En 1942, alors que paraissait la première série des Chansons d’Acadie, il n’existait aucun recueil de folklore acadien. Auparavant, quelques collectes de chansons avaient été menées par des folkloristes comme Helen Creighton et Geneviève Massignon, et le journaliste J.-Thomas LeBlanc avait publié une chronique sur la chanson traditionnelle dans le journal L’Évangéline. Mais c’est le père Anselme Chiasson et son collaborateur, le père Daniel Boudreau, qui ont révélé la richesse et la beauté de la chanson folklorique en Acadie.
On ne saurait en dire assez sur l’impact qu’a eu la publication des premiers recueils de Chansons d’Acadie pendant les années 1940. Des musiciens comme Jacques Labrecque, Oscar O’Brien, Alan Mills et Hélène Baillargeon ont diffusé les chansons à la grandeur du Canada français. En Acadie même, leur parution a suscité une prise de conscience en l’importance de la culture populaire. Il en suivit une véritable explosion de la culture musicale et littéraire. De nombreux Acadiens, à commencer par Antonine Maillet, se sont rendus à l’Université Laval pour apprendre auprès du professeur Luc Lacourcière les méthodes de recherche en littérature orale. Indirectement, le père Anselme Chiasson a donc stimulé le développement de la recherche en folklore acadien qui a mené en 1970 à la création des archives de folklore du Centre d’études acadiennes, un centre que le père Anselme a d’ailleurs dirigé pendant quelques années.
La carrière de folkloriste du père Anselme Chiasson peut se diviser en trois périodes. À l’époque où il a collaboré avec le père Daniel Boudreau à la publication des trois premiers recueils de Chansons d’Acadie, le père Anselme était professeur de théologie au Québec et n’avait pas l’opportunité de mener des enquêtes ethnographiques. Les deux auteurs ont simplement rassemblé les chansons qu’ils avaient connues pendant leur jeunesse à Chéticamp, au Cap-Breton. Entre 1949 et 1957, le père Anselme était rattaché à une paroisse d’Ottawa et s’est consacré à la cause des Franco-ontariens. C’est à la suite de son retour en Acadie qu’il mènera des enquêtes qui l’amèneront à recueillir des chansons, contes et légendes à Chéticamp, aux Iles-de-la-Madeleine et à plusieurs endroits au Nouveau-Brunswick.
À partir de 1957 et pendant la décennie des années 1960, le père Anselme a dépisté les meilleurs représentants de la tradition orale extrêmement riche du Cap-Breton et des Iles-de-la-Madeleine. Grâce à la collaboration du Musée de l’Homme à Ottawa (aujourd’hui Musée des Civilisations), il a pu enregistrer sur bande magnétique plus de 1 000 chansons, de nombreux airs de violon, ainsi que des centaines de contes et de légendes. Encore aujourd’hui, cette collection est celle qui est la plus souvent consultée au Centre d’études acadiennes, surtout à cause de la beauté des versions de chansons que l’on y trouve. C’est en 1961 que le père Anselme a publié Chéticamp – Histoire et traditions acadiennes, une monographie qui se distingue par la place qu’occupe le folklore à l’intérieur d’un ouvrage d’histoire locale. Il a aussi publié en 1969 Les légendes des îles de la Madeleine, le premier recueil de légendes acadiennes. Encore une fois, le père Anselme faisait figure de pionnier.
Le père Anselme Chiasson a joué un grand rôle dans le développement des recherches en histoire acadienne, un aspect de sa carrière sur lequel je ne peux m’attarder ici. Il a aussi été à divers moments un porte-parole des Acadiens. Un exemple suffira pour illustrer la diversité de ses activités : En 1971 et 1972, il a publié dans le journal L’Évangéline une chronique anonyme intitulée « Le coin à Piquine ». Certains articles portaient sur les traditions acadiennes, par exemple : « Le tchu de l’an », « Après les Rois », « La Chandeleur ». D’autres offraient plutôt des commentaires sur la société, par exemple : « Quand j’pensons tout seul », « In bon coup d’pied », « Une deuxième dispersion ».
C’est surtout suite à sa retraite comme directeur du Centre d’études acadiennes à l’âge de 65 ans que le père Anselme Chiasson s’est consacré à la publication d’ouvrages sur l’Acadie. Une douzaine de titres ont paru depuis et il n’a toujours pas cessé de publier, bien qu’il ait atteint récemment l’âge de 91 ans. Sept titres méritent d’être mentionnés à cause de leur thématique :
– Chansons d’Acadie – 5e série (1979)
– Les îles de la Madeleine : vie matérielle et sociale de l’en premier (1981), - Tout le long de ces côtes : chansons folkloriques des Îles de la Madeleine (1983)
– Sainte-Anne-de-Kent – 1886-1986 (1986)
– Le diable frigolet (1991)
– Contes de Chéticamp (1994) Le nain jaune
– 17 autres contes des îles de la Madeleine (1995).
Le père Anselme Chiasson continue donc à diffuser les connaissances sur le folklore acadien et à mettre en valeur la richesse culturelle de ce peuple. Comme mot de la fin, un hommage écrit par Antonine Maillet et qui résume bien ce que représente le père Anselme pour l’Acadie : « Je vous dis que de tous les Acadiens que je connaisse – et ça c’est à peu près toute l’Acadie de vingt à quatre-vingt-dix-ans – le Père Anselme Chiasson est le plus acadien » (dans En r’montant la tradition – Hommage au père Anselme Chiasson, Moncton, Centre d’études acadiennes, 1982).