Qui n’a pas un jour dansé son petit cotillon dans sa parenté, ou ne s’est pas élancé dans un rigodon lors de la Saint-Jean ? Ayant tous en tête quelques noms de danses de chez nous, nous n’en connaissons toutefois que rarement le contenu. Afin d’établir cette « nomenclature » de la danse québécoise, nous tiendrons compte de la forme de la danse (dispositif spatial et structure chorégraphique) ainsi que de son origine et de son développement historique. Rappelons qu’il est toujours difficile, sinon illusoire, de vouloir établir des classifications en arts et traditions populaires tant celles-ci produisent des variations multiples sur un même thème, selon la région ou l’époque.
Comme il ne s’agit que d’une « Petite introduction » nous avons pris le parti de référer le lecteur aux ouvrages analysant plus profondément chacun des genres présentés.
La contredanse
La contredanse ou contredanse anglaise comme on l’appelle parfois [1], se danse sur deux fronts (au Québec) : une ligne de femmes faisant face à une ligne d’hommes [2]. Son appellation « d’anglaise » n’est pas fortuite. Les contredanses du Québec tirent effectivement leur origine des Îles britanniques [3]. Bien que l’Italie de la Renaissance ait expérimenté ce type de danse de figures, c’est vraiment l’Angleterre du XVIIe siècle qui lui donne ses lettres de noblesse [4]. Son succès sera tel que la France ainsi que quantité d’autre pays l’adopteront rapidement. Appelée Country Dance dans son pays d’origine, la France l’adoptera dès la fin du XVIIe siècle en francisant son appellation en « Contredanse » [5]. Les français composeront d’ailleurs quantité de contredanses qui se diffuseront parallèlement aux anglaises. Notons en passant que la danse sur deux fronts de la Nouvelle-Angleterre s’appelle Contradance, anglicisation du mot contredanse...
Les contredanses du Québec sont la plupart du temps de forme assez tardive (XIXe siècle), n’étant généralement pas « progressives à 2, à 4, ou à 6 » comme l’étaient leurs ancêtres des XVIIe et XVIIIe siècles. Dans notre tradition, le premier couple exécute généralement une série de figures qui se termine par le déplacement de ce premier couple vers le bas de la danse, chacun des autres couples ayant remonté d’une place. Les contredanses des XVIIe et XVIIe s. faisaient plutôt remonter tous les couples pairs de place en place vers le haut de la danse, tandis que les impairs descendaient vers le bas.
Nos contredanses sont plutôt des adaptations écossaises (ou irlandaises) de la contredanse anglaise, et sont souvent giguées, ou comportent des pas plus sophistiqués que la simple marche. Pensons à la Contredanse de Chicoutimi, au Spandy, à La Belle Catherine...
Ce genre de danse se retrouve principalement dans l’Est de la province, bien que son dispositif spatial sur deux fronts se soit imposé à d’autres types de danses (ex. : les Brandys).
Le cotillon
En 1706, Raoul-Auger Feuillet publie, à Paris, un « branle à quatre » [6], qu’il intitule « Le cotillon », et qui se danse sur une chanson à la mode : Ma commère quand je danse / mon cotillon va-t-il bien ?... Le succès remporté par cette nouvelle danse fera en sorte que le mot « cotillon » désignera bientôt un genre de danse [7] et non plus une danse en particulier.
Ce premier cotillon se dansait à deux couples se faisant face. Le cotillon, comme genre, évoluera rapidement vers le carré de quatre couples et conservera sa structure en rondeau, qui fait alterner chaque figure avec un refrain. La suite de figures du cotillon québécois est généralement de ce type : (il peut y avoir une introduction précédant le refrain)
– Refrain + Étoile des Dames (ou moulinet)
– Refrain + Étoile des Hommes
– Refrain + Ronde des Dames
– Refrain + Ronde des Hommes
– Refrain + Chaîne ou Chaîne du cotillon double
Bien qu’on puisse trouver des exceptions, le refrain se fera sur une partie de la mélodie tandis que la figure sera exécutée sur l’autre.
Le cotillon se retrouve surtout dans l’Est de la province, particulièrement dans Charlevoix et le Saguenay, et en Gaspésie. Ajoutons qu’une danse apparue au XIXe siècle, qui tient presque autant du jeu que de la danse, portera aussi le nom de cotillon. Elle n’est cependant aucunement reliée au cotillon du XVIIIe s. On utilise souvent des objets divers pour danser ce nouveau cotillon, que ce soit un miroir, un mouchoir, une canne, etc. L’article en question sert à désigner le meneur de la danse qui a le champ libre, ou presque. Un exemple de danse traditionnelle québécoise provenant du cotillon XIXe s.? La Danse du Capitaine (Saguenay). On s’y tient en ronde et celui qui porte la casquette va danser et giguer au centre, puis remet sa casquette à un autre qui ira aussi danser au centre du cercle.
Le quadrille français et le quadrille anglais
Le quadrille arrive au Québec avec la fin des guerres napoléoniennes (en 1815) [8], et n’est en fait qu’un pot-pourri de contredanses françaises (ou cotillons), de la fin XVIIIe s. Au XVIIIe siècle, le mot " quadrille " désignait une équipe de danseurs de l’Opéra (comme dans "escadrille"). À cette époque, le pot-pourri de contredanses pouvait faire succéder jusqu’à neuf danses. Par la suite, on fixera leur nombre à cinq ou six. Les 4 premières parties se fixeront dans l’ordre suivant :
1ère : Le Pantalon ;
2e : L’Été ;
3e : La Poule ;
4e : La Pastourelle (aussi La Trénise).
