Le violon en France au temps de la colonie

Vol. 6, no. 1, Été 2001

par PLANTE Gilles

Le violon en France au temps de la colonie

Rébec et violon selon le Syntagma Musicum de Michel Praeyorius, 1619

Il ne nous reste pas beaucoup de témoignages sur le violon aux premiers temps de la colonie : pas de description de l’instrument ou même de violoniste en train de jouer. Mais on sait que le violon y était : il y en eut deux en 1645, selon le Journal des Jésuites aux noces de la fille de M. Couillard avec le fils de Jean Guion, et un autre à la messe de minuit. Mais plus tard, en 1660, on avait remplacé le violon par les violes aux offices religieux, ce qui était plus en accord avec les coutumes françaises. Aussi il nous a semblé intéressant d’aller voir ce qui se passait en France au XVIIe siècle pour comprendre la vie du violon en Nouvelle-France et expliquer un peu comment il est devenu l’instrument traditionnel par excellence.

Il subsiste quelques incertitudes quant aux origines du violon, vers les années 1530. Mais chose certaine, c’est qu’avant le violon, il y a eu la famille des violes de gambe, sur laquelle on calquera la famille du violon ; le rebec : petit instrument à trois cordes, porté à l’épaule, d’usage plutôt populaire ; et surtout la lyra da braccio, héritière de la vièle à archet médiévale, dont la caisse préfigure celle du violon : épaules arrondies, échancrures en forme de C vis-à-vis le chevalet, des ouies, une table et un fond bombés. Le violon se serait développé sous ces diverses influences et n’a pas paru comme une invention exceptionnelle, ce qui expliquerait la « brume » qui entoure son origine.

Dans la deuxième partie du XVIe siècle, la forme particulière de l’instrument est bien imposée. Il y a déjà des écoles de lutherie bien établies et la qualité des violons italiens, surtout ceux de Crémone, est déjà notoire. Cela se voit au prix des instruments. Ainsi, en 1625, dans l’inventaire après décès de François Richomme, « Roi des joueurs d’instruments du Royaume de France », un « viollon de Cremonne garny de son archet et estuy fermant à clef » est prisé 90 Livres et un « viollon de Lorraine (donc de facture française) aussy garni de son archet et estuy fermant à clef » est prisé 8 Livres. [1]

Cause ou effet de cette lutherie avancée, les Italiens ont tout de suite considéré le violon comme un instrument sérieux, propre à faire de la « grande musique » et les compositeurs italiens ont tout de suite produit des sonates virtuoses qui mettaient l’instrument en vedette.
En France, ce fut différent. Il y avait la viole de gambe, bien établie dans le monde de la musique sérieuse. Les nobles se faisaient un devoir d’en jouer et les bourgeois, pour bien paraître, imitaient les nobles.
« Les violes... sont grandement propres pour les concerts de musique, soit que l’on les veuille mesler avec les voix, soit qu’on les veuille joindre avec autres sortes d’instruments : car la netteté de leur son, la facilité de leur maniment, et la douce harmonie qui en résulte, fait qu’on les emploie plus volontiers que les autres instruments... il n’y a rien de si charmant que les mignards tremblements qui se font sur le manche, et rien de si ravissant que les coups mourants de l’archet. [2] »

Quand le violon est apparu, on l’a jugé grossier et trop fort par rapport aux raffinements de la viole et on l’a relégué aux bals et autres manifestations populaires. Son jeu était trop loin des « mignards tremblements ». On le retrouve alors entre les mains des ménestriers, joueurs de cornet et saqueboute, professionnels de la musique d’extérieur. Ainsi dans un contrat de 1569 où on engage des ménestriers pour donner des Aubades aux Maitres-Chapeliers de Paris, à la fête de la St-Michel, on « promet de faire jouer... six aubades de cornet à boucquin et viollons au cas que ne pleuve lors, et, sy l’avient qu’il pleuve ladite nuit, ils joueront de fleutes d’Alemans et saqueboutes. [3] »

Le rôle social du violon est très clair :
« Les violons sont principalement destinés pour les danses, bals, balets, mascarades sérénades, aubades, festins,et autres joyeux passetemps... [4] »
Ainsi les violonistes qui ont traversé au XVIIe siècle pour venir s’établir en Nouvelle-France étaient habitués aux manifestations populaires. Comme il était courant pour les ménestriers d’enseigner les danses, (la danse faisait partie de l’apprentissage normal d’un joueur d’instruments) on peut s’attendre à ce qu’ils aient servi aussi de maîtres à danser. Et nous croyons que tous les incidents musicaux (bals, noces, mascarades, ballets, festins) dont on parle à partir des Jésuites de 1645 jusqu’à Madame Bégon en 1749 supposaient la présence de violons joués par des musiciens professionnels ou semi-professionnels.
Et les violoneux y auraient pris leur origine, perdant le statut professionnel des musiciens français mais conservant le rôle social de l’instrument, conservant aussi leur façon de tenir l’instrument : à la poitrine ou à l’épaule, sans appuyer le menton, conservant pendant un certain temps aussi le répertoire, jusqu’à ce que la rencontre des musiciens irlandais au XIXe siècle les fasse basculer dans le monde des reels et des gigues.

Notes

[1F. Lesure, Musique et musiciens français du XVIe siècle, Minkoff, Genève, 1976, p.103.

[2P. Trichet, Traité des instruments de musique, 1640, Minkoff, Genève, 1978, p. 167

[3Lesure, ibid. p.80

[4Trichet, ibid. p.1701



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