Quoi de plus trippant pour un musicien que d’en rencontrer un vrai, un vieux de la vieille, qui a tellement joué sa musique qu’il aurait pu s’en user les doigts et les oreilles, qui en a tellement entendu et appris et qui arrive à se souvenir de tout ça par coeur comme si chaque mélodie était bien rangée dans une boîte à musique. Quoi de plus trippant surtout quand ce même musicien, en toute modestie, ouvre toute grande sa boîte à musique pour partager son plaisir avec tout l’monde.
J’ai rencontré Édouard Richard il y a à peine quelques années, tout à fait par hasard parce que parfois, il fait bien les choses. Dès que je l’ai entendu jouer au violon, j’ai tout de suite constaté que ça faisait probablement plusieurs années qu’il en jouait. « Presque 60 ans », qui m’dit. « J’ai commencé à jouer mes premiers morceaux à sept ans, dans un an, j’aurai 67 ans, je vais fêter mes 60 ans de vie de violoneux ».
M. Édouard Richard est né et a toujours vécu dans le village de Grande-Vallée, en Gaspésie, sur le côté nord de la péninsule. Ti-douard, pour les intimes, a appris une grande partie de son répertoire de son grand-père Joseph Richard ainsi que du fidèle complice de ce dernier, M. Didier Lebreux. « Quand j’voulais apprendre un nouveau morceau, je demandais à mon grand-père de l’jouer, pis j’m’assisais dans les marches de l’escalier pour l’écouter. Quand j’avais assez entendu l’morceau pis r’gardé aller ses doigts, j’montais dans ma chambre, j’laissais la porte ouverte, et assis sur l’bord de mon lit, j’prenais mon violon pis j’essayais de jouer en même temps qu’ lui. Quand j’étais capable de jouer l’morceau d’un bout à l’autre, je r’descendais et j’disais : « peupi » j’pense que je l’ai pogné. Après on jouait l’morceau ensemble. J’ai toujours voulu apprendre par moi-même, à ma manière. »
Jeune homme, plâtrier et peintre de métier, M. Richard partait à chaque printemps travailler sur les chantiers de construction de la Côte-Nord, dans la région de Sept-Iles. Il devait alors s’absenter plusieurs semaines et laisser à la maison sa femme et ses quatre enfants ; il n’oubliait jamais cependant d’amener avec lui son violon. Il revenait de son long séjour les poches remplies, mais surtout la tête pleine de nouvelles mélodies qu’il avait apprises en rencontrant d’autres musiciens (violoneux, accordéonistes ou joueurs d’harmonica) dans les bars ou les fêtes privées où il était invité. En soixante ans il en a appris des morceaux, il en a passé des nuits blanches à faire giguer les steppeux, à alimenter les sets carrés, mais aussi à accueillir chez lui plusieurs passionnés de musique traditionnelle ou de simples curieux venus pour l’entendre ou l’accompagner.
D’ailleurs, c’est d’abord par curiosité que j’ai eu la chance de le rencontrer et par grande passion que je me suis intéressé par la suite à la richesse de son répertoire et à sa façon toute particulière de l’interpréter. M. Richard est à son propre insu le porteur d’un vaste héritage d’airs traditionnels propres à la région de Grande-Vallée en Gaspésie, parce qu’il s’y est intéressé d’abord et avant tout que pour son propre plaisir, par pure passion pour le violon et non par souci de conservation. Son répertoire familial, c’est sa marque de commerce, ce qui transpire dans ses propres compositions, comme il dit : « des morceaux que j’ai fabriqués moi-même ». Il lançait en décembre dernier son tout premier disque compact intitulé : Édouard Richard « Musique gaspésienne », sous l’étiquette « Minuit dans la cuisine ». Interprété par M. Richard lui-même au violon et aux pieds, on retrouve sur ce disque dix-huit pièces de violon tirées de son vaste répertoire, du très peu connu au un peu plus connu ainsi que de deux compositions originales (fabriquées par lui-même ).
Le disque d’Édouard Richard a été produit et réalisé par Éric Beaudry avec la participation des violoneux : Simon Riopel, Claude Méthé et Stéphanie Lépine.