Je m’appelle Jean-Baptiste Purlenne. Un nom à l’appellation évocatrice. C’est aussi un pseudonyme commode pour préserver ma véritable identité, même si mes paroissiens connaissent bien mes activités artistiques. J’ai toujours conservé, sans sacrifier bien sûr mes devoirs de prêtre, une passion pour la chanson populaire. C’est surtout à mon père, Conrad Gauthier, que je dois cet amour inconditionnel pour la « chanson nette ». Mais laissez-moi ces quelques brefs moments de lecture pour vous le faire connaître.
Photo ci-contre : Conrad Gauthier. Coll. Gabriel Labbé.
Mon père est né à Montréal le 8 août 1885. Rien dans ses études commerciales ne semblait le destiner à une carrière artistique. Il a tour à tour gagné sa vie comme imprimeur, éditeur, caricaturiste, directeur de cinéma muet, journaliste, comptable et enfin fonctionnaire municipal. Dans cette dernière fonction, il était adjoint au directeur du service du bien-être à l’Hôtel de ville de Montréal. Il avait 25 ans. Au sein de ce poste, il a su se mettre au service de ses concitoyens, bien sûr. Mais il a rapidement compris que le domaine de la culture populaire pouvait aussi jouer un rôle auprès de ceux-ci : celui de les divertir et de leur faire connaître leur patrimoine culturel. En fondant (1902) le Cercle du Drapeau, puis plus tard le Cercle Lapierre, mon père a fait ses débuts dans le monde du théâtre. Il s’est aussi joint à l’Association dramatique de Montréal et à la troupe des Anciens du Gesù. On le verra alors jouer aux côtés d’Hector Charland et d’Eugène Daignault, deux acteurs qui feront leur marque dans le roman radiophonique « Un homme et son péché ». Conrad Gauthier se produira à quelques reprises ensuite au sein de la « Troupe Charland » en 1927 dans diverses saynètes et monologues.
Mais c’est surtout au début des années 1920 qu’a commencé sa carrière d’artiste amateur, (dans le vrai sens français du terme, i.e. enthousiaste et passionné), dans le domaine de la chanson folklorique. On le considère comme un pionnier de la radio et du disque folklorique québécois. Il a enregistré plus d’une centaine de chansons et de monologues. On a gravé ses premiers disques à New York chez Columbia en 1924. Mais il préférait enregistrer chez RCA Victor, car leurs studios étaient à Montréal. Pour cette occasion, on utilisait une vieille église protestante. Mon père adorait se faire accompagner par son pianiste, René Delisle et parfois par nous-mêmes, ses enfants. Tous dans la famille étaient musiciens. Mon père nous disait alors : « Venez, nous avons un disque à faire ». Je devais avoir quinze ou seize ans quand j’ai fait avec lui mes premiers disques. Il a poursuivi ainsi ses enregistrements en studio jusqu’en 1947. Il a même mis son talent de chanteur en valeur dans « Les Cloches de Corneville » à la Société canadienne d’opérette. Pendant les années 1930, il animera au poste CHLP l’émission radiophonique « Les Vive-la-Joie », commanditée par le Canadien Pacifique et le Canadien National. On l’avait déjà entendu en 1929 à CKAC dans les toutes premières émissions sur la musique et la chanson traditionnelles. Il animait et chantait alors avec Donat Lafleur et le célèbre Isidore Soucy. C’est d’ailleurs avec ce dernier que j’ai pu me produire en compagnie de mon père. Sa plus belle réalisation demeure encore ses « Veillées du bon vieux temps » dont il fut le fondateur et l’animateur pendant 20 ans au Monument National. J’y étais alors une sorte de placier et je gérais la recette de la soirée. Mon père me regardait et disait : « Rappelle-toi, ne place jamais deux personnes sur le même siège, ou alors ça ne marchera pas ! »
Pendant toutes ces années, je ne me suis jamais lassé d’admirer sa poésie détendue du terroir, ses mélodies simples, son style direct et sans affectation et enfin sa personnalité extrêmement populaire. À sa mort en 1964, j’ai cru bon lui rendre hommage en enregistrant 2 albums sous étiquette Dominion. La plupart des chansons qu’on y retrouve sont de lui. J’ai essayé à cette occasion d’y mettre tout mon coeur et chanté de manière simple. Il en aurait été sans doute très fier. De toute façon, je tiens de son enthousiasme impérissable ma passion pour la chanson d’ici. Selon moi, la musique folklorique et l’histoire du folklore s’écrivent tous deux de la même manière. Une chanson, c’est l’expression de l’âme d’un peuple. [1]
Voilà comment aurait probablement pu témoigner Paul-Marcel Gauthier, le prêtre-chanteur. [2] Je me suis permis ici d’utiliser ses propos et ses réflexions pour tracer le portrait d’un autre grand folkloriste.