La belle pièce instrumentale appelée chez nous le Money Musk a été composée vers 1775 par le musicien écossais Daniel Dow (1732-1783), qui l’avait intitulée Sir Archibald Grant of Monemusk’s Reel. Nos violoneux francophones d’Amérique l’ont adoptée depuis longtemps, lui ajoutant parfois des variations ou des parties supplémentaires de leur cru, et cette pièce est à présent un des grands classiques de notre répertoire. On l’appelle parfois au Canada le « Mony Musk » ou le « Mony Must » à ne plus savoir à quelle graphie se vouer, puisqu’elles existent dans la réalité, souvent liées en un seul mot : Monymusk, Monymust, Monemusk, Monie-musk. On l’a même parfois orthographié Money Mosque, Monney Musk.
Plusieurs explications ont été avancées quant à la provenance de ce mot. Ainsi, certains croient erronément que c’est le nom d’une rivière d’Écosse. Il existe bel et bien cependant, dans l’Aberdeenshire écossais, près de la région des Grampians et du « Malt Whisky Trail », un village nommé Monymusk, traversé par la rivière Don, à 17 km ouest-nord-ouest de la ville d’Aberdeen (les danseurs férus de géographie seront peut-être intéressés d’apprendre que dans la même région coule la River Spey, qu’elle longe la « Strath Spey » (la vallée Spey), et qu’on appelle donc cette rivière la « Strath Spey » - prononcer Srath en gaëlique) [1]. Au Québec, une légende populaire raconte qu’autrefois les violoneux jouaient le Money Musk dehors, les nuits d’été, pour appeler et faire « danser les marionnettes », nom populaire des aurores boréales auxquelles on attribuait alors des pouvoirs en général maléfiques. Louis Fréchette, écrivain québécois du XIXe siècle, a même publié un conte basé sur cette légende, « Les Marionnettes », dans ses Contes de Jos. Violon, réédités en 1974. On ajoutait même qu’après cette expérience notre violoneux se trouvait comme ensorcelé, incapable de jouer un autre air que le Money Musk chaque fois qu’il sortait son violon, et ceci pour le reste de ses jours !
Un microsillon produit par la compagnie américaine Nonesuch Records en 1975, intitulé 19th Century American Ballroom Music, reproduit plusieurs airs en faveur au XIXe s. dans les salles de bal américaines, avec des instruments d’époque prêtés par le National Museum of History and Technology, Smithsonian Institution, Washington, D.C. On y entend un Money Musk fort intéressant, dans une interprétation à la mode des beaux salons d’alors, très différente des interprétations d’aujourd’hui. La notice nous donne le nom de son auteur et sa date de composition, ajoutant qu’on trouvait autrefois cette partition musicale dans quelques bibliothèques privées, notamment celle du Président Thomas Jefferson, ainsi que dans des recueils de chorégraphie tout au long du XIXe siècle. On y lit aussi que les violoneux non seulement jouaient ce reel, mais que très souvent ils « câllaient » les « instructions » de danse aux danseurs.
Il existe effectivement une contredanse de type « Longway » (contredanse anglaise, sur deux fronts) portant le titre de Monymusk, composée vers 1775, donc presque en même temps que la pièce musicale du même nom, ce qui suggère que les deux oeuvres ont été composées l’une pour l’autre. Parmi les plus anciennes chorégraphies connues de cette danse, on peut citer :
• 1. Celle du Frobisher Manuscript (1793) [2] : où elle est intitulée Monney Musk. Je cite ce manuscrit en premier (à tout seigneur tout honneur) parce qu’il a été redécouvert à Montréal en 1979, et qu’il est conservé à l’Hôpital Général de Montréal [3]
• 2. La danse avait déjà été publiée l’année précédente sous le nom de Money Musk cette fois dans Stockbridge CD 1792, A Collection of Contra Dances containing the Newest, most Approved and Fashionable Figures. (Stockbridge : Loring Andrews. 1792. Copy at American Antiquarian Society).
• 3. On trouve également un Money Mosque dans Crawford MS 1794. Crawford, Elisabeth. [Common place book containing rules of grammar and the figures of 13 country dances. 179 ?]. Harvard University, Theatre Collection, MS Thr 286.
Cette « Contradance » a fait l’objet de publications dans au moins 23 recueils de danses parus entre 1792 et 1811. Le titre est orthographié « Money Musk » 20 fois sur 23, mais la description de la danse varie de manière significative d’une édition à l’autre.
