Au Québec, les disques de musique traditionnelle qui offrent des enregistrements d’archives ou d’époque sont plutôt rares. Bien qu’il y ait eu, au cours des années 1980, des repiquages d’enregistrements 78 tours de musiciens tel que Joseph Allard ou Alfred Montmarquette, on ne peut tout de même pas dire que les enregistrements de ceux que l’on appelle " les pionniers du disque folklorique " soient d’une grande accessibilité.
Heureusement qu’il y a des gens qui ont accumulé, au fil des ans, des documents, des objets, des photos, des disques qui témoignent de l’histoire sonore de la musique traditionnelle au Québec. Monsieur Gabriel Labbé est de ceux-là. Au cours de sa vie, il a amassé la plus grande collection de disques 78 tours se rapportant à la musique traditionnelle québécoise. Soucieux de vouloir faire partager ses découvertes, il publia Les pionniers du disque folklorique québécois en 1997, puis Musiciens traditionnels du Québec en 1995.
L’idée de développer une anthologie sonore est née au lancement de ce dernier et regroupe trois partenaires : Radio-Canada, la Bibliothèque nationale du Canada, et bien sûr monsieur Labbé lui-même. D’ici l’an 2000, nous aurons droit à quatre coffrets de deux disques couvrant chacun une période déterminée, soit : 1920 à 1940, 1940 à 1960 (qui devrait paraître cet automne), 1960 à 1980, et finalement de 1980 à l’an 2000.
Première époque : 1900 à 1940 est donc le premier de cette série. Les deux disques nous font découvrir des enregistrements 78 tours de vingt-six musiciens traditionnels, violoneux, harmonicistes, accordéonistes. Le coffret comprend quarante-six pièces totalisant plus de deux heures de musique. Il est accompagné d’un livret de seize pages, français-anglais, agrémenté de commentaires de monsieur Labbé. Chaque enregistrement a été minutieusement nettoyé afin de rendre l’écoute plus agréable.
Il faut préciser que la collection ne s’attarde qu’à la musique instrumentale, on n’y trouve donc pas de chansons. Il est intéressant d’entendre ces enregistrements et de découvrir quelques musiciens moins connus qui ont réalisé très peu de disques. Il aurait été d’ailleurs profitable de mettre l’accent sur ces enregistrements pratiquement inédits, car une large place est accordée à Joseph Allard, Alfred Montmarquette, Forunat Malouin, Adélard Saint-Louis et surtout Henri Lacroix. Ils sont tous des musiciens dont le répertoire a été largement diffusé. À eux seuls, ils occupent dix-neuf plages sur qua-rante-six. Il serait intéressant de connaître les critères utilisés par monsieur Labbé pour la sélection des pièces enregistrées. Néanmoins, il est toujours agréable d’entendre ceux qui ont permis de populariser certaines pièces de notre répertoire.
Le livret qui accompagne les disques nous donne des informations sur chacune des pièces et sur les interprètes. On donne de plus le nom de la compagnie et l’année d’enregistrement sous chacun des titres. Les commentaires de monsieur Labbé sont souvent inégaux, et certaines phrases nous amènent à nous interroger sur le jugement qu’il porte envers notre tradition musicale. Il est toujours délicat de parler " d’authenticité ", de " vrai style québécois " et " d’airs traditionnels de moindre qualité ". Ainsi monsieur Labbé affirme que :
"Seulement 20% du contenu de notre répertoire serait typiquement de chez nous [...] Depuis les tout premiers enregistrements, il y a toujours eu de fameux virtuoses au Québec, mais certains instrumentistes, moins bien doués, se sont faits, bien malgré eux, les propagateurs d’airs traditionnels de moindre qualité, qu’ont malheureusement repris d’autres interprètes par la suite.
Ce texte, extrait de son dernier livre (p.22-23), est à mon avis très mal choisi pour présenter un disque d’archive. La pensée de l’auteur n’est pas claire, et demanderait à être plus étayée afin que l’on comprenne davantage son propos qui nous laisse pour le moins perplexe. De telles opinions nous poussent à réfléchir sur le sens de la tradition, de son évolution et de ce qui est retenu par la mémoire collective. Le disque 78 tours représente, de nos jours, une source d’apprentissage et de référence qui doit être considérée non comme une finalité, mais plutôt comme le témoin d’une interprétation, d’une version d’un musicien, fixée à un moment précis de son existence. Il demeure que, de manière générale, les commentaires concernant les musiciens sont simples, instructifs et démontrent la grande passion qui anime monsieur Labbé.
Le coffret représente ainsi un document fort intéressant, dans lequel plusieurs personnes prendront sûrement plaisir à découvrir, ou à redécouvrir, une infime partie de notre héritage musical.