I. Introduction
L’accordéon, qu’il soit de type diatonique ou chromatique, est de nos jours, au Québec, un instrument fort populaire. Si bien que depuis 1989, il a droit à son festival annuel, le Carrefour mondial de l’accordéon, qui se déroule à Montmagny. Ce festival a d’ailleurs donné naissance, en 1995, au premier économusée de l’accordéon de la province et du Canada : Le Manoir de l’accordéon de Montmagny.
Depuis une trentaine d’années, des ateliers de fabrication d’accordéons diatoniques ont vu le jour un peu partout dans la province. Ce fut d’abord celui de Marcel Messervier, de Montmagny, dont le père Joseph réparait déjà des accordéons. puis ceux de Gilles Paré de Trois-Rivières, Marcel Desgagnés de Jonquière, Robert Boutet de Sainte-Christine-de-Portneuf, Réjean Simard de Chute-aux-Outardes, Sylvain Vézina et Raynald Ouellet de Montmagny, Clément Breton de Saint-Étienne-de-Lauzon, Raymond Simard de Sainte-Anne-de-Beaupré, pour ne citer qu’eux.
Paradoxalement, l’histoire de l’implantation de l’accordéon au Québec reste quelque peu méconnue. La question de savoir comment et quand l’accordéon s’est implanté au Québec n’a pas suscité l’intérêt des chercheurs. Fort de ce constat, une recherche approfondie sur un tel sujet, couvrant la période des origines aux années 1950, se devait d’être réalisée. Le Carrefour mondial de l’accordéon, de Montmagny, nous a donc invité à faire cette recherche. Le présent article décrit une partie des résultats de cette recherche effectuée pendant le premier semestre de l’année 1997.
II. Les premiers pas de l’accordéon au Québec.
a) L’accordéon romantique
L’accordéon est apparu au Québec bien avant le début du XIXe siècle. De fait, ses premières traces, dans la province, datent de l’époque romantique, et cela une douzaine d’années seulement après l’invention de l’accordion de Demian. La première mention se rapportant à l’accordéon peut être relevé dans le Livre des dépenses du Couvent des Ursulines de la ville de Québec, au mois de novembre de l’année 1843. La mention est la suivante :
"Payé pour 1 Acordia, 3 £." [1]
Par la suite, de 1846 à 1858, les Ursulines achetèrent cinq autres accordéons : deux, en 1846, qu’elles firent réparer l’année suivante, un en 1849, un en 1851, puis un dernier en 1858. De plus, elles achetèrent également deux concertinas. La présence d’accordéons chez les Ursulines s’explique par le fait que parmi les objets de l’enseignement au pensionnat, la musique tenait une place importante. Un prospectus d’information datant de 1847 nous apprend qu’avec l’orgue, la harpe, le piano et la guitare, l’accordéon était un des instruments de musique enseignés par les religieuses. Cependant, les leçons d’accordéons, au même titre que celles des instruments mentionnés, n’étaient pas offertes gratuitement. En plus de fournir l’instrument, les parents d’élèves devaient s’acquitter de la somme de 11 dollars (environ 3 livres Sterling) par année scolaire pour payer les leçons d’accordéon. [2]
Des six accordéons achetés par les Ursulines de Québec, trois sont encore entreposés à la réserve du Musée des Ursulines. Ces accordéons bisonores de type romantique sont de facture européenne. L’un d’entre eux porte la marque du fabricant Keith Prowse & Co., de Londres. Cet accordéon, datant environ des années 1850, est "fait de bois de tilleul et de sapin recouverts d’un placage de bois de rose avec des incrustations de houx et de palissandre. Les plaques de touches et les clapets sont recouverts de nacre. Le soufflet est fait de cuir et de papier peint." [3] L’instrument ressemble à s’y méprendre aux modèles d’accordéon du fabricant français et parisien Reisner qui circulaient dans les années 1840. Il est muni d’un clavier droit, composé de deux rangées de 12 boutons [4] et de deux bascules d’harmonie, et d’un socle pour la main gauche comportant une grande soupape pour le contrôle de l’air.
