Anthologie sonore du fonds Marius Barbeau

(entrevue avec Danielle Martineau, par Pierre Chartrand). Vol. 6, no. 2, Printemps 2001

par CHARTRAND Pierre

Danielle Martineau

D’où t’es venue l’idée de faire une anthologie du fonds Marius Barbeau ?

Cela fait bien 13 ou 14 ans que je chante et consulte régulièrement les livres de chansons de Marius Barbeau (Le Romancero et les autres) tant pour les chansons que pour les notes traitant des circonstances de collectes, de la vie des informateurs, etc. Alors je me suis dit un bon jour qu’il serait bien intéressant de passer à travers le fonds Barbeau, et, si possible, de travailler avec quelques personnes qui s’intéressent également à ce répertoire.

Pourquoi avoir choisi de ne travailler que sur le fonds Barbeau, puisque les collecteurs de chansons traditionnelles sont nombreux, tant au Musée des civilisations qu’aux Archives de l’Université Laval ?

Principalement parce que le fonds Barbeau constitue les plus vieilles collectes que nous ayons de notre chanson (les premières datent de 1916), et même de la chanson francophone puisque la France n’a pas de fonds aussi vieux, du moins de la même ampleur. Et comme je m’intéresse beaucoup à la manière de chanter, aux modes d’interprétation de notre répertoire, cela m’attirait d’étudier les voix des chanteurs d’un autre siècle (le XIXe s.).

Puisque le fonds Barbeau est déjà constitué, en quoi consiste précisément ton projet d’anthologie ? S’agit-il d’en faire une étude, une collection sonore, une réinterprétation ?

Je me demandais justement comment appeler tout cela, et en consultant différentes personnes, des amis en France, comme Michel Coleux( [1] et autres, j’ai finalement choisi le terme d’Anthologie.
Au sujet du fonds Barbeau, il vaut la peine de mentionner qu’il a quand même réalisé ces collectes pendant ses vacances, sans procéder de manière toujours systématique, de plus avec certains collaborateurs, dont Edouard-Zotique Massicotte, qui s’intéressait à la chose depuis 1890. Ils se sont aperçus après quelques années qu’ils retombaient souvent sur les mêmes chansons, sinon les mêmes versions. Cela après en avoir tout de même collectées plusieurs milliers en une dizaine d’années.

De quelle façon as-tu épluché les 3200 chansons du fonds Barbeau ? As-tu utilisé certains critères pour la sélection ?

Je voulais tout d’abord entendre ces gens chanter. La manière dont les gens chantaient il y a 200 ou 300 ans est un sujet qui m’intéresse beaucoup. C’était donc très important que j’entende tous ces gens interpréter leurs chansons, avec leur manière propre.
J’ai alors demandé une bourse du Conseil des arts du Canada, que j’ai obtenue. J’ai ainsi passé de nombreuses heures avec les gens du Musée canadien des civilisations qui m’ont fort bien accompagnée dans mon travail. J’ai donc tout écouté, et consulté l’ensemble des notes accompagnant les documents sonores. En fait les chansons n’étaient pas toujours complètes sur les rouleaux de cire, celles-ci étant trop longues. Barbeau notaient donc en sténographie l’ensemble des paroles, qu’il retranscrivait, ou que quelqu’un retranscrivait pour lui en français. Il a également beaucoup écrit sur les informateurs eux-mêmes, comment ils ont appris et pratiqué leur répertoire.

Concernant les critères de sélection, il m’importait de donner un éventail des différents genres de chansons pratiquées à cette époque. Et cela d’autant plus que l’on diffuse aujourd’hui surtout de la chanson à répondre, sauf certaines personnes comme Michel Faubert qui a remis la complainte à l’honneur. Il m’importait donc de présenter des chansons liées à des événements (mariages ou autres festivités), ou à des travaux et tâches journalières (berceuses, etc.).

Il y avait par exemple Louis L’Aveugle, dans les premiers informateurs de Barbeau, qui était plus ou moins un troubadour qui composait ou recueillait des chansons sur des événements, puis les colportait d’un endroit à l’autre pour faire circuler les nouvelles.
Un autre de mes objectifs était de montrer comment des interprètes d’aujourd’hui peuvent se réapproprier les répertoires de ces collectes. Il s’agissait donc de faire une rencontre à mi-chemin : entre la manière de chanter des informateurs de Barbeau et celle que nous avons aujourd’hui.
Le but ultime étant d’enregistrer un choix de ces chansons, je voulais que chaque artiste choisi essaie d’oublier sa façon habituelle de chanter et fasse l’effort de s’imprégner de l’interprétation de l’informateur afin, si possible, de parvenir à un compromis sensible.

Tu as donc choisi un certain nombre de chansons et des interprètes pour chacune de celles-ci ?

C’est cela. En écoutant les enregistrements de Barbeau et le type de voix que j’entendais, et la personnalité que cela évoquait, je pensais souvent à un interprète d’aujourd’hui que je pressentais comme particulièrement apte à rendre la chanson en question.
Par exemple, quand j’ai entendu Louis L’Aveugle, j’ai pensé qu’André Marchand rendrait très bien le caractère de cet interprète. Quand j’ai entendu Edouard Hovington, qui était un chanteur engagé de la Compagnie de la Baie d’Hudson pour les voyageurs qui faisaient de la traite de fourrures, j’ai pensé à Éric Beaudry à cause de sa voix très lyrique qui s’approchait de celle de l’informateur.
Quant à Lisan Hubert elle avait le côté très direct et franc des femmes collectées par Barbeau. Puis il y a finalement moi comme interprète parce que … j’avais envie de le faire !

