Les festivals du Canadien Pacifique dans les années vingt.

Vol. 3, no. 1, Été 1998

par CHARTRAND Pierre

La majorité d’entre nous sommes des " produits " de la vague " folk " des années soixante-dix (à moins, bien sûr, que nous ne soyons porteurs de tradition). Et bien que nous sachions que le monde n’a pas commencé avec nous, nous oublions trop facilement que le " revival " de la danse et de la musique traditionnelles date du début du siècle.

C’est pourquoi nous vous proposerons, dans les numéros qui viennent, des articles décrivant différentes facettes du renouveau des traditions chantées, dansées et musicales qui eurent lieu depuis près d’un siècle, particulièrement en milieu urbain.

Pour ce premier article, nous vous présentons la série des festivals organisée par le Canadien Pacifique, dans les années 1927-1930.

Les organisateurs

Certains pourront s’étonner qu’une compagnie de chemin de fer se soit tant investie dans l’organisation de festivals portant sur les traditions. Ce serait oublier que le Canada d’alors était encore à la recherche d’immigrants pour peupler les vastes contrées de l’Ouest. John Murray Gibbon, un des fondateurs de ces festivals, était d’ailleurs le chef du département de la " propagande " du CP en Europe (en 1907). Il immigra au Canada en 1913, et poursuivit sa tâche au pays même.

Mais, drôle de hasard, Gibbon avait fait ses études à Oxford, qui plus est en archéologie, et avait ainsi rencontré Marius Barbeau, qui y rédigeait sa thèse sur les amérindiens de la Colombie-Britannique. Celui-ci, aidé de Conrad Gauthier, organisait déjà des événements urbains tel les Veillées du bon vieux temps, qui débutèrent à la Bibliothèque Saint-Sulpice [1] le 18 mars 1918. C’est Barbeau qui intéressera Gibbon au " revival " de la chanson et de la danse qui avait cours en Angleterre [2], mouvement qui semble avoir inspiré les organisateurs des festivals du CP. En 1920, Charles Marchand [3] s’ajoutera au duo, travaillant surtout avec Barbeau à l’organisation du festival se tenant à Québec.

Les Festivals du Canadien Pacifique

Ces festivals servaient, entre autres, à promouvoir l’idée de la " diversité canadienne ". Chaque communauté culturelle s’est ainsi vu attribuée (à la longue) son festival. On y présente beaucoup de chansons et de musique, mais aussi de l’artisanat. Voici la liste des festivals avec leur éditions successives :

1927

Festival de la Chanson et des Métiers du Terroir (Château Frontenac, Québec)
Highland Gathering and Scottish Music Festival (Banff Springs Hotel)

1928

les 2 mêmes plus le European ethnic festival : New Canadian Folk Song and Handicraft Festival (Winnipeg)

1929

Festival de Québec annulé (décès de Charles Marchand)
Highland Gathering and Scottish Music Festival (Banff Springs Hotel)
European ethnic festival : sous le nouveau nom de : Great West Canadian Folk-Song, Folk-Dance and Handicraft Festival (Regina)
Sea Music Festival (Vancou-ver)
Old English Yuletide Festival (Victoria)

1930

Festival de la Chanson et des Métiers du Terroir (Château Frontenac, Québec)
Highland Gathering and Scottish Music Festival (Banff Springs hotel)
New Canadian Festival (Winnipeg)
Sea Music Festival (Victoria)
English Music Festival (Toronto)

On voit clairement à quel public s’adresse ces événements. Ils se tiennent dans les grands hôtels du CP (le Château Frontenac, le Banff Springs Hotel...) et touchent ainsi la classe bourgeoise d’alors, qu’elle soit du pays ou en visite touristique.

En regardant de plus près la programmation offerte aux différentes éditions du Festival de la Chanson et des Métiers du Terroir (Québec), on s’étonne de voir se côtoyer des artistes académiques avec certains porteurs de tradition. On y présente principalement des chansons collectées par Barbeau ou Gagnon ( [4]). Ce répertoire est interprété par des chanteurs académiques :

 Rodolphe Plamodon (qui a étudié la musique médiévale avec Vincent D’Indy) chantera des chansons des 12-13e siècle accompagné du Hart House Quartet ;

 Léon Routhier du Métropolitan Opera, Cedia Brault, mezzo-soprano du Manhattan Opera Company, et Wilfrid-Pelletier, déjà chef d’orchestre au Metropolitan Opera de New-York, etc.

À cela se mêle des groupes plus près de la tradition : Les Troubadours de Bytown avec Charles Marchand, Émile Boucher, Fortunat Champagne, Miville Belleau, accompagné par Louis Bédard. On y retrouve aussi quelques chanteurs, musiciens ou danseurs traditionnels (qui ne sont d’ailleurs guère présentés dans le programme, contrairement aux chanteurs ou musiciens de formation académique).

D’autre part, la danse est pratiquement absente des premières programmations. On présente tout de même des rondes enfantines collectées par un français (A. Gauvin) au Couvent des Ursulines de Québec... On n’y trouve qu’une mention de gigueur (dans le festival de 1927) : M. Jacques Garneau (champion danseur) accompagné au violon par Johnny Boivin, interprétant La gigue de l’aveugle (gigue simple). M. Boivin présente d’ailleurs sa pièce de la manière suivante : Cette gigue nous a été transmise absolument défigurée après avoir été enseignée de violoneux à violoneux pendant de longues années. Ce morceau allait se perdre entièrement quand je l’ai recomposé suivant la tradition originale . On voit donc qu’un certain discours " ethnographique " propre au revivalisme est d’ores et déjà assimilé par des porteurs de traditions...

Notes

[1l’actuelle Bibliothèque nationale, sur la rue Saint-Denis, à Montréal.

[2dont Cecil Sharp se révélera être un chef de file

[3Charles Marchand était dessinateur pour le gouvernement fédéral jusqu’en 1920, puis décida de se vouer entièrement à la chanson.

[4Ernest Gagnon avait déjà publié " Chansons populaires du Canada " en 1865, avec au moins 8 rééditions.



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