Le deuxième accordéon des Ursulines porte la marque du fabricant français Wender qui opérait également à Paris dans les années 1840-50. À l’image de l’accordéon mentionné plus haut, il consiste en un clavier droit à deux rangées de 12 boutons. Par contre, on n’y trouve pas les deux bascules d’harmonie. En revanche, le socle main gauche comporte un clavier gauche muni de dix boutons qui pourraient être des touches d’harmonie.
Le troisième accordéon, enfin, est plus proche du premier modèle décrit, si ce n’est que les deux bascules d’harmonie sont placées sur le socle pour la main gauche, aux côtés de la soupape d’air. La facture de cet instrument, vraisemblablement française, n’est malheureusement pas identifiable. Toutefois, vu la position des bascules d’harmonie (sur le socle gauche), l’on peut avancer l’hypothèse qu’il fut fabriqué à partir de 1850.
Si l’accordéon était présent chez les Ursulines de Québec, il l’était également au couvent et pensionnat des Ursulines de Trois-Rivières. Bien que les informations quant à la facture et l’acquisition des deux accordéons qui se trouvent dans la collection de leur musée fassent défaut, leur ressemblance avec les accordéons des Ursulines de Québec permet d’évaluer leur époque comme étant la même que ces derniers. Un des modèles fut certainement acheté à Montréal, puisqu’à l’intérieur d’un pli du soufflet se trouve une étiquette mentionnant le nom du vendeur : "Seebold Bro’s, Music Warehouse, 221, Notre-Dame St., Montréal." [5] Le deuxième modèle ne peut être identifié, et il lui manque le clavier droit.
Autre dépositaire d’accordéons de l’époque romantique, le Musée de la civilisation de Québec possède deux modèles dont l’un est très proche des accordéons des Ursulines de Québec. Cependant, ce dernier possède deux bascules d’harmonie sur le clavier droit et deux autres sur le socle gauche qui pourraient être des bascules de basses. Cet accordéon n’est pas identifiable.
Accordéon no 92-607, Coll. Musée de la civilisation [6]
À l’image des accordéons mentionnés plus haut, cet instrument à système bisonore est muni d’un clavier droit comportant deux rangées de 12 boutons. La rangée extérieure comprend les notes de la gamme majeure dans le ton de l’accordéon (LA), tandis que la rangée intérieure comprend toutes les altérations (ou demi-tons) propres à cette gamme. Ce système permettait au musicien ou à la musicienne qui maîtrisait bien le système du "tirer-pousser" de pouvoir jouer dans tous les tons possibles. Comme l’illustre la tablature ci-dessous, qui pourrait être appliquée aux accordéons cités auparavant, la première note de la gamme était réalisée en tirant le deuxième bouton de la rangée extérieure (la). Grâce au nombre de boutons, cet accordéon avait une étendue chromatique de trois octaves.
Tablature de l’accordéon no 92-607 du Musée de la Civilisation, Québec [7]
Le deuxième modèle d’accordéon de l’époque romantique entreposé au Musée de la civilisation est un cas très intéressant car il apporte la preuve que l’accordéon chromatique à touches-piano existait bel et bien depuis le milieu du XIXe siècle. L’instrument en question relève du système unisonore et comprend un clavier-piano à 22 touches blanches en ivoire et 15 touches noires en ébène, ce qui lui donne une étendue chromatique de deux octaves et demi, compte tenu que la note du premier do correspond à la cinquième touche blanche. Cet instrument, dont une inscription gravée au dessus du clavier mentionne "Brevêté S.G.D.G [8]. Médaille d’or" est un accordéon à deux voix d’anches (anche double). Au dessus et en dessous du clavier se trouvent deux tirettes, l’une servant à actionner un mécanisme permettant d’interdir la vibration d’une anche sur chaque plaquette, et l’autre faisant office de soupape d’air. Les anches sont en laiton. le soufflet à cinq plis est fait de carton, recouvert de papier peint d’un vert foncé, et de jointures en cuir noir. Le socle gauche ne comprend pas de bascules ou boutons d’harmonie, mais fait simplement office de poignée. Le passage des sons s’effectue au travers d’ouies découpées dans la caisse de résonnance.
