Refrains et mélodies de l’Ile-du-Prince-Édouard

Vol. 5, no. 3, Hiver 2001

par FAVREAU Éric

Les provinces maritimes regorgent d’un immense bassin francophone où la tradition orale, sous ses multiples facettes, a depuis longtemps piqué la curiosité des ethnologues, historiens et autres férus de culture. On ne peut compter les multiples publications traitant de la culture acadienne sous toutes ses formes. De grandes collectes avaient déjà été effectuées dans plusieurs coins des provinces maritimes. Nous n’avons qu’à penser à des gens comme Robert Bouthiller et Vivianne Labrie, et même à Luc Lacourcière, qui ont parcouru inlas-sablement ces secteurs où la tradition orale francophone est toujours bien vivante. D’autres personnes ont bien sûr entrepris de grandes collectes et le nombre de documents recueillis demeure toujours impressionnant. Si les Archives de folklore de l’Université Laval sont, pour beaucoup de gens, le centre de recherche privilégié de la culture traditionnelle francophone, il ne faut cependant pas oublier son équivalent acadien : le Centre d’étude Acadiennes, situé à Moncton, où l’on retrouve également de magnifiques collections.

Pour permettre de rendre plus accessible une infime partie des do-cuments sonores entreposés dans leurs archives, le Centre d’étude Acadiennes a créé une série inti-tulée : Collection Traditions Acadiennes. Cette série devra donc être composée de plusieurs publications, qu’elles soient sous forme de disques compacts ou de livres. Refrains et mélodies de l’Ile-du-Prince-Édouard est donc le premier disque issu de cette série. Pour ce faire, le Centre d’études Acadiennes a collaboré avec Georges Arsenault. Ethnologue et historien, celui-ci est originaire d’Abraham-village, sur l’Ile-du-Prince-Édouard. En 1971, il commence des enquêtes, qui n’ont d’ailleurs jamais cessé, sur les traditions orales dans son village. Par la suite, il étend ses recherches sur tout le territoire de l’Ile où il y a présence acadienne. On se rappellera que monsieur Arsenault avait déjà publié Contes, légendes et chansons de l’IPE (1998), Complaintes acadiennes de l’IPE (1980) et Par un dimanche au soir : Léah Madix, chanteuse et conteuse acadienne (1993). Outre ces quelques livres de monsieur Arsenault, qui nous font découvrir la tradition orale de l’IPE, nous avons eu droit à une très belle publication sur le répertoire des violoneux de l’IPE écrit par Ken Perlman aux Éditions MelBay (voir Bulletin Mnémo décembre 1996).

Refrains et mélodies de l’Ile-du-Prince-Édouard, vient, en quelques sortes, contrer l’absence de documents sonores dans l’oeuvre de M. Arsenault. Ce disque offre un riche échantillon de la tradition chantée et musicale de la communauté aca-dienne de l’Ile. Celle-ci se retrouve bien sûr un peu partout sur l’Ile, mais sa plus grande concentration se situe dans la partie ouest, entre Tignish et Summerside où ont été effectués les enregistrements de ce disque. On y retrouve donc vingt-trois chansons et cinq pièces instrumentales interprétées par dix-huit chanteurs et musiciens différents. Tous les documents sont des enre-gistrements de terrain d’une très bonne qualité sonore, ce qui facilite l’écoute. Les chansons sont interprétées a capella et couvrent plusieurs catégories : complaintes moyenâgeuses, refrains enfantins, chansons à répondre, chansons locales. La majorité des chansons sont interprétées par des femmes. À ce sujet, monsieur Arsenault note que : « ... à l’Ile ce sont les femmes qui, dans le cadre du foyer, ont le mieux conservé et transmis la chanson folklorique française ». Les interprétations des chanteuses et chanteurs sont remarquables, et la sélection très diversifiée de l’ensemble est très judicieuse. Même si plusieurs des chansons sur le disque sont relativement répandues dans l’ensemble du territoire francophone, on y fait des découvertes très agréables et on ne peut que rester attentif à ces interprétations. On notera également que certains artistes ont déjà puisé dans la collection de monsieur Arsenault, entre autres :

• Edith Buttler qui a enregistré la composition locale Marie Caissie (No. 16)

• le célèbre groupe Barachois de l’IPE a enregistré J’aurais quelque chose à dire (No.24)

• Tess Leblanc, qui enregistrera sur son prochain album Les poutines dans l’pot (No.25). Bien que le disque soit composé en majeure partie de chansons, on y entend tout de même quelques pièces instrumentales à l’harmonica, au violon et même à l’harmonium. D’ailleurs, l’interprétation à l’harmonium du reel écossais « Caber féidh » par madame Delphine Arsenault est absolument énergétique.

Le livret qui accompagne le disque est composé d’une vingtaine de pages et est très bien documenté. Il est agrémenté de plusieurs photos des informateurs. Un court texte d’introduction nous met en situation sur l’aspect francophone de l’Ile et de sa tradition musicale. On y trouve également des informations sur la vie des interprètes ainsi qu’un commentaire court, simple et instructif sur la chanson ou la pièce instrumentale interprétée. On sent d’ailleurs, par cette formule qui laisse beaucoup plus de place à l’information concernant les personnes collectées qu’à l’exposition de connaissances académiques, toute l’importance que monsieur Arsenault accorde à ses informateurs.

Les paroles des chansons ne sont malheureusement pas écrites. Ainsi, ceux qui voudraient les apprendre devront procéder par audition répétée, comme la tradition le veut...

La collection de monsieur Arsenault est riche et nous ne pouvons que remercier cette initiative qui permet d’atteindre un vaste pu-blic. La Collection Traditions Acadiennes veut être en mesure de publier, que ce soit des enregis-trements sonores ou des imprimés, les richesses de la tradition orale de la communauté acadienne. Elle y réussit très bien par ce premier disque d’une longue série (nous lui souhaitons). Le deuxième document sonore, qui devrait être disponible en juin 2001, sera consacré aux ré-cits de tradition orale (contes et légendes) de l’Ile-du Prince-Édouard. Les documents sonores proviendront également de la collection de Georges Arsenault.

Note : On peut se procurer le disque auprès de la Société pour la promotion de la danse traditionnelle québécoise, à Montréal (SPDTQ, 514 273-0880), au Centre de valorisation du patrimoine vivant, à Québec (CVPV, 418 647-1598) ou en communiquant directement au Centre d’études acadiennes de l’Université de Moncton (506 858-4085).



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