Notes sur les noëls traditionnels

Vol. 7, no. 2, Été 2002

par PLANTE Gilles

Bergers se préparant à aller à la crèche en suivant l’Etoile. Instruments de musique et gourdes de vin seront du voyage !
Gravure sur bois tirée du Calendrier des bergers, Paris 1500.

Certains d’entre vous auront peut-être remarqué que le mot « noël » du titre n’avait pas de majuscule. C’est que nous ne parlerons pas directement de la fête de Noël mais des chants qui en sont issus, qu’on appelle des noëls.
C’est vers le IXe siècle qu’on a commencé à composer des chants autour du thème de Noël. Et dès le XIIe siècle certains chants se sont pratiquement transformés en comédie musicale qu’on appelait « Ludus » c’est-à-dire un « Jeu », puisqu’on y jouait en chantant les rôles des principaux personnages qui évoluaient autour de la crèche : Marie, Joseph, les bergers, les anges, les Mages, le roi Hérode… Cela se faisait à l’église ou du moins sur le parvis. Mais c’est au XVe siècle qu’apparaissent les noëls traditionnels qui ne sont plus associés à des cérémonies religieuses. Ce sont ces airs qui ont plus tard traversé en Nouvelle-France pour y demeurer jusqu’à nos jours.

Les noëls des XVe et XVIe siècles.

Cette époque a connu un grand foisonnement de chants de Noël profanes qui se sont diffusés à travers toute la France, grâce bien sûr à la tradition orale mais aussi par la publication de nombreux recueils.

En voici quelques exemples :
En 1520, un certain Lucas Le Moigne, curé de St-George du Puys La Garde au diocèse de Poitou, publie un recueil de « noëls nouveaux ». Il utilise les airs de 36 chansons déjà connues du public, sur lesquels il a mis des paroles de son cru.

En 1555, Nicolas Martin, musicien en la cité de St-Jean-Maurienne en Savoie publie des noëls et chansons tant en vulgaire Françoys que Savoysien dict Patois. Dans son cas il a composé des airs nouveaux pour chaque noël.
En général, ces initiatives personnelles n’ont pas eu de grands lendemains et personne aujourd’hui ne chante plus les noëls de Martin. Mais il y a un répertoire d’une trentaine d’airs qui ont survécu, largement diffusés par des éditions qui se sont échelonnées jusqu’au XVIIIe siècle.

La musique

Les mélodies étaient souvent des airs populaires sur lesquels on collait des paroles de circonstance qu’on appelait « noëls nouveaux »

Ainsi la chanson :
« Sur le pont d’Avignon J’ai ouï chanter la belle » [1] est devenue :
« Sur le Mont de Syon J’ai su bonne nouvelle »

La chanson :
« Une jeune fillette De noble cœur »
qui raconte l’histoire d’une jeune fille mise au couvent contre son gré devient : « Une jeune pucelle De noble cœur »

et raconte désormais l’histoire de la Vierge Marie.
Ajoutons que les danses ont parfois connu un second souffle en devenant des chants de Noël. Ainsi, tirés du traité de danses l’Orchesographie de Thoinot Arbeau, le Branle Charlotte est devenu Noël Poitevin et le Branle de l’Official est devenu un Carol anglais que tout le monde connaît encore aujourd’hui : Ding Dong Merrily.

Les paroles

Les textes quant à eux traitent évidemment de la fête de Noël, avec ce qui frappait le petit peuple dans tout ça : l’annonciation par un ange, le bœuf et l’âne, l’enfant dans la crèche, la visite des bergers et des Rois mages. Dans certaines chansons on n’hésitait pas à remonter jusqu’au péché originel ! Les bergers tiennent une grande place dans ces chansons : ce sont eux que les anges ont avertis en premier, ils étaient là avant les rois mages, ils ont apporté des cadeaux : du vin, des jambons, des danses et des chansons…
La langue utilisée est évidemment le français mais on trouve des noëls en patois savoyard, poitevin et beaucoup en provençal. D’ailleurs plusieurs des noëls qui sont restés jusqu’à nos jours venaient de Provence : Entre le bœuf et l’âne gris, la Marche des rois, Guillot prend ton tabourin (connu en anglais sous le nom de Patapatapan) [2].

Souvent le texte du noël nouveau suit de très près les paroles originales : il faut pouvoir identifier l’air facilement et il faut respecter l’agencement des vers, le nombre des pieds, l’alternance des rimes féminines et masculines.

« Votre beauté, douce plaisante et belle » donnera
« Votre bonté, douce Vierge Marie »
« Il fait bon aymer l’oyselet »
donnera :
« Il est venu un oyselet »
Qui sera évidemment le Saint-Esprit ! On n’hésite jamais à placer des paroles de Noël sur des textes triviaux ou même très grivois. Et parfois le modèle s’adapte assez mal à la solennité du chant de Noël. Ainsi la chanson bachique : C’est notre grand père Noé a servi de modèle à un noël très connu : Bon Joseph écoute moy. Or une partie de la chanson à boire s’amuse à des bégaiements :

« Quand la Mer Rouge apparut
A la troupe noire
Les Israëlit’-z-ont cru
Qu’il fallait la boire
Mais Moïse fut plus fin
Il dit « Ce n’est pas du vin »
Il la pas pas pas
Il la sa sa sa
Il la pas Il la sa
Il la passa toute
Sans en boire une goutte ».