Il existe une réplique de cet instrument au Musée international de Castelfidardo en Italie, qui est identifié comme étant un harmoniflûte de facture française, datant de 1853, et dont l’inventeur pourrait être le fabricant Busson. [9] Le nom du fabricant reste au conditionnel, et nous pensons qu’il s’agirait plutôt de Philippe-Joseph Bouton qui fut le premier à adapter un clavier-piano sur un accordéon.
Accordéon no 42-26, Musée de la civilisation [10]
b) Les lieux de distribution de l’accordéon romantique
Après de longues recherches, nous sommes amenés à constater que la ville de Québec était au XIXe siècle le centre de diffusion de l’accordéon au Québec. Les magasins d’instruments de musique, les ateliers de réparation d’instruments, et même les magasins de marchandises diverses étaient les lieux de distribution par excellence des produits importés d’Europe. Les petites annonces des journaux d’époque sont de précieux témoignages de la présence de ces établissements qui ont joué un rôle important quant à diffusion de l’accordéon.
Le 17 mai 1844, le luthier Joseph Lyonnais, qui fut le premier luthier de Québec, faisait publier une annonce dans le journal L’Artisan pour informer sa clientèle qu’il venait de déménager son atelier dans le quartier Saint-Roch au 34 rue des Prairies. Il en profitait pour mentionner qu’en plus de fabriquer des violons, il prenait en charge la réparation d’instruments divers dont des accordéons :
Je soussigné prends la liberté de remercier mes nombreux amis et le public en général pour l’encouragement libéral qu’il en a reçu jusqu’à ce jour, en sa qualité de LUTHIER, et les prévient qu’il vient de transporter son établissement au Faubourg St-Roch, rue des prairies, No 34 où il se chargera, comme par le passé, de la confection de violons qu’il ne craint pas de comparer aux meilleurs de ceux qui nous viennent par la voie de l’importation. Il se charge aussi de réparer au plus court avis tous autres instruments de musique, tels que violons, clarinettes, flutes, accordéons, etc.etc. (...) Il se flatte que la modicité de ses prix jointe à sa ponctualité et au fini de son ouvrage, lui assurera une part du patronage public. Jos. Lyonnais Québec, 17 mai 1844. [11]
Dans la famille Lyonnais de Québec, on était luthier de père en fils. Ainsi, après avoir été initié à l’art de la lutherie par son père, à partir de 1860, Roch Lyonnais, ouvrit son propre atelier en 1866 dans le quartier Saint-Roch. En décembre 1874, il faisait publier une annonce dans le Journal de St-Roch :
Roch Lyonnais, luthier. Coin des rues Grant et Saint-François, Saint-Roch. Se charge de la réparation de toutes espèces d’instruments de musique, à cordes, à vents ou à percussions, aux meilleures conditions possibles. La réparation des concertinas une spécialité... [12]
S’il est fort probable que les luthiers Lyonnais, père et fils, vendirent des accordéons, il est certain qu’ils en réparèrent. Tout porte à croire que les deux accordéons des Ursulines de Québec, achetés en 1846, passèrent entre les mains de Joseph Lyonnais, l’année suivante. Ce dernier, avant sa mort en 1889, ainsi que son fils Roch, eurent aussi la charge de réparer l’accordéon harmoniflute dont il est question plus haut. Une étiquette mentionnant "Joseph Lyonnais, Violin maker, Québec" et une autre avec pour inscription "Roch Lyonnais, réparateur d’instruments de musique, St-Roch, Québec" sont de fait collées à l’intérieur de cet accordéon : la première sur le sommier d’anches, et la seconde sur le panneau du soufflet. À l’instar des fabricants d’instruments de musique de son époque, Roch Lyonnais chercha également à innover. Si l’on en croit les propos de Nazaire Levasseur, musicien et journaliste de Québec, au début de ce siècle, ce serait à Roch Lyonnais que "l’on doit le premier accordéon qui ait jamais été fabriqué au Canada. Il inventa et fabriqua, en 1855, le Begarina, instrument de musique à anches libres, et d’une étendue chromatique de deux octaves avec accord en sol majeur et do majeur." [13] Alors, ce maître luthier peut-il être considéré comme étant le premier fabricant d’accordéon au Québec ? Il serait aventureux de l’affirmer puisqu’il n’existe, à ce jour, aucun document témoignant de ce fait.