La famille des Grants of Monymusk est une branche du vieux Clan écossais des Grants. Ce Clan était certainement prestigieux puisqu’au moins 13 compositions musicales écossaises ont été dédiées à d’autres de ses membres, dont deux étaient spécifiquement des Grants of Monymusk [4]. On peut signaler également, à titre de curiosité, une balade écossaise intitulée Mony-musk Lads, sans sa mélodie ni date sur mon document, mais probablement plus récente. Autre curiosité : il existe en Écosse un petit reliquaire portable en forme d’arche, datant du VIIIe siècle, appelé le Monymusk (le Brecbennach ou Breac-bannoch en gaëlique), contenant une relique du saint guerrier Colomban, venu de l’Île d’Iona au pays des Pictes vers le VIe siècle. Vu la renommée guerrière du saint, on attribuait des pouvoirs « guerriers » à ce reliquaire, si petit qu’on pouvait le porter pendu au cou par une chaîne, et les écossais le portaient en parade devant leurs armées lorsqu’ils allaient à la bataille. Il en fut ainsi en 1314 à Bannockburn lors de la bataille victorieuse du roi écossais Robert The Bruce contre les anglais, à laquelle participa un contingent de Templiers. Henry of Monymusk, qui était Chevalier du Temple semble-t-il, eut alors l’honneur de le porter. Avant la bataille, l’Abbé d’Arbroath l’avait légué à Henry, avec les terres de Forglen, afin que la Maison de Monymusk en devienne gardienne à perpétuité. Ceci explique probablement comment le nom des Monymusk a pu déteindre sur le reliquaire. Le mot Brechennach ou Breac-bannoch, en gaëlique, signifie « The speckled peaked one » (= le moucheté becqué ou le tacheté becqué), et fait allusion à la décoration Picte typique du reliquaire.
Qu’en 1775 une pièce instrumentale ait été dédiée à un honorable descendant des Monymusk a peu de choses à voir a priori avec le reliquaire, on ne s’y attardera donc pas plus longtemps, et on ira plutôt faire une petite virée chez les linguistes, qui proposent deux étymologies incertaines pour le mot Monymusk, lequel serait dérivé du gaélique, avec deux significations possibles :
• 1) Il pourrait être formé des mots gaéliques monadh, qui signifie « une colline », et musach, qui signifie « terre basse ou terre marécageuse » le long de la rivière Don ;
• 2) ou encore des mots Monadh-muice, signifiant « la colline du sanglier » [5]. Pour ce qui est de la graphie Monymust, attestée au Québec et en Écosse, et qui pourrait n’être qu’une autre prononciation de Monymusk, les sources consultées ne font que la mentionner sans s’y arrêter. On la mettra donc « en réserve » jusqu’à plus ample informé. Le Breac-bannoch, alias le Monymusk, est conservé aujourd’hui au Museum of Scotland à Édinburgh, où les violoneux passionnés d’histoire et de reliquaires peuvent aller l’admirer, non sans avoir fait un petit détour par l’Aberdeenshire et le village de Monymusk (la région est superbe, dit-on), et pourquoi pas en jouant sur leur violon à chaque endroit, histoire de faire danser reliquaires et Templiers modernes de concert avec les « marionnettes », un beau petit Money Musk bien sautillant et bien senti ?
Au vu de ces données, rassemblées un peu en vrac, il semble clair qu’une mélodie et une danse étroitement associées aient porté le nom de Money Musk, et qu’elles soient toutes deux apparues vers la fin du XVIIIe s. Daniel Dow, le compositeur de la pièce instrumentale, l’ayant intitulée spécifiquement « Sir Archibald Grant of Monymusk Reel » en 1775, on peut en déduire que l’orthographe Monymusk était courante alors, désignant une prestigieuse famille écossaise ainsi qu’un village de l’Aberdeenshire auquel la famille était presque sûrement liée d’une façon ou d’une autre. Le nom du village s’orthographie toujours Monymusk en l’an 2000, mais pour la pièce instrumentale, de toute évidence et malgré ses multiples graphies souvent fantaisistes, celui de Money Musk a rapidement pris le dessus à la fin du XVIIIe siècle, et sa prédominance s’est maintenue jusqu’au XXIe siècle.
Dance & tune found in the Frobischer MS, 1793.
The dance, written about 1775, was originally named Sir Archibald Grant of Monemusk (sic) Strathspey Reel, quite a mouthful http://members.aol.com/erogers358/inst.htm#dance116 (NB : Ceci est une transcription moderne de la danse) 32-bar triple-minor longways strathspey ; moderate (Traduction française par Pierre Chartrand) | |
1-4 | 1s turn by the right and cast off into 2nd place (2s move up)
• le 1er couple fait un tour de la main droite, se sépare, et chacun descend à l’extérieur de la danse (l’homme de son sôté, la femme du sien) vers la deuxième place (le 2e couple monte d’une place). |
5-8 | 1s turn by the left once and a quarter around and fall into places thus : the woman between the 2s and the man between the 3s
• le 1er couple fait 1 1/4 tour à la main gauche, la femme finissant entre le 2e couple, l’Homme entre le 3e. |
9-16 | Set once in lines across ; 1s turn by the right three-quarters around to end in middle places improper ; set once in lines on the sides ; 1s turn by the right half way around to end proper.
