Lors de la dernière remise des Prix du Québec, qui avait lieu en octobre dernier, tous furent surpris d’entendre que l’accordéoniste Philippe Bruneau déclinait le Prix Gérard-Morissette. Rappelons que ce prix vise à honorer l’apport exceptionnel d’une personne dans le domaine du patrimoine vivant. Nous voulons revenir ici sur cet événement important pour le milieu de la musique traditionnelle québécoise. Important parce qu’il touche, d’une part, à un des piliers de la musique de chez nous, et qu’il s’agit, d’autre part, de la plus haute distinction que le Québec puisse accorder à quelqu’un dans ce domaine.
Il va sans dire que nous respections totalement la décision de Philippe Bruneau. Nous vous présentons donc les raisons qui ont porté M. Bruneau à refuser ce Prix, par l’entremise de divers articles parus sur le sujet.
L’article de Stéphane Baillargeon, paru dans Le Devoir du 6 octobre 2000, est sans doute le plus complet. En voici quelques extraits [1] :
Pour protester contre le « manque d’intérêt porté par le gouvernement québécois à la musique traditionnelle », le musicien folklorique Philippe Bruneau a refusé le prix Gérard-Morisset, la plus haute distinction accordée par le gouvernement du Québec dans le domaine du patrimoine.
L’accordéoniste est le premier lauréat à refuser un prix du Québec. L’auteur cite plus loin les paroles de Philippe Bruneau en ces termes : « Je ne peux pas accepter un prix de reconnaissance pour le folklore du gouvernement, qui n’a jamais reconnu l’importance de la musique traditionnelle du Québec. J’ai mis une croix sur le Québec. J’ai toujours dit que chaque peuple avait ses danses, ses chants, ses coutumes. J’ai toujours pensé que le peuple québécois était distinct - et en passant, je n’ai jamais appuyé la séparation du Québec. Et qu’est-ce que le gouvernement a fait pour faire connaître cette culture, ce folklore ? Rien ». Lorsque, voilà deux ans, M. Bruneau apprit qu’il avait été mis en candidature à plusieurs reprises (6 ou 7 fois), il annonça au Ministère de la Culture qu’il déclinerait le Prix. Ce qu’il fit.
Les témoignages ont fusé de divers endroits :
Gilles Garand (président du Conseil québécois du patrimoine vivant) décrit Philippe Bruneau comme « un musicien de grand talent, un accordéoniste de génie, un artiste d’une rigueur intellectuelle à toute épreuve, un guerrier pur de la culture ». L’ethnomusicologue Carmelle Bégin, conservatrice en chef du Musée canadien des civilisations, propose cette formule-synthèse : « Philippe Bruneau est un objecteur de conscience musicale ».
Le Conseil québécois du patrimoine vivant (CQPV) a par ailleurs diffusé un communiqué [2]. En voici un extrait :
« On peut ne pas comprendre ce geste, on peut même ne pas l’approuver, mais nous devons reconnaître l’intégrité de cet homme qui toute sa vie durant s’est battu pour obtenir une reconnaissance officielle de son domaine d’activité, soit la musique traditionnelle québécoise. Philippe Bruneau ne pouvait accepter son incapacité à vivre décemment de son art, bien qu’il ait influencé grandement le répertoire québécois de l’accordéon par ses compositions, son engagement et son style musical bien particulier. Le Prix Gérard-Morrisset arrive trop tard pour cet homme meurtri par son expérience dans le milieu culturel québécois et dont la destinée est dictée par ses convictions. Cette reconnaissance officielle du Gouvernement, il l’aurait souhaitée durant sa carrière active, par la mise en place de politiques et de programmes permettant d’encourager l’activité créatrice des artistes traditionnels. Cet appui n’étant jamais au rendez-vous, Philippe Bruneau décide de s’exiler en France en 1991, le cœur teinté d’amertume ».Tous ceux et celles qui ont côtoyé Philippe Bruneau savent à quel point il est un être essentiellement intègre et fidèle à ses convictions. Il vient de nous le démontrer encore une fois.La remise des Prix du Québec le 8 novembre dernier a donné lieu à un précédent puisque monsieur Philippe Bruneau a refusé de recevoir le prix Gérard-Morisset, prix remis dans le secteur du patrimoine et s’accompagnant d’une bourse de trente mille dollars (30 000 $). Ce refus a créé un certain malaise dans le milieu culturel et le Conseil québécois du patrimoine vivant désire commenter ce geste.On peut se demander ce qu’il est advenu du milieu de la musique traditionnelle québécoise depuis ce temps. Encore en l’an 2000, le milieu du patrimoine vivant continue de nourrir des espoirs et vit dans l’attente de cette reconnaissance officielle tant souhaitée par Philippe Bruneau et ses pairs. Les gouvernements du Québec et du Canada n’ont jamais pris de positions fermes quant à la valeur des arts traditionnels et leur importance culturelle, accusant un grand retard comparativement à la France, au Japon ou aux Etats-Unis qui ont mis en place des mesures pour encourager et soutenir leurs artistes et artisans traditionnels.L’attribution du Prix Gérard-Morisset à cet exceptionnel porteur de la tradition qu’est monsieur Philippe Bruneau constitue un pas important vers cette reconnaissance qui devra également se manifester par d’autres gestes concrets envers le milieu des arts traditionnels. L’éventuelle politique sur le patrimoine culturel devra apporter des solutions à cette situation qui perdure depuis déjà trop longtemps et qui éclate aujourd’hui au grand jour suite à ce geste surprenant, ce cri du coeur de monsieur Philippe Bruneau. Le Conseil québécois du patrimoine vivant, qui a représenté le secteur des arts traditionnels auprès de la Commission Arpin, exige que l’importance de l’apport des porteurs de traditions soit enfin reconnue, valorisée et supportée par des programmes, comme l’a souligné, à sa manière, monsieur Philippe Bruneau.
Conseil québécois du patrimoine vivant
Gilles Garand, président
Marie-France St-Laurent, coordonnatrice