Outre la famille Lyonnais, l’on pouvait également se procurer des accordéons et des concertinas chez les marchands d’instruments de musique et de marchandises diverses. Ces derniers ne manquaient pas d’avertir la clientèle locale dès qu’ils prenaient possession de nouveaux produits tout juste arrivés d’Europe. C’est ainsi que le 24 juin 1852, le magasin Bossange, Morel et Cie., installé 12 rue Buade à Québec annonçait qu’il venait de recevoir de leur maison de Paris, par le navire Clarissa de Bordeaux, tout un lot de marchandises diverses dont des "articles en Nacre de Perle, Accordéons et Flûtes, Porte-monnaies, Porte-cigares...". [14]
De la même manière, le 23 janvier 1875, J.Alphonse Paré, marchand d’instruments de musique entre autres, installé 44 rue de la Couronne, dans le quartier Saint-Roch à Québec, annonçait qu’il déménageait son magasin le premier mai de la même année et qu’il vendait "d’ici à ce temps, tout son Fonds de Commerces pour faire place à son assortiment de printemps, consistant en : Jouets, Articles de fantaisie, etc. etc., Boites à ouvrage avec musique, Albums Musicaux, etc. Il attire spécialement l’attention générale sur son assortiment de Violons, Accordéons, Fournitures de violons, Archets, etc., etc..." [15] Ce même marchand louait également divers instruments de musique dont des accordéons et concertinas. En juillet 1879, E. LaRue, marchand de piano et d’harmoniums, installé sur le chemin Ste-Foy, avertissait la population qu’il réduisait les prix de ses instruments : "J’offre pour la moitié du prix coûtant quelques bonnes Clarinettes, Flûtes, Fifres, Violons, Archets, Concertinas, Accordéons et Cordes de Violons, en gros et en détail. (...) Tous les instruments seront garantis pour dix ans." [16]
De 1850 à 1880, environ, les lieux de production que nous venons de décrire eurent pour ainsi dire le monopole de la diffusion de l’accordéon. A partir des années 1880, une nouvelle forme de vente se développa. Les catalogues de vente par correspondance allaient se propager jusqu’aux endroits les plus reculés du Canada, proposant des produits de toutes sortes qui, grâce à la modernisation toujours plus avancée des moyens de transports, arrivaient en peu de temps auprès des consommateurs.
III. Modernisation et popularisation de l’accordéon
Les catalogues de vente par correspondance jouèrent un grand rôle dans la diffusion des accordéons. Qui plus est, ils favorisèrent l’implantation de l’accordéon diatonique dit mélodéon ou modèle allemand, à une rangée de dix boutons, que les Québécois ont adopté très vite.
Que nous apprennent les premiers catalogues ? Tout simplement que la marque Kalbe et son modèle Imperial, spécialement destiné au marché nord-américain, était la marque prédominante dans les années 1890. Dans son catalogue no 57 de l’année 1895, par exemple, la compagnie Montgomery Ward offrait toute une panoplie d’accordéons Kalbe achetés et importés directement de la manufacture installée à Berlin, Les prix variaient entre 2.00 $ et 9.00 $. On y trouvait principalement des accordéons à une rangée de dix boutons, deux basses, deux, trois ou quatre registres, mais aussi des accordéons à deux rangées de dix et neuf boutons, quatre basses, deux registres.
Accordéons Kalbe, à une et deux rangées [17]
En fait, les accordéons allemands Kalbe, "Imperial" étaient en circulation dès le début des années 1890. En 1892, ils figuraient déjà aux côtés d’accordéons allemands de marque Moritz dans le catalogue d’automne de la compagnie Eaton de Toronto. Les prix variaient alors entre 1,10 $ et 5,75 $. Le catalogue Eaton fut certainement le catalogue le plus populaire et le plus répandu dans les provinces du Canada. L’examen de son contenu à travers le temps (1892-1950) nous permet de faire ressortir les marques et modèles d’accordéons mis en circulation sur les marchés canadiens et québécois.