• « Set » (pas sur place) des 2 lignes, puis le 1er couple fait 3/4 tour à la main droite, pour finir dans le milieu de la danse, l’Homme à la place de la Femme (et vive-versa) ; « Set » encore des lignes (qui sont revenues dans leur orientation normale), et le 1er couple fait 1/2 tour main droite pour terminer l’Homme dans la ligne des Hommes et vice-versa). |
17-24 | All 3 couples circle to the left and circle back to the right.
• Les 3 couples font une ronde à gauche, puis reviennent vers la droite. |
25-32 | 1s lead out at the sides (lead out between 2 & 3 women, separate and cast in around the ends ; lead out between 2 & 3 men, separate and cast in around ends to progressed places proper).
• le premier couple traverse entre les 2e et 3e femmes, puis se séparent (l’Homme tournant autour de la 2e femme, la femme autour de la 3e). Le 1er couple se retrouve donc au centre de la danse et traverse entre les 2e et 3e Hommes, puis se sépare (l’Homme tournant autour du 2e Homme, la femme autour du 3e). Le 1er couple finit donc à la 2e place, du bon côté (l’Homme dans la ligne des Hommes, et vice-versa). |
Discographie
1) 19th Century American Ballroom Music, jouée avec des instruments d’époque prêtés par le National Museum of History and Technology, Smithsonian Institution, Washington, D.C. Nonesuch Records, 1975.
2) Ensemble Nouvelle-France du Québec, microsillon « Danses et contredanses de la Nouvelle-France », (Harmonia Mundi, Black Label, HMB 5145 HM 31 / HMB 40514), 1985.
Bibliographie : Imprimés
1) David (Christian), « Le Graal de Parzival au Royaume du Prêtre Jean », Communication présentée au Congrès d’Herbeumont de la Société de Mythologie Française (du 2 au 4 sept. 1993).
2) Fréchette (Louis), Les Contes de Jos Violon, « Les Marionnettes », Éd. L’Aurore, Mtl, 1974 (ces contes furent d’abord publiés séparément dans des journaux du temps).
3) Montagu (Jean-Yves) « Voyage en Écosse, Le Guide », La Renaissance du Livre, 52 Chaussée de Roubaix, 7500 Belgique, 1998, ISBN 2-8046-0197-8 / p. 110-113. (et plusieurs autres livres de tourisme sur l’Écosse, consultés dans les librairies).
4) Robertson (J.A.)The Gaelic Topography of Scotland, 1869.
Dossiers Web : danses, histoire, toponymie de l’Écosse
1) Anderson (Dave), Monymusk Parish, [Last updated : 20 February 1999] - Description détaillée, statistiques, généalogie, etc.
a) http://www.urie.demon.co.uk/genuki/ABD/parishes.html#M b) http://www.urie.demon.co.uk/genuki/ABD/Monymusk/description.html
2) ©2000 Atlantic Europe Publishing : http://www.curriculumvisions.com/river/worldRivers/UKRivers/Spey.html
3) Boyd (E. J.), A brief history of the Knights of the Temple and of the Preceptory and Priory of St. George Aboyne 1794 - 1994 - An original Paper prepared on behalf of the Venerable Preceptor, Past Preceptors, Officers and Fratres : http://www.cix.co.uk/~craftings/200years.htm
4) Clan Grant ; a) Steve Grant,. A brief History of Clan Grant http://www.clangrant.org/frameset.htm ; b) http://www.clangrant.org/history.htm
5) Dictionnaire Webster On Line http://www.bibliomania.com/Reference/Webster/data/1509.html
6) English Country Dance : Monymusk (description of the dance) http://members.aol.com/erogers358/inst.htm#dance116.
7) Olsen (Bruce), An Incomplete Index of Scottish Popular Song and Dance Tunes Printed in the 18th Century, dernière modif., aošt 1998 http://users.erols.com/olsonw/SCOTTUNS.HTM
8) Scottish Radiance, A (New) History of Scotland, « Columba, Adomn·n and the Ionan Paruchia », presented by Scottish Radiance (« Each month we present a chapter in the history of Scotland. We move forward in time each month »). Designed and copyright 1999, Innovative Consulting Services, Inc.). (This 506 page paperback book is available from the Scottish Radiance BookShelf for $32,00 including postage and handling : http://claymore.wisemagic.com/scotradiance/scothistory9908.htm
9) Youngwoo (Mariann d), Editor, Breachbannoch of St Colomban - Monymusk reliquary (©1998, 1999, 2000 Friends of Grampian Stones : http://www.users.globalnet.co.uk/~stones/text/monymusk.htm#anchor1019372