Et voici ce que donne le cantique sur le même air :

« Que chacun offre son cœur
Tout brûlant de cette ardeur
C’est la sain sain sain
C’est la to to to
C’est la sain. C’est la to
C’est la sainte offrande
Que Jésus demande » [3].

Au XVIIIe siècle.

Au XVIIIe siècle, ces noëls, qui circulaient surtout dans les milieux populaires, se retrouvent soudain dans la haute société. Il y aurait deux explications à cette brusque ascension sociale. Premièrement, la mode des « bergeries » qui sévissait dans les cours princières. Sous l’influence de quelques romans pastoraux, on s’était mis, dans les cours françaises et italiennes, à imiter la vie simple et idyllique des bergers. Comme les noëls anciens parlaient beaucoup des bergers, ils cadraient très bien dans cette mode. D’autre part, la reine de France, épouse de Louis XV, était une princesse d’origine polonaise et elle jouait de la vielle à roue, instrument décrié depuis des siècles en France comme instrument de mendiants. Mais puisque la reine de France en jouait, les musiciens qui gravitaient autour de la cour se sont mis à composer pour la vielle et la musette, considérés désormais comme instruments « pastoraux ». Dans cet esprit, ils se sont jetés à « violons raccourcis » sur les mélodies des noëls anciens et en ont fait de nombreux arrangements, non seulement pour la vielle ou la musette, mais aussi pour orchestre : Les symphonies de Noël de De La Vigne, Charpentier, Corrette, et même pour orgue : Les Noëls de Le Bègue, D’Andrieu, D’Aquin, Balbastre… [4] Ces Noëls instrumentaux évitaient un problème : le vieillissement des textes qui dataient pour la plupart du XVIe siècle. Pour moderniser les textes, il s’est trouvé un poète-abbé, vivant à Paris, qui s’appelait Joseph-Simon Pellegrin. Pour subsister, ce prêtre indigent avait ouvert une boutique de madrigaux et épigrammes à caractère religieux, qu’il vendait pour toutes occasions ! Il écrivait aussi pour le théâtre, afin d’arrondir ses fins de mois. Ce qui inspira par ailleurs à un poète rival cette fausse épitaphe méchamment publiée du vivant de l’intéressé :

« Ci-git le pauvre Pellegrin
Qui dans le double emploi de poète et de prêtre »
Éprouva mille fois l’embarras que fait naître
La crainte de mourir de faim
Le matin catholique et le soir idolâtre,
Il dînait de l’autel et soupait du théâtre. » [5]

Sa production est énorme : tragédies, opéras, vaudevilles… oeuvres qui méritent toutes l’oubli dans lequel elles sont tombées, selon les experts.
Il a aussi fait des centaines de chansons sur des thèmes religieux : L’Histoire de l’Ancien et du Nouveau Testament, les Psaumes, les Proverbes de Salomon, l’Imitation du Christ… et des Noëls Nouveaux, recueil où il reprenait 18 des noëls anciens et leur prêtait un texte nouveau, « moderne ».

C’est sous sa plume que :

« Où s’en vont ces gais bergers » devint : « Ça bergers assemblons-nous »
« Laissez paître vos bêtes » devint :
« Venez divin Messie »
« Une jeune pucelle » devint :
« Entends ma voix fidèle »
On lui doit aussi « Bel astre que j’adore » et une version révisée de « Or nous dites Marie ».

Et si on parle de lui aujourd’hui, c’est que ses noëls ont connu une grande vogue en Nouvelle-France. Il était reconnu de ce côté-ci de l’océan comme l’ennemi personnel de Voltaire, ce qui donnait à ses œuvres une carte d’entrée dans les bibliothèques des communautés religieuses. Et c’est grâce à elles qu’on chante encore ces airs dans le Québec du XXIe siècle.
Quant au Noël Huron, dont le texte est attribué à Jean de Brébeuf, il est composé sur le thème du noël ancien « Une jeune fillette ». C’est du moins ce qu’en disent les musicologues, car le lien entre les deux mélodies n’est pas tout à fait évident. [6]

Voilà l’origine d’une partie des chants que nous entendons dans le temps des fêtes. Ce sont des chants traditionnels, bien qu’ils ne se soient pas diffusés de la même façon que les vieilles chansons qui font la richesse de notre répertoire folklorique.

Notes

[1On peut trouver une version de cette chanson dans le recueil Au chant de l’Alouette de Raoul Roy

[2Plusieurs des noëls mentionnés dans cet article ont été enregistrés par l’Ensemble Claude-Gervaise : Noël ! Noël ! SNE-551-CD

[3Ce passage est inspiré du chapitre 12 du livre : Noels Anciens de la Nouvelle-France par Ernest Myrand, Beauchemin, Montréal, 1913

[4On peut trouver des enregistrements des noëls du XVIIIe siècle : Simphonies des noëls de Richard de La Lande, Noëls pour les instruments de Marc-Antoine Charpentier, In : Simphonies des noëls ; Les violons du Roy, Dorian, DOR 90180. Symphonies des noëls de Michel Corrette, In : Symphonies des noëls et concertos comiques, Arion, Atma, ACD 2192

[5Cité par Ernest Myrand, Op.cit. p.132

[6Les deux mélodies ont été enregistrées sur le disque Nouvelle France de l’Ensemble Claude-Gervaise.



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