Est-ce que l’enregistrement que vous avez fait à Radio-Canada [2]) en juin dernier était l’aboutissement final de ton projet ?

Non. Actuellement on a enregistré 33 chansons, dont plusieurs furent interprétées lors du concert. Mais le projet est de procéder à l’enregistrement de 3 CDs, par périodes chronologiques couvrant la période de 1916 à 1922. Les interprètes ne seront pas nécessairement les mêmes, cela variera selon les informateurs que Barbeau aura collectés.
Il y aura donc une trentaine de chansons dans chacun des 3 albums, avec un livret comprenant paroles et notes biographiques des interprètes.
Radio-Canada a accepté de s’engager comme co-producteur puisqu’ils ont réalisé les enregistrements. Mais on cherche pour le moment un autre partenaire pour la production finale.

Y aura-t-il des extraits tirés des rouleaux de cire de Barbeau ?

Oui. Certains sont évidemment presque inaudibles, et une grande partie comporte des chansons incomplètes (vue la courte durée des rouleaux de cire).

Les chansons recueillies par Barbeau étaient sans accompagnement, mais vous avez décidé d’en mettre sur vos CDs…

Oui. Cela était notre choix personnel. Je ne voulais pas que le disque soit trop aride. Il ne fallait pas d’instruments tempérés vu les modes utilisés par les chanteurs. J’ai donc demandé à Lisa Ornstein (violon) et Daniel Roy (flageolet, harmonica, percussions, dulcimer, ocarina…) d’avoir une approche autour de l’ambiance de la chanson, de supporter celle-ci sans que cela soit trop lourd.

Pour quand est prévu la sortie du premier CD de la série ?

Pour l’hiver 2002. Il nous reste d’ailleurs à trouver notre autre co-producteur…

Programme du Concert HOMMAGE À MARIUS BARBEAU donné à la Maison de la culture Frontenac (Montréal), le 16 juin 2001 (Diffusé le 23 juin 2001, à la Chaîne culturelle de Radio-Canada)

Interprètes :
 Danielle Martineau, voix et direction
 Lisan Hubert, voix
 Eric Beaudry, voix
 André Marchand, voix
 Daniel Roy, flûte, shruti, harmonica, dulcimer, guimbarde, os, tambour
 Lisa Ornstein, violon

 1. Colin (1:30) : Eric Beaudry, voix ; Daniel Roy, flûte
 2. Berceuse du loup (2:53) : Lisan Hubert, voix
 3. Tarsil (1:23) : Danielle Martineau, voix ; Daniel Roy, shruti
 4. La Baie St.Paul (3:47) : André Marchand, voix ; Lisa Ornstein, violon ; Tous : réponses
 5. La jaquette (1:43) : André Marchand, voix
 6. C’est là mon doux plaisir (1:40) : Lisan Hubert, voix
 7. Les Filles sont fardées (0:55) : Eric Beaudry, voix ; Daniel Roy, harmonica ; Tous : réponses
 8. Dans la paroisse de Kamouraska (3:07) : André Marchand, voix ; Daniel Roy, guimbarde
 9. La Vieille magicienne (2:15) : Danielle Martineau, voix
 10. Mon père aussi ma mère (4:15) : Lisan Hubert, voix ; Daniel Roy, os ; Tous : réponses
 11. J’ai vu compère (3:37) : Danielle Martineau, voix ; Lisa Ornstein, violon ; Daniel Roy, guimbarde ; Tous : réponses
 12. En revenant de la vignolette (2:49) : Eric Beaudry, voix ; Daniel Roy, flûte ; Tous : réponses
 13. Derrière chez-nous y a-t-une orme (2:00) : Danielle Martineau, voix ; Daniel Roy, dulcimer ; Tous : réponses
 14. La Plainte du coureur de bois (3:12) : Eric Beaudry, voix ; Lisa Ornstein, violon
 15. Prudent Padour (0:48) : André Marchand, voix ; Daniel Roy, voix
 16. L’Oiseau aux diamants (1:45) : Danielle Martineau, voix
 17. C’est un garçon, une fille (3:20) : Lisan Hubert, voix ; Lisa Ornstein, violon ; Daniel Roy, harmonica
 18. Nous voilà tous à table (1:55) : André Marchand, voix
 19. Dans Paris y a-t-une brune (0:58) : Eric Beaudry, voix ; Lisa Ornstein, violon
 20. Quand le bonhomme revient du champ (0:48) : Danielle Martineau, voix ; Daniel Roy, tambour ; Tous : réponses
 21. Hier au soir j’ai été en danse (2:27) : André Marchand, voix ; Eric Beaudry, pieds ; Tous : réponses

 Animation et réalisation : Elizabeth Gagnon
 Recherchiste : Kathleen Verderau
 Adjointe : Louise Payette
 Techniciens : Pierre Léger assisté de Alain Boissonneault
 Technicien (montage numérique) : Denis Leclerc
 Réalisatrice : Lorraine Chalifoux

Notes

[1De l’association La Bouèze en France, vouée à la préservation et à la diffusion des musiques et danses traditionnelles de Haute-Bretagne et de Normandie.)

[2Dans le cadre de la série Mémoires Vives, en juin dernier, à la Maison de la culture Frontenac, à Montréal.



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