La gigue québécoise

Vol. 6, no. 2, Automne 2001

par CHARTRAND Pierre

NDLR : Article paru dans le numéro d’automne 2001 de la revue Cap-aux-Diamants.

Isaïe Leroux
Le vieux Isaïe Leroux, danseur des environs de Montréal, vers 1920. Tirée de « Le Rossignol y chante » par Marius Barbeau, Musée national d l’Homme (Musées nationaux du Canada), Ottawa,1979, p. 226

Depuis plusieurs années, la gigue est en plein regain de popularité, portée, entre autres, par la vague d’enthousiasme suscité par les grands spectacles de gigue irlandaise tels que Riverdance ou Lord of the Dance.

On entend parler de danse "percussive" dès la Renaissance (Canaries, Mauresques). Plus près de nous, disons au XIXe siècle, on observe (en Occident) deux branches de la danse percussive : la lignée espagnole et l’autre britannique. Le flamenco aura sa descendance au Nouveau-Monde (Mexique, Argentine...) avec les zapateados, les zapateos,... tandis que le step-dancing irlandais ou écossais, ainsi que le clogging anglais, s’implanteront en Amérique du Nord. Ils deviendront tap-dancing en se fusionnant à la culture noire américaine ou resteront clogging chez les blancs. Le Québec n’y échappera pas. La gigue s’installera chez nous à la suite des grandes vagues d’immigration irlandaise du milieu XIXe siècle. Les échanges entre les deux cultures seront importants. Notre musique et notre danse traditionnelles le démontrent clairement. La place de la communauté écossaise n’est pas à dédaigner : quantité de nos danses (spandy, brandy...) sont clairement identifiées comme étant d’origine écossaise et notre gigue a d’énormes similitudes avec celle des Lowlands.

Toutes les régions du Québec n’ont cependant pas la même pratique de la gigue. Par exemple, le 6/8 (jig) et la clog (2/2) se dansent presque uniquement dans l’Outaouais, tandis que la région montréalaise a conservé la valse-clog (3/4) qui lui vient de sa forte population anglaise au siècle dernier. On la tient d’ailleurs du célèbre violoneux Jean Carignan. Mais le Québec, et les Canadiens français (ainsi que les Métis de l’Ouest), se distinguent du reste de l’Amérique et des îles Britanniques par le 3/2. La célèbre grande gigue simple, le brandy (danse giguée) et les multiples grondeuses sont toutes des mélodies à trois temps (à division binaire) qui furent longtemps la spécificité des francophones d’Amérique. Ces mélodies (et les pas associés) nous sont vraisemblablement venues des îles Britanniques (certaines d’Écosse) et ont été conservées chez nous, tandis qu’elles disparaissaient dans leur contrée d’origine. Depuis quelques décennies, ces 3/2 cèdent peu à peu la place au reel (2/4), le genre le plus répandu à travers le Québec et l’Amérique en entier. Sous toutes ses formes, la gigue exerce une fascination peu commune sur nous ; par sa virtuosité, son accord parfait à la musique, la finesse de ses mouvements et l’énergie qu’elle déploie. Elle représente en quelque sorte la quintessence de notre danse traditionnelle.

Pour en savoir plus :
 1. Traditional dancing in Scotland, J.P. & T.M. Fleet. Routledge and Keegan Paul, Londres, 1964. Particulièrement pour l’annexe Dancing in Cape Breton Island, Nova Scotia, par F. Rhodes, 313 p.
 2. Traditional step-dancing in Scotland, J.P. & T.M. Fleet, Scottish Cultural Press, Edinburgh, 1996, 218 p. (Reprend plusieurs textes de Traditional dancing in Scotland, dont l’annexe de Francis Rhodes)
 3. La gigue québécoise, Pierre Chartrand, Montréal, 1991, (chez l’auteur). Vidéo (1heure) ; livret (70 p.).
 4. Traditional step-dancing in Lakeland, J.P. & T.M. Fleet, English Folk Dance and Song Society, Londres, 1979, 104 p.
 5. Talking Feet ; Buck Flatfoot and tap, Mike Seeger, North Atlantic Books, Berkeley (CA), 1992

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