C’est une histoire dont plusieurs d’entre vous ont déjà entendu parler : Un soir d’hiver. Un Mardi-gras. Une soirée de danse dans une maison du village. Soudain un bel étranger entre, s’invite à la danse et parfois… enlève la plus belle fille de la soirée. Qui est ce bel étranger ? Était-ce le diable ? Ce récit est connu dans la tradition orale sous le titre du Diable beau danseur, de la Légende de Rose Latulippe ou encore Le Diable à la danse, titre que l’ethnologue Jean Du Berger a retenu pour l’édition de son livre aux Presses de l’Université Laval en 2006.
D’abord le fruit d’une thèse de doctorat présentée à l’Université Laval le 18 décembre 1980, l’ouvrage de Jean Du Berger est ici totalement remanié. Comme il le dit lui-même en avant-propos : « La Terre avait continué de tourner et, depuis ma soutenance, le Diable n’avait pas arrêté d’en faire le tour. Il fallait mettre à jour la bibliographie et faire l’inventaire des nouvelles collections des Archives de folklore de l’Université Laval. Je l’ai fait. (…) Les nouveaux récits s’accumulaient et, à mon grand soulagement, je me suis rendu compte que l’analyse du corpus que j’avais faite il y a maintenant longtemps n’était pas remise en question. » (p. 11) Le Diable à la danse est un ouvrage à deux niveaux : il s’agit d’une étude comparée des dizaines de versions colligées sur le thème mais il s’adresse aussi à ceux et celles qui veulent simplement s’initier aux récits qui, de manière universelle, reprennent le thème de l’enlèvement dans plusieurs cultures. Ce livre n’est donc pas un traité sur la danse. Cependant, l’esprit de la danse, de l’effervescence de la fête aux débordements de l’interdit, y est omniprésent. Comme le rappelle l’auteur : « La danse est fête. La fête conduit au chaos. Il était donc interdit de danser ». Le lecteur passionné par la danse y trouvera assurément tous les éléments qui caractérisent l’atmosphère festive des veillées de danse : mise en scène, personnages, décor, musique, etc.
Professeur retraité de littérature québécoise et d’ethnologie à l’Université Laval, Jean Du Berger s’est toujours intéressé au domaine des contes et des légendes de l’Amérique française. Animateur de plusieurs séries radiophoniques sur l’imaginaire et conteur à ses heures, cet universitaire est avant tout un grand communicateur. Dans les années 1990, il s’est beaucoup impliqué pour la défense et la reconnaissance du patrimoine vivant, autant dans les milieux associatifs que savants. La figure du Diable n’a jamais cessé de l’accompagner partout dans ses prestations. Le Diable, l’Adversaire ou l’Étranger hante encore notre imaginaire et Jean Du Berger retrace ici ses allées et venues et tous ses avatars (Satan, Lucifer, Asmodée, Belzébuth, Mammon ou Astaroth) à travers la littérature, le théâtre, la chanson populaire, le ballet, le cinéma, la télévision, la peinture et la sculpture. Figure dominante du paysage québécois, on est frappé à la lecture de ce livre, par la place qu’occupe le Diable entre autres dans la toponymie du Canada français, dans les complaintes et les chansons satiriques, dans les contes et dans les légendes.
En limitant son étude au thème du diable à la danse, l’auteur concentre ici son analyse à l’efficacité rhétorique du discours emprunté par tous les prédicateurs et les éducateurs d’autrefois voulant utiliser « l’exemple de ce qu’il peut arriver aux filles imprudentes qui aiment trop danser et n’écoutent pas les conseils de leurs aînés ». (p. 26) C’est un peu l’histoire du Québec au sujet de la danse et de son interdiction qui se trouve ici racontée et résumée dans l’analyse des versions de la légende du Diable à la danse.
Rigoureusement documenté, l’ouvrage est constitué d’un corpus impressionnant de récits recueillis tant au Québec et dans les autres provinces canadiennes qu’en Europe et aux États-Unis. L’étude se divise en trois parties et comporte au total neuf chapitres. (1ère partie : constitution du corpus principal et méthodologie - 4 chapitres ; 2e partie : constitution des récits apparentés - 2 chapitres ; et 3e partie : étude comparée, analyse et sens du récit - 3 chapitres). L’ensemble du corpus sur le thème du Diable à la danse est délimité selon quatre traditions narratives auxquelles Jean Du Berger a donné les titres critiques de Diable beau danseur, Diable à la danse, Fille enlevée par le diable et enfin, Danseurs punis. Qu’il s’agisse de la tradition narrative la plus importante, la première, ou des traditions apparentées, les trois autres, l’analyse prend minutieusement forme dans un chassé-croisé de versions qui rappellent les figures de la danse, leurs multiples variantes régionales et les emprunts faits ici et là selon l’influence des époques où elles furent les plus populaires.
Devant l’ampleur de l’étude et son érudition, on ne peut que saluer la parution de cet ouvrage qui nous fait découvrir les liens tissés entre les différents récits ayant comme principal protagoniste le Diable à la danse. Que la légende se transforme en conte fictif ou en récit moderne, une constante demeure : le thème est toujours d’actualité. Les salles de danse, les boîtes à la mode et les raves continuent d’attirer les danseurs infatigables, garçons et filles, jeunes et moins jeunes, jusqu’aux petites heures du matin. Gageons que le Diable rôde toujours aux alentours… Ne serait-il pas celui, qui au fond, mène la danse ?
Biographie de Jean Du Berger
1933 : Naissance à Montréal |
1953 : Baccalauréat es arts, Collège Ste-Marie |
1960 : Licence en philosophie, Facultés de la Compagnie de Jésus |
1963 : Licence es lettres, Université Laval |
1963 : Médaille du Lieutenant Gouverneur, province de Québec |
1963 : Prix Garneau de littérature française |
1957-64 : Enseignement au niveau collégial |
1966-67 : Médaille Luc Lacoursière |
1964-98 : Professeur et chercheur, Université Laval |
1972-73 : Conseiller et concepteur d’émissions à Radio-Canada |
1976 : Membre fondateur, Société québécoise d’études théâtrales |
1978-79 : Conférencier invité, Universités de Californie, d’Oregon et de Washington |
1981 : Doctorat es lettres, Université Laval |
1981-98 : Chercheur au CELAT, Université Laval |
1981-95 : Animateur d’émissions, Radio-Canada |
1987 : Missions au Portugal et au Rwanda |
1989-90 : Président, Association canadienne d’ethnologie et de folklore |
1992 : Président, Comité organisateur, États généraux du Patrimoine vivant |
1998 : Retraité de l’université |
1998-2005 : Président, jury du Prix Mnemo |
1996-2006 : Chargé de cours, Université de tous les âges, Université Laval |
2001 : Médaille Marius Barbeau |
2006 : Doctorat honorifique, Université de Sudbury |
2006 : Lauréat de Québec, Radio-Canada-Le Soleil |