Pour tous ceux qui de près ou de loin manifestent un certain intérêt pour la recherche en danses traditionnelles, deux ouvrages majeurs sont (ou ont déjà été offerts) sur le marché de l’édition : La danse traditionnelle dans l’Est du Canada , par Simone Voyer ; Romanian Traditional Dance , par Anca Giurchescu et Sunni Bloland. À première vue, il peut sembler incongru de juxtaposer les danses traditionnelles québécoise et roumaine. Cependant il ne s’agit pas ici de comparer deux types de danses, mais plutôt de jeter un bref coup d’oeil sur la méthodologie utilisée dans chacun de ces deux ouvrages. Même si le contenu faisant objet de recherche est souvent déterminant dans la méthodologie du chercheur, il peut s’avérer intéressant de la comparer ( ou du moins la mettre en parallèle ) avec d’autres du même domaine. C’est dans un tel contexte que la danse traditionnelle peut devenir un objet de recherche, à mon avis, encore plus intéressant.
Chez S. Voyer, les considérations historiques semblent plus élaborées que chez A. Giurchescu et S. Bloland. Cela doit sans doute tenir du caractère particulier de la danse traditionnelle du Québec. À cet effet Simonne Voyer exprime ces considérations sur l’historique de la danse en Europe pour « projeter un meilleur éclairage sur la danse canadienne issue des deux grands courants français et anglais » (p.25).
On retrouve certes de telles considérations dans l’ouvrage d’A. Giurchescu et S. Bloland, mais plutôt dans un contexte européen de convergences ethnoculturelles, (la Roumanie présente à la fois une certaine homogénéité dans les formes les plus traditionnelles de ses danses, mais aussi une hétérogénéité apportée par la proximité de cultures voisines et par la présence d’ethnies diversifiées sur son territoire). Dans les deux ouvrages, on fait cependant référence aux danses du Moyen-Âge et de la Renaissance, pour expliquer l’origine structurelle et formelle des danses traditionnelles exécutées de nos jours.
En ce qui concerne le contexte social, c’est dans l’ouvrage de Giurchescu et Bloland que nous retrouvons la démonstration la plus élaborée. Plusieurs facteurs peuvent ici entrer en jeu, pour expliquer un traitement moins important dans l’ouvrage de Voyer. La rareté des documents d’archives au Québec, (souvent mentionnée par Voyer), la relative "jeunesse" de notre histoire, les "apports culturels" plus limités (courants français, anglais, irlandais ou écossais), etc. On retrouve malgré tout dans les deux recherches des références aux événements à caractère social (noces, naissances, cérémonies officielles), saisonnier et de divertissement (carnaval) ainsi que l’apport des danses modernes (valse, polka, etc.). Quant aux rituels, on peut déplorer qu’il n’en soit pas fait autant mention dans l’oeuvre de Voyer. Cela tient sans doute aux fondements historiques beaucoup plus anciens qui soutiennent la danse traditionnelle en Roumanie, mais il serait souhaitable que l’on élabore un tel contexte dans de futures recherches sur la danse traditionnelle du Québec, (même si ce contexte devait s’avérer moins important).
À cet effet, Giurchescu et Bloland mentionnent l’importance de la mise sur pied d’un système de classification comme outil indispensable autant pour la recherche en général que pour toute étude comparative des différentes traditions de danse. Selon ces mêmes chercheurs, il devient nécessaire alors de mettre au point un système capable à la fois de généralisation et de spécificité. Bref, un système pouvant répondre de la tradition locale en même temps que de l’ensemble de toute la culture de la danse populaire roumaine en général.
Ce système est basé sur une méthode précise d’analyse du matériel de collecte et de catégorisation de toutes les composantes qui définissent une danse ou un type de danse. Ces catégories doivent de plus se fonder dans la réalité de la tradition, sans les distorsions apportées par des cadres préconçus.
Giurchescu et Bloland élaborent ensuite un tableau de "classification structurelle" des danses, basé sur des paramètres précis, tels la classe (chain Dances, Corps springing Dances, Couple Dances etc), la catégorie (tirée des grands types de danses roumaines), la famille, le type et le sous-type (paramètres liés aux caractéristiques de ces mêmes danses ainsi qu’à la tradition locale). Ce tableau constitue un outil précieux pour construire des modèles de comparaison et d’analyse entre les différents objets de collecte.
