Conrad Laforte, maître archiviste passionné.

Vol. 5, no. 3, Hiver 2001

par LESSARD Denis

Parmi les grand chercheurs, certains nous ont laissé une image de célébrité, (pensons ici à Marius Barbeau), pendant que d’autres sont restés dans l’ombre. Ils n’en ont pas moins contribué à l’avancement de la recherche. Conrad Laforte fait partie de ces grands passionnés des Arts et traditions populaires qui laissent une trace unique tout en restant à l’écart des mondanités.

Il est né dans le royaume du Saguenay en novembre 1921. Après son cours classique au Petit séminaire de Chicoutimi, il décroche un Baccalauréat en Bibliothéconomie à l’Université de Montréal, puis une Licence es Lettres à l’Université Laval. Il poursuivra ses études dans cette dernière institution jusqu’au Doctorat, (1977). Parallèlement à son parcours universitaire, il tient le poste de bibliothécaire archiviste (1951-1975) et de secrétaire (1973-1975) aux Archives de l’Université Laval. Boursier du Conseil des Arts du Canada, on le retrouve à Paris en 1964-65, puis en 1971, où il poursuit ses recherches et participe à nombre de congrès d’ethnologie. Professeur à l’Université Laval au département d’Études canadiennes et au département d’Histoire, il obtiendra en 1981 le poste de Directeur des études (1er cycle) en Arts et civilisations. Durant cette période, il sera élu membre de la Société royale du Canada.

Parmi les grandes réalisations des Archives de folklore, nous lui devons le « Catalogue de la chanson folklorique française ». Il s’agit d’un recueil de plus de 80 000 fiches dont la première publication en 1955 lui a valu le prix Raymond-Casgrain. Outil indispensable pour les chercheurs, l’édition complète en 6 volumes, parue entre 1977 et 1987, expose une classification d’emblée adoptée par de grandes institutions, comme le Musée national du Canada, l’Université de Moncton, l’Université de Sudbury et la Phonothèque nationale de Paris. Oeuvre majeure de classification de la chanson traditionnelle, le Catalogue de la chanson folklorique française, appelé désormais Catalogue Laforte, a fait l’objet de nombreux éloges auprès des chercheurs d’Amérique et d’Europe. Luc Lacourcière, dans son flair légendaire, reconnaissait dès ses premières publications la valeur du travail de Conrad Laforte. Dans la préface du premier tome du Catalogue, L. Lacourcière décrit très justement les embûches qui se dressent devant le chercheur et souligne les trouvailles de C. Laforte, de même que la persévérance et la précision de son travail.

« ...M. Conrad Laforte, depuis peu bibliothécaire-archiviste aux Archives de Folklore et maintenant professeur agrégé, introduisit dans cette abondante matière le principe d’unification qu’est le titre « commun » souhaité par Van Gennep, permettant de grouper ensemble les variantes soeurs d’une même chanson.. » [1]

L. Lacourcière souligne de plus que Conrad Laforte, conscient que ce travail ne constituait qu’une ébauche, s’est remis à la tâche pour mettre en place un nouvel outil à la disposition des chercheurs. Il s’agit ici d’une nouvelle classification basée sur le type ou la forme strophique de la chanson. Le premier tome, basé sur l’examen de plus de 80 000 variantes, nous présente 350 types de chansons en laisse. Cette approche, fondée sur la typologie propre à l’objet de recherche, n’est pas sans rappeler celle qui a été adoptée par nombre de chercheurs en danse traditionnelle.

Monique Jutras, qui a côtoyé M. Laforte durant quelques années, nous révèle à la fois le maître et l’homme. Voici son témoignage recueilli lors d’une conversation téléphonique :

« ...Un homme méthodique, solitaire, doué d’une patience de moine. Il pu-blie beaucoup, mais travaille lentement. Il fait aussi preuve d’une grande humilité et de respect devant un objet de recherche. De plus, (comme tout homme de science qui se respecte), il n’affirme rien qui ne soit au préalable vérifié plus d’une fois... Cet aspect de sa personnalité le fait paraître parfois lent : il pèse longuement avant d’énoncer sa pensée »

Toujours selon Monique Jutras, ce structuraliste possède l’esprit de synthèse propre aux grands créateurs d’outils scientifiques. Il demeure en cela dans la grande lignée des Barbeau, Lacourcière, etc. Dans son travail, il pense au long terme. On peut comprendre alors toute l’importance de la publication de son Catalogue. Monique Jutras le voit aussi comme un poète : « ... lorsqu’il fait la lecture du texte d’une chanson, son oeil s’illumine, il s’émeut spontanément devant l’art naïf qu’elle révèle... » La recherche demeure son mode de vie, même s’il est maintenant dans une demi-retraite. Sa maison fourmille de documents, micro-films, fiches etc. « J’aurais besoin de 5 ans pour faire le ménage, révèle-t-il à Monique Jutras en souriant ». Malgré un tempérament de solitaire, il ne dédaigne pas la bonne chère et la bonne compagnie. Il sait de plus apprécier les hommages qu’on lui décerne. Enfin elle le considère comme un maître qui l’a défendue avec vigueur dans son travail sur les chansons traditionnelles. Il l’a convaincue de maintenir le cap, de rester à l’écoute des critiques lorsqu’elles sont cons-tructives. Prêchant par l’exemple, il lui a démontré la foi dans la valeur de ses recherches. Il a toujours avancé à petits pas, mais sans jamais s’arrêter. Bref il a été pour elle un maître incontesté dans ses recherches et la rédaction de son mémoire de Maîtrise portant sur les chansons de tradition orale.

Passion, ténacité, conviction et patience, courage devant les critiques, bref, voilà ce qui doit soutenir le chercheur dans son travail. Conrad Laforte semble avoir réuni toutes ces qualités dans sa carrière. Il se fait un devoir de les transmettre aujourd’hui à toute une nouvelle génération.

Notes

[1LAFORTE, Conrad, Catalogue de la chanson folklorique française, in Chansons en laisse, préface de L. Lacourcière page vi, P.U.L. Québec 1977.



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