À partir de 1897, on trouvait, dans ce catalogue, des accordéons de marque Ideal. En 1901, apparaîssait pour la première fois une méthode d’accordéon et de concertina : Winner’s Canadian Method for German Accordions et Winner’s Canadian Method for German concertinas, que l’on pouvait obtenir pour 30 cents. On les retrouvera jusqu’en 1912. Les accordéons allemands Ludwig "Pine Tree" furent présents dans le catalogue à partir de 1902, tandis qu’à l’automne 1905 les accordéons Hohner à une rangée de dix boutons faisaient leur apparition ; soit deux années après le début de la fabrication d’accordéons par la firme allemande Hohner. Deux modèles y étaient présentés : le modèle "allemand" avec ses registres et le modèle "italien" qui, lui, ne possède pas de registres.
Accordéons Hohner, modèles "allemand" et "italien" [18]
De 1907 à l’automne 1915, les accordéons Hohner furent les seuls accordéons en vente chez Eaton. En 1910, un modèle diatonique à deux rangées de boutons était proposé pour la première fois. Il faudra attendre l’automne 1925 pour voir arriver le premier accordéon Hohner à trois rangées de boutons, 16 basses.
Accordéon Hohner, modèle "italien" à trois rangées [19]
Durant les années de guerre, à partir de 1916, les accordéons Hohner furent boycottés. Ils ne firent leur réapparition qu’en 1924. Entre temps, à partir de 1916 et jusqu’en 1918, Eaton mit en vente des accordéons fabriqués en Suisse. Du printemps 1918 à l’hiver 1921, aucun accordéon ne figurait dans leur catalogue. De 1922 à 1925, Eaton proposa des accordéons tchécoslovaques de marque Invicta. Le premier accordéon-piano fit son apparition dans le catalogue de l’automne/hiver 1926-1927. La marque n’était pas spécifiée. Cet accordéon européen possèdait un clavier droit à 31 touches et un clavier gauche à 16 basses.
Accordéon-piano européen à 16 basses[20]
À partir de 1926, des accordéons diatoniques de marques italiennes côtoyaient les modèles Hohner. En 1929 un accordéon-piano Hohner, à 25 touches et 12 basses, apparaîssait pour la première fois. En 1936, Eaton mit en vente des accordéons-piano Minerva qui étaient produits par la compagnie Hohner. On y trouvait, entre autres, un accordéon à 120 basses. Par la suite, différentes marques d’accordéons-piano furent présentées, dont Suprema, Superba, Donizetti (Italie) en 1939. Durant la deuxième guerre mondiale, à partir de 1939, on assista au deuxième boycott des accordéons Hohner, et cela jusqu’à l’été 1949. De 1941 à l’été 1947, on ne trouvait d’ailleurs plus d’accordéons dans le catalogue. Ils réapparurent à l’automne 1947 sous la forme de diatoniques de marque Invicta, de chromatiques à touches-piano de marques italiennes Serenelli, Maggi et suisse Schwaller. A partir de l’automne 1949, les modèles de la compagnie Hohner retrouvèrent l’affiche aux cotés des accordéons italiens chromatiques et diatoniques de marque Frontalini.
IV. L’origine de la fabrication québécoise d’accordéons diatoniques.
Comme nous l’avons vu précédemment, l’accordéon diatonique, modèle allemand, à une rangée de 10 boutons était l’instrument populaire des années 1890. Ce modèle allait inspirer la manufacture québécoise d’accordéon ; une manufacture qui se singularisa dès le début par son côté artisanal. Ce constat est encore valable de nos jours. Il n’existe pas de production industrielle d’accordéons au Québec.