Les 5e et 6e parties s’intituleront fréquemment La Galope ou La Finale. Le Québec héritera de cette suite et la perpétuera jusqu’à nous. Dans notre répertoire traditionnel, on distingue le quadrille français du quadrille anglais, bien que ce premier ait pu nous parvenir par le biais de maîtres à danser anglais .
Dans un cahier manuscrit ayant appartenu à Mme P. Sheppard, l’on retrouve en effet la notation de ce qui fut probablement un des premiers quadrilles dansés au Bas-Canada, vers 1819-1820. Au haut du document, on peut lire à gauche : "1st Quadrille ever danced in Quebec " et à droite : " Payne’s Quadrille "
La défaite de Waterloo passée, les échanges entre la France et l’Angleterre reprendront de plus belle. Celle-ci lancera alors son propre quadrille : le Quadrille des Lanciers. Bien que fortement inspiré du modèle français, cette danse se distingue principalement par sa cinquième figure, justement appelée Lanciers. D’autres quadrilles québécois sont vraisemblablement d’origine britannique : le Calédonia (Île d’Orléans) et le Saratoga (probablement américain).
Le quadrille se danse aussi bien en carré de quatre couples, qu’à huit couples, que sur deux fronts de couples se faisant face. Cette dernière disposition a évidemment comme effet d’éliminer les temps de pause des couples latéraux. Les cinq ou six parties se dansent généralement sur des mélodies différentes l’une de l’autre, avec arrêt musical entre chacune d’elle. L’aire du quadrille s’étend, en gros, du comté de Portneuf à l’embouchure du Saguenay, et, pour la Rive-Sud du Saint-Laurent, de Lotbinière à la Gaspésie. C’est donc essentiellement une danse de l’Est, bien qu’on en trouve quelques traces ailleurs (Lanciers-Valsés à Montréal, quadrille à Mascouche...).
Le Set carré
Aussi appelé « set callé » ou « danse callée » , le set est le benjamin de notre tradition. Arrivé récemment (fin du siècle dernier ou au début de celui-ci) il a couvert presque tout le territoire, bien que certaines régions lui aient toujours résisté (tel l’Île d’Orléans) [9]. Le set nous vient de nos voisins du Sud et est immanquablement associé au " call ", d’invention américaine lui aussi. Ce qui explique que nos calleurs traditionnels callent surtout en anglais même s’ils sont, ainsi que l’ensemble des danseurs, francophones. M. Ovila Légaré est vraisemblablement le premier à vouloir franciser ces calls :
« Je dois d’abord m’excuser auprès des autorités du bon Parler Français pour les deux anglicismes : " SET " et " CALLER ". J’ai consulté Harraps et je n’ai pu trouver d’équivalent en français ; cependant, j’en conclus que caller un set, en bon français, ce doit être l’ « Ordonnateur » de la figure de danse. Mais, de toute façon, comme il s’agit de danses américaines adaptées chez nous ; et comme, d’autre part, les mots « Sets » et « Caller » sont tellement répandus dans la province de Québec, je craindrais de ne pas attirer l’attention des amateurs des danses carrées, si j’employais un autre terme. » [10]
Le set carré comporte généralement trois parties (première partie, deuxième partie, et Breakdown). Cependant il ne comporte souvent qu’une partie et qu’une finale (aussi appelée parfois Coquette). Ces parties de set (sauf la finale) sont constituées d’une figure centrale et d’une transition permettant à chaque couple d’exécuter cette figure. Aussi, le Set se distingue principalement des autres genres de danses traditionnelles par sa séquence de figure (ou mode de progression). Le premier couple exécute « la figure » avec le deuxième couple, puis avec le troisième, finalement avec le quatrième. Vient ensuite la Transition. Ce sera ensuite au tour du deuxième couple de faire « la figure » avec le troisième couple, puis avec le quatrième, puis avec le premier. Puisque que chaque couple accompli « la figure » avec chacun des trois autres couples, cela nous donne douze répétitions de " la figure ". Le Set représente donc un fin mélange des danses « progressives » [11] d’origine britannique, et de figures à la française développées au XVIIIe siècle [12]
Le Reel
Avant d’être un genre musical, le reel est tout d’abord un type de danse. Typiquement écossais, il remonte aussi loin que le branle de la Hay, publié par Thoinot Arbeau en 1589 [13]
La figure de base des reels est le « Hey » , aussi appelée « Figure eight » ou « Reel » . Du Reel of Tulloch écossais au Reel à neuf du Québec on retrouve ce trajet en forme de " 8 " qui peut être exécuté par trois danseurs (ex. : Threesome reel) ou trois groupes de danseurs (ex. : le Reel à neuf québécois), ou même par quatre danseurs (ex. : Foursome reel), dans ce dernier cas une boucle supplémentaire étant ajoutée au " 8 ".
Le reel apparaît en Écosse au XVIIIe siècle [14] À l’origine il ne se faisait qu’à trois danseurs, puis vers la fin du siècle les formes à quatre font leur apparition. Au XIXe siècle, des versions à 5, 6, ou 8 danseurs sont mentionnées, mais aucune de celles-ci n’a persisté dans la tradition écossaise (selon M et Mme Flett). Tous ces reels consistent en une alternance de « setting » (pas sur place) et de « figure eight » ou « reel » .
Notre littérature mentionne souvent ces reels à quatre qui n’étaient guère plus pratiqués à l’époque des premières collectes, sauf peut-être dans l’Est et surtout dans les provinces Maritimes. Le reel, en adoptant la formation de la contredanse, a cependant laissé une progéniture importante dans les différents Brandys (généralement gigués) qu’on retrouve dans plusieurs endroits de la province [15]
Reste finalement les autres formes de danse qui font figure d’exception dans notre tradition : danse du barbier, ronde-chantée, ronde-jeu, concours d’agilité et d’adresse (danse du balai par exemple), et bien sûr la gigue, mais cela est une autre histoire...