, dirigé et harmonisé par Claude Champagne, vers 1961), Le Chœur du Chemin du Roy (de Repentigny, une chorale mixte qui portait fièrement la tenue des « filles du Roy » et de leurs prétendants, 1984), les Petits Chanteurs de Trois-Rivières (une chorale de garçons et d’hommes au nombre d’environ une soixantaine, 1987), et les Petits Chanteurs du Mont-Royal (la chorale mondialement renommée de Montréal, 1997), etc.
Il s’agit là d’un phénomène assez éloigné du monde actuel de la musique néo-traditionnelle québécoise, mais ce nombre (incomplet) assez élevé d’albums presque entièrement consacrés à la chanson traditionnelle canadienne-française est sûrement assez significatif dans le petit monde de productions sonores faites par des ensembles vocaux. Cet intérêt s’explique parfois par le fait que cette musique est tout simplement ancienne et concorde temporellement avec le style du groupe, par exemple dans le cas de La Société la Chorale Bach de Montréal qui avait comme mission avouée d’interpréter de la musique qui était contemporaine de ce compositeur, ou encore Les Troubadours de Terre des Hommes qui semblaient se spécialiser dans la polyphonie des 16e et 17e siècles ; d’autres, en l’occurrence les Disciples de Massenet et la présence de Claude Champagne au sein du Petit Ensemble Vocal de L’École Normale de Musique, ont un lien beaucoup plus direct avec Marius Barbeau.
On constate cela à partir de la production de documents sonores, mais selon Christine Dumas, directrice générale de l’Alliance des chorales du Québec, « le répertoire choral regorge d’œuvres, les unes plus fascinantes, les autres plus attrayantes, basées sur notre chanson traditionnelle » (Dumas 1998:19). Elle fait mention, entre autres, de pièces importantes, soit par leur complexité, leur ampleur ou leur popularité parmi des ensembles vocaux, qui ont étés publiées, telles : la Symphonie de chants paysans de Marc Gagné, pour chœur, solistes et grand orchestre (1979) ; Chansons populaires, de François Brassard (1980) ; ou encore la Petite Suite Québécoise de Marie Bernard (1979), qui elle a été enregistrée par plusieurs ensembles vocaux de la province.
Voilà donc un bref aperçu du développement de l’intérêt pour la musique et la chanson traditionnelles québécoises, interprétées d’une manière non-revivaliste mais plutôt classique et formelle depuis le tournant du siècle, chose qui avait été souhaitée par Marius Barbeau ainsi que par Ernest Gagnon avant lui, d’où ma distinction entre un produit (artistique) et une pratique (populaire) (j’ai volontairement ignoré ici les approches plus jazz ou autrement métissées, soit de La Bottine Souriante, d’Yves Albert ou de l’Orchestre d’Alphonse Ghédin avant eux, que je considère plus proche du « populaire »).
Dans la troisième partie de cet exposé, je reviendrai sur le développement de la pratique plus populaire de la musique traditionnelle, de son revival plus puriste des années 1970 qui se voulait en opposition à la pratique plus populaire de faire du folklore observée dans les années 1920 à 1960, et je regarderai de plus près la question de l’authenticité.
19. L’article sur Gagnon déjà cité (dans la première partie de ce texte ; Smith 1989) donne quelques extraits de lettres de Gagnon (dont une adressée à Barbeau) où il exprime ce désir, ainsi que quelques extraits de ses compositions musicales. La différence entre Barbeau et Gagnon sur ce premier point, par contre, est que Gagnon n’aura eu que peu d’influence en ce qui concerne cette transformation (ou appropriation) du folklore par la musique savante, durant son vécu, les compositeurs de la génération suivante, les Fortier, d’Aragon, Laliberté et Tremblay etc., n’ayant seulement montré un intérêt pour le folklore qu’à partir de la première ou deuxième décennie du 20e siècle. Dans sa lettre adressé à Barbeau, datée de 1911, donc quatre ans avant son décès (et donc quelques années avant même que Barbeau s’intéresse au folklore canadien-français), il lui avait spécifiquement suggéré que, étant donné que lui-même avait eu comme intention que ses travaux de collecte de chansons françaises, ainsi que de musiques amérindiennes, servent à créer une inspiration et une « fondation » pour un nouveau langage musical national, que « peut-être » que Barbeau pourrait prendre la relève et continuer à encourager les compositeurs canadiens à s’inspirer de ce matériel dans leurs compositions futures. Ce que Barbeau a donc fait par la suite, comme il l’a indiqué clairement dans sa présentation de ses « veillées du bon vieux temps » de 1919 (entre autres), tel que déjà cité, sans toutefois qu’on puisse déceler qu’il s’agissait d’une influence directe de Gagnon ou non. (Malheureusement, une citation directe de Gagnon est impossible ici, car l’auteur [Smith] a déjà traduit l’original du français à l’anglais, et donc je dois retraduire en français.)
PS : Vous pouvez consulter la bibliographie lié à cet article sur le site du Centre Mnémo.