C’est dans le quartier Saint-Sauveur à Québec, en 1895, que fut fabriqué le premier accordéon québécois. Il fut l’oeuvre d’Odilon Gagné, né en 1852, que l’on peut considérer comme étant le véritable pionnier de la fabrication d’accordéons diatoniques au Québec. [20] Fils d’ouvriers, Odilon Gagné avait la double qualité d’être un habile menuisier et un musicien dans l’âme. Ces talents l’amenèrent ainsi à ouvrir un atelier de menuiserie, dans les années 1870, où il se mit à fabriquer des meubles et des pianos qu’il mit en vente aux côtés d’harmoniums. Il fabriqua d’ailleurs 18 pianos. Joueur et fils de joueur d’accordéon, Odilon Gagné se lança dans la manufacture d’accordéons en 1895. Partant de rien, il dut concevoir ses propres outils, tels que des moules pour fondre les plaquettes d’anches et confectionner les boutons chromés des claviers, en plus d’apprivoiser des matériaux comme le carton, la toile et le cuir, principaux éléments d’un soufflet d’accordéon. Il fabriqua son premier accordéon dès la première année. Ce fut le premier d’une longue série. Lors de son décès en 1916, l’on pouvait chiffrer à 150 le nombre d’accordéons fabriqués de ses mains. Evidemment les accordéons Gagné remplissaient l’étalage de son magasin. Cependant, vers la fin des années 1900, il était courant de voir en vitrine des accordéons Ludwig "sapins" et Hohner.
Accordéons Gagné fabriqués dans les années 1900-1910[22]
Avant son décès, Odilon Gagné avait eu le temps d’initier deux de ses fils, Philias et Wilfrid, à la facture des instruments À l’image de leur père, ces derniers jouaient de l’accordéon. Ils reprirent les affaires d’Odilon à leur compte et baptisèrent l’entreprise familiale la Maison Gagné et Frères en 1917. Ils continuèrent à fabriquer le même modèle d’accordéon que leur père, à une rangée de dix boutons, deux jeux d’anches et deux clés de basses. Leurs accordéons étaient faits de pin et merisier, de plomb et d’acier, de cuir de mouton et de chèvre ainsi que de carton doublé et papier collé pour le soufflet. Se tenant au courant des dernières nouveautés en matières d’instruments de musique, ils ne manquaient pas de toujours garder un étalage bien garni. Harmoniums, guitares, saxophones, trompettes, clarinettes, mandolines, violons, harmonicas et accordéons-pianos meublèrent ainsi les vitrines du magasin à partir des années 1920. Les accordéonistes Théodore Duguay, Joseph Guillemette, Louis Fontaine, Gérard Lajoie, Lévis Beaulieu, pour ne citer que les plus connus, jouèrent sur les accordéons Gagné entre les années 1920 et 1950.
Wilfrid et Philias Gagné moururent célibataires, en 1950 pour le premier et en 1957 pour le second. Cependant, auparavant ils avaient songé à l’avenir de l’entreprise en initiant au métier l’un de leurs neveux, Paul-André Gagné, né en 1925, qu’ils élevèrent comme leur propre fils. Celui-ci avait appris à jouer de l’accordéon à l’âge de cinq ans sur un modèle Ludwig. Paul-André succéda donc à Wilfrid et en profita pour agrandir quelque peu le magasin. Il se retrouva bientôt seul à gérer les affaires quand Philias décéda. Il perpétua la tradition de la fabrication des accordéons à une rangée de dix boutons, deux jeux d’anches, deux basses, jusqu’en 1994, année de sa retraite. Entre temps, Richard Gagné, l’un de ses fils, avait appris à fabriquer et réparer des accordéons. Il prit officiellement la tête de l’entreprise familiale en 1980, agrandissant le magasin, ouvrant une école de musique au deuxième étage, proposant la vente de nouveaux instruments populaires tels que des guitares électriques, des batteries, des synthétiseurs, etc. De nos jours, même si la vente de ce genre d’instruments prédomine à la Maison Gagné et Frères, quelques modèles d’accordéons Gagné sont toujours disponibles aux côtés d’accordéons Hohner et Saltarelle.
Note biographique
En 1997, Yves Le Guével a complété une maitrise en ethnologie des francophones en Amérique du nord, à l’Université Laval, ayant pour sujet (titre) "La musique traditionnelle instrumentale canadienne-française en milieu urbain : le cas de Québec (1930-1960). Depuis, il poursuit des recherches doctorales en ethnologie sur les savoir-faire des fabricants d’accordéons québécois.