Chez Simone Voyer, on a plutôt affaire à une approche étymologique tirée des traditions anglaise et française : "country-dance" anglaise et cotillon ou "contredanse" française. Cette approche donne lieu à une typologie moins élaborée en raison du nombre restreint des danses que l’on retrouve chez nous. Mais ici aussi on fait appel à la morphologie de la danse pour en tirer des modèles-types qui pourront servir d’outils d’analyse et de comparaison auprès du matériel collecté dans nos régions. Voyer procède à de minutieuses descriptions des formations et figures propres à ces modèles, pour les appliquer aux formations et figures caractéristiques de notre répertoire. Dans une analyse structurelle et historique, Voyer expose des liens de parenté qui se présentent entre les danses (p.ex. les quadrilles et les cotillons) françaises et les danses canadiennes. On peut à cet égard retrouver ces liens de parenté dans un tableau comparatif illustrant les caractéristiques de la contredanse française (1762) et le cotillon de Baie-Sainte-Catherine (1955) (p.125).
La distribution géographique des danses traditionnelles demeure toujours un sujet délicat à traiter, la culture populaire ne coïncidant pas toujours avec les structures administratives ou politiques. Giurchescu et Bloland, en raison de la portée de leur étude (la Roumanie dans son entier), la présentent sous la forme de véritables "zones ethnochorégraphiques". On y retrouve d’une part des "zones conservatrices" où la communauté, plus fermée sur elle-même, impose ses propres caractéristiques et assimile les danses provenant d’ailleurs ; et d’autre part des "zones de transition", où la population, plus ouverte, adopte le répertoire étranger, sans l’altérer. Giurchescu et Bloland utilisent une grille d’analyse basée sur des éléments statistiques (fréquent, modéré, sporadique, occasionnel) pour reconstituer les caractéristiques ethnochorégraphiques d’une région.
On ne saurait s’attendre à une telle étude chez Voyer, compte tenu du caractère restreint de sa recherche et de la quantité limitée du matériel collecté. Il serait cependant fort intéressant, (après un plus grand nombre de collectes), d’utiliser cette grille, en tout ou en partie, pour tenter de définir nos propres zones chorégraphiques. Ces délimitations culturelles peuvent s’avérer fort utiles, quand on connaît l’apport de plus en plus marqué des média dans l’interpénétration des cultures et les nombreux échanges que cette dernière peut susciter.
La collecte des danses ne peut s’exécuter avec succès sans un système de notation qui réponde avec précision aux besoins du chercheur. À cet effet, Giurchescu et Bloland ont utilisé d’abord le "système de notation rapide" (mis en place par Vera Proca-Ciortea en 1950). Ce système s’avère fort utile pour la "collecte à vue" et la transcription rapide des danses. On a ensuite procédé à la transcription de ce système en "Laban" (notées par J.P. Van Aelbrouk), pour en étendre la portée et rendre accessible le matériel au plus grand nombre possible de chercheurs.
S. Voyer utilise plutôt un système de notation basé sur des pictogrammes et des schémas. Ce système peut s’avérer plus lourd et surtout moins rapide quant à la notation "à vue", mais il demeure indispensable pour les danses dites "de figure". On peut d’ailleurs retrouver l’utilisation d’icones et de pictogrammes chez Giurchescu et Bloland pour symboliser les danseurs et leur position respective.
Il n’existe donc pas de méthode de notation qui puisse correspondre parfaitement à tous les types de danses. D’autre part l’arrivée des technologies de mise en image a rendu parfois obsolètes ces diverses méthodes d’écriture, quoique leur utilité se fasse encore sentir aujourd’hui.
Toute comparaison entre différentes méthodologies demeure toujours délicate, même si son utilité n’est plus à démontrer. Qu’il s’agisse de systèmes de notation, de distribution géographique ou de typologie, il faut reconnaître que ces outils répondent en premier lieu aux besoins du chercheur lui-même, puisqu’il les adapte et les façonne pour son propre matériel de recherche. Ceci ne devrait en rien exclure la possibilité pour ce même chercheur "d’emprunter" certaines autres avenues méthodologiques, ne serait-ce que pour ajouter à la validité de sa recherche.