C’est à nous ! (un projet de collecte d’Anastasia Desroches)

Vol. 12, no. 2, Automne 2009

par DESROCHES Anastasia

Rita et Eddy Arsenault, de Mont-Carmel (Île-du-Prince-Édouard). Celui-ci est considéré comme le doyen des violoneux acadien de l’Île et a grandement marqué le jeu de sa région.

L’an passé, j’ai eu le privilège de rencontrer des violoneux acadiens de l’Île-du-Prince-Édouard afin de recueillir des mélodies originales qui ont été composées au cours des 35 dernières années. Dans cet article, je vais essayer de vous donner un bref aperçu de ce projet et je vous parlerai des résultats.

Lorsque j’ai commencé ce projet, je ne savais pas trop à quoi m’attendre. Pour débuter, j’avais besoin de déterminer qui étaient les personnes à rencontrer pour obtenir l’information recherchée. Après chaque rencontre, de nouveaux noms de musiciens qui pouvaient contribuer à l’enrichissement de cette collection de pièces se sont ajoutés à ma liste. Au total, j’ai rencontré 33 compositeurs différents, tous de descendance acadienne, sauf dans un cas. J’ai aussi amassé 297 pièces différentes.

Une compositrice en particulier, Marie Livingstone, a fourni 60 morceaux à elle seule. La participation au projet se faisait sur une base volontaire. Plusieurs compositeurs m’ont dit que mis à part les morceaux qu’ils voulaient soumettre dans ce projet de collection, ils avaient d’autres pièces originales en banque, mais que celles-ci n’étaient pas suffisamment prêtes pour être partagées avec d’autres personnes.

Les compositeurs proviennent de différents coins de l’Île-du-Prince-Édouard. Certains d’entre eux sont francophones, d’autres sont de familles qui ont été complètement anglicisées, et une musicienne, Sylvie Toupin, vient du Québec, mais vit dans la région Évangéline à l’Île depuis plusieurs années. Elle a épousé un membre d’une grande famille renommée pour son talent musical, communément appelée « les Joe Bibienne », et elle ressent un lien très fort envers la communauté acadienne et sa musique.

Lors de ma rencontre avec chaque musicien, nous avons fait une brève entrevue. Je me suis particulièrement intéressée aux influences musicales de chaque musicien, à leur bagage familial ainsi qu’aux facteurs qui les ont amenés à vouloir composer de la musique. J’ai aussi photographié chaque personne interviewée et j’ai pris en note la petite histoire de chaque composition. J’ai vite réalisé qu’un récit intéressant se cachait derrière chaque morceau. Ensuite, j’ai enregistré l’exécution de chaque morceau original joué par son compositeur.

La plupart des pièces ont été composées au violon, sauf dans quelques cas où la guitare, le piano et l’accordéon ont été utilisés. L’âge des compositeurs varie de 10 ans (la jeune compositrice Lexi Drummond, qui venait juste de composer sa première mélodie au violon) à 85 ans (Eddy Arsenault, qui a composé quelques-unes de nos plus belles mélodies).

Il est intéressant de noter que lorsque j’ai questionné les musiciens sur leurs influences musicales, tout le monde a mentionné le nom d’Eddy Arsenault comme étant une source d’inspiration majeure.

Il m’est impossible de raconter l’histoire de chaque compositeur dans un article si bref, mais j’aimerais quand même prendre quelques lignes pour parler de certains cas individuels. D’abord, la famille des « Polycarpe » (Arsenault) est très connue pour ses talents musicaux dans la région Évangéline de l’Île-du-Prince-Édouard. C’est une famille de treize enfants, dont plusieurs sont des gigueurs, des chanteurs et des musiciens. Trois d’entre eux font partie de ce projet de collection : Hermine, Edward et Marie. Marie (Arsenault) Livingstone, née en 1951, m’a raconté que leur mère a joué un grand rôle dans le développement de leurs habiletés musicales. Ils ont tous grandi dans le même village qu’Eddy Arsenault et ont donc tous pu l’entendre jouer sur une base régulière. Il y avait toujours de la musique autour d’eux, tant à la maison que dans la communauté. Le frère de Marie, Edward Arsenault, né en 1938, a commencé à jouer de la guitare à l’âge de 15 ans. Toutefois, ce n’est qu’à l’âge de 32 ans qu’il a décidé d’apprendre à jouer du violon. Il est maintenant devenu une figure légendaire dans le monde de la musique traditionnelle locale et a composé la populaire pièce « Le Reel des Acadiens ». Cette pièce, composée en 1975, a toujours été et demeure un des airs favoris des gigueurs. Des violoneux de partout ont appris à jouer cet air simple mais très accrocheur.

Louise Arsenault

La question qui m’est très souvent posée par tout le monde (les musiciens et les non-musiciens) est : « À quoi ressemble la musique acadienne ? » Je ne pense pas pouvoir trouver une réponse claire à cette question. Lorsqu’on écoute certains musiciens acadiens, on peut dénoter des similarités évidentes. Louise Arsenault joue un style qu’on pourrait qualifier de plus « vieux », qu’elle tient de son père Alyre Arsenault, qui était un violoneux lui aussi. Son style est très distinctif, mais il serait difficile de dire que c’est « le » style acadien, puisque de nombreux autres musiciens jouent de différentes manières.

Plusieurs d’entre eux présentent un son qui s’apparente à celui entendu aux Îles-de-la-Madeleine. Je dirais donc que la meilleure réponse à cette question est : il faut prendre le temps d’écouter différents violoneux et tirer ses propres conclusions. La communauté musicale de l’Île-du-Prince-Édouard et de la région Évangéline en particulier est riche et bien vivante. Il y a des musiciens de tous âges et de tous les niveaux qui se réunissent sur une base régulière pour jouer ensemble.

Les musiciens aiment se retrouver entre eux et veulent souvent apprendre et jouer des pièces composées par leurs pairs. Barachois, Vishten et Gadelle sont trois groupes issus de la région Évangéline. Leurs disques et leurs concerts mettent en vedette des pièces musicales composés par leurs membres ainsi que d’autres compositions écrites par des musiciens insulaires.

Ce projet de collecte de pièces a eu pour effet d’ouvrir les yeux du public à propos de la musique traditionnelle de la région. Bien souvent, cette musique n’est pas connue à l’extérieur des cercles de musiciens et d’amis des compositeurs. Désormais, les membres de toute la communauté s’intéressent et tirent une certaine fierté de cette collection de musique qui leur appartient. « C’est à nous » - ça nous appartient,et c’est aussi notre responsabilité de protéger et conserver cette musique. Les partitions, enregistrements, biographies et photos recueillis durant ce projet peuvent être consultés au Musée acadien de Miscouche, Î.-P.-É. Tout le monde est invité à se rendre sur place pour écouter et apprendre quelques pièces.

Le Musée acadien (ou le Centre de recherches acadiennes) de l’Île-du-Prince-Edouard, aux soins de Madame Cécile Gallant, Directrice. C.P. 159, Miscouche (Île-du-Prince-Édouard) Canada, C0B 1T0



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