Bibliographie
I. Encyclopédies et dictionnaires.
"Musical Instruments of the World : An Illustrated Encyclopedia by the Diagram Group", Paddington Press LTD, USA, 1976.
II. Etudes.
BILLARD, François et Didier ROUSSIN, Histoires de l’accordéon, Castelnau-le-Lez, France, Climats-INA, 1991. 488 p.
BOONE, Hubert, L’accordéon et la basse aux pieds en Belgique, Louvain, Editions Peeters, 1993, 262 p.
FLYNN, Ronald, Edwin DAVISON et Edward CHAVEZ, The Golden Age of the Accordion, Schertz, Flynn Publications, 1992, 362 p.
FRATI, Zeilo, Beniamino BUGIOLACCHI et Marco MORONI, Castelfidardo e la storia della fisarmonica, Castelfidardo, 1988, 183 p.
LABBE, Gabriel, Musiciens traditionnels du Québec ; 1920-1993, Montréal, V.L.B. Éditeur, 1995, 272 p.
Les Pionniers du disque folklorique québécois ; 1920-1950, Montréal, Les éditions de L’Aurore, 1977, 216 p.
LE VASSEUR, Nazaire, "Réminiscence d’Antan, Québec il ya 70 ans" Québec, Imprimerie Charrier et Dugal Limitée, 1926, 96 p.
MONICHON, Pierre, L’Accordéon, Lausanne, Van de Velde/Payot, 1985, 144 p.
III. Articles.
DEFRANCE, Yves, "Traditions populaires et industrialisation : le cas de l’accordéon", Ethnologie française, no 9, 1984, p. 223-37.
LE VASSEUR, Nazaire, "Musique et Musiciens à Québec", La musique, no 21, septembre 1920.
ROYER, Henri, "La lutherie à Québec", Mosaïque québécoise, no 13, 1961, pp. 104-110.
IV. Catalogues.
Catalogue C. Bruno & Son, New York, 1881-82, 1890. Catalogues Eaton 1892-1950. Catalogue Henry Benary’s Sons, New York, 1888. Catalogue Montgomery Ward & Co., Toronto, 1895. Catalogue Robert Simpson Company, Limited, Toronto, 1909. Catalogue Williams &Sons Co. Limited, Toronto, 1905.
V. Journaux.
L’Artisan, Québec, 24 mai 1844. L’Évênement, Québec, 15 juillet 1879. Le Journal de St-Roch, 14 décembre 1874, 23 janvier 1875. Le Journal de Québec, 24 juin 1852.
VI. Sources écrites et orales.
Enquête écrite avec Paul-André Gagné, Québec, mai 1997. Enquête orale avec Gabriel Labbé, Montréal, 7 avril 1997.
VII. Objets de collections privées.
Coll. Archives des Ursulines de Québec.
Livre des dépenses, No 10, 1 avril 1842 au 30 novembre 1843. Prospectus, Objets de l’enseignement, 1847.
Coll. Musée des Ursulines de Québec.
Accordéon Keith Prowse & Co. Accordéon Wender. Accordéon anonyme.
Concertinas (2) anonyme. Fiche technique, documentation recherche sur l’accordéon du musée des Ursulines. Photos Micheline Vézina-Demers : Accordéon Keith Prowse & Co., Concertina anonyme.
Coll. Musée des Ursulines de Trois-Rivières.
Accordéon No 1995-1033.
Coll. Musée de la civilisation, Québec.
Accordéon No 92-607. Accordéon No 42-26.
Coll. Maison Gagné et Frères.
Accordéons Gagné (5). Photo d’Odilon Gagné en 1916. Photo de Philias Gagné en 1930.
Coll. Yves Le Guével.
Iconographie : Tablature de l’accordéon No 92-607 (Musée de la civilisation).
Iconographies : Accordéons Keith Prowse & Co., Accordéon Wender, Accordéon anonyme, Concertina anonyme (Musée des Ursulines de Québec).
Photos Accordéon No 92-607, Accordéon No 42-26 (Musée de la civilisation).
Photos Accordéons Gagné. (1) Livre des dépenses, No 10, 1 avril 1842 au 30 novembre 1843, Collection Archives des Ursulines de Québec.