Réjean Simard : « La musique, c’est toute ma vie ! »

Vol. 20 No.1 Hiver 2019

par LAVOIE, Gino

Par Gino Lavoie (accordéoniste, et fondateur-directeur de l’Association des accordéonistes de la région de Drummondville)

Interview réalisé le 8 mars 2019 par Gino Lavoie auprès de M. Réjean Simard, musicien et facteur d’accordéon de Chûte-aux-Outardes dans la région de la Côte-Nord au Québec.
Réjean Simard est né le 24 mai 1954 à Alma, de Rosaire Simard et Ghislaine Émond, natifs de Hébertville.

GL : Vers quel âge as-tu commencé à jouer de l’accordéon ?

RS : J’ai commencé à jouer de l’accordéon en 1957 à l’âge de 3 ans, on habitait à Delisle tout près d’Alma dans ce temps-là. Je jouais des morceaux de mon père Rosaire Simard avec son accordéon Hohner 2 rangées, ma mère Ghislaine Émond me notait des pièces et j’apprenais assez vite quand mon père n’était pas là car ça me gênait de jouer devant lui.

GL : Donc, tu as appris le répertoire familial en premier. D’où te vient ce goût prononcé pour la musique ?

RS : Ça me vient de mon père. Mon père jouait assez bien de l’accordéon et je voulais apprendre son répertoire. Je pouvais passer des heures à l’écouter assis par terre devant lui. Du côté de ma mère (les Émond), il y avait mon parrain et mon oncle qui en jouaient mais je les entendais très peu jouer. C’étaient surtout des gigueurs, ils connaissaient beaucoup de danses. Les Émond étaient parents avec les Vaillancourt du Saguenay/Lac—Saint-Jean, « tu sais là le brandy frotté que Philippe Bruneau a enseigné, et bien ça vient de mes oncles et mes tantes ». Ils ont montré ça à Philippe et à Michel Cartier, je pense, quand ils sont venus à Jonquière au début des années 60. Tout jeune, j’ai appris le brandy et je pouvais faire danser mes oncles et mes tantes !

GL : Plus tard, comment se fait ton apprentissage et quel est ton répertoire, tes influences ?

RS : J’ai toujours appris la musique par moi-même, donc j’ai pas vraiment eu de professeur. À un moment donné, mon père arrive avec des longs-jeux de Philippe Bruneau et Ti-Jean Carignan (album intitulé : The Folk Fiddler who Electrified the Newport Folk Festival – 1960 par Elektra #EKL-266) et là j’écoute et j’apprends à l’oreille du nouveau répertoire qui me permet d’apprécier le jeu de Philippe. Je devais avoir 7 ou 8 ans, j’avais seulement accès à un accordéon 2 rangées La-Ré, et Philippe jouait avec un accordéon 3 rangées La-Ré-Sol sur ses disques, alors il me manquait un peu de notes mais j’apprenais les pièces que je pouvais reproduire. Ensuite, vers l’âge de 10-11 ans, on est déménagé sur la Côte-Nord, mon père continuait d’acheter d’autres longs jeux et je pouvais continuer d’écouter et d’apprendre de nouveaux répertoires, comme ceux de Gérard Lajoie et de la famille Soucy entre autres.

GL : Qu’est-ce qui vous a amenés sur la Côte-Nord ?

RS : Mon père travaillait déjà sur la Côte-Nord depuis 1959 mais c’est seulement en 1965 qu’il a eu une nouvelle job pour Hydro Québec et toute la famille a déménagé sur la Côte-Nord et c’est depuis ce temps-là que je suis par ici. Rendu là, mon frère a acheté un accordéon Hohner 3 rangées Sol-Do-Fa, alors c’était plus facile pour moi d’apprendre toutes ces pièces du répertoire québécois. J’ai même touché à l’accordéon piano que mon père avait acheté dans cette période. Ensuite mon père a acheté un orgue Hohner symphonique 35 et je me suis mis à jouer sur ça.

GL : Donc tu as touché à plusieurs instruments dans ton jeune âge ?

RS : Ben oui ! J’ai touché à l’accordéon pitons (diatonique), à l’accordéon piano, au clavier, à la guitare, à la basse et à la batterie. Mais mon instrument préféré était l’accordéon à pitons avec lequel j’ai joué et pratiqué régulièrement en solo jusqu’à l’âge de 15 ans. Vers l’âge de 16 ans, j’ai commencé à jouer du clavier dans un orchestre populaire. C’est à cette période que j’ai commencé aussi à travailler dans les chantiers comme commis d’épicerie et là je faisais un peu d’argent. Alors je me suis acheté un orgue Hammond B3 et là les contrats ont commencé à entrer, on jouait de la musique populaire tous les weekends avec mon groupe « Dimension ». À un moment donné, on avait beaucoup de demandes et c’est devenu assez imposant comme orchestre, j’ai dû abandonner les chantiers pour faire seulement de la musique. Là on est parti sur la route pour jouer dans différentes soirées populaires au Québec pendant une dizaine d’années.

GL : Tu as laissé l’accordéon durant cette période ?

RS : Non, je continuais à pratiquer mon accordéon dès que j’en avais l’occasion. J’avais acheté d’autres longs-jeux de Philippe, l’album blanc et l’album bleu et je regardais Philippe à l’émission « À la canadienne » et j’aimais apprendre de nouvelles pièces de son répertoire.

Réjean Simard avec son accordéon Messervier, au Festival des Cantons en 1979.

GL : Durant cette période du début des années 1970, donnais-tu des spectacles de musique d’accordéon ?

RS : Non je pratiquais et jouais pour moi-même, pour mon plaisir.

GL : Ensuite, qu’est-ce qui s’est passé ? Raconte-moi.

RS : Quand Philippe a quitté l’émission « À la canadienne », j’ai un peu délaissé la pratique de l’accordéon car c’était mon idole, mon inspiration et là je ne me retrouvais plus. Là on a été un bout qu’on n’a pas vu ou entendu parler de Philippe. Dans les années 1975 lorsque je travaillais dans un magasin de musique, j’ai fait quelques belles rencontres dont M. Adélard Thomassin qui avait entendu parler de moi. Dans la même période, j’ai entendu parler des « Accordéons Messervier », je me demandais ben c’était quoi ça car sur la Côte-Nord dans ces années-là, y avait pas grand-chose ! De retour d’une run de la Baie James, je voulais me faire fabriquer un accordéon 4 jeux « Acadian » de la Louisiane pour m’améliorer car je jouais avec un accordéon Hohner model 114. Mais finalement, je suis plutôt allé rencontrer Marcel Messervier de Montmagny et j’ai trouvé qu’il faisait une bonne qualité d’accordéon. J’ai donc décidé de lui passer une commande pour un accordéon 4 jeux en 1978.

GL : Suite à cette rencontre avec Messervier, qu’est-ce qui s’est passé ?

RS : Je voulais apprendre le répertoire de Marcel et de sa région car c’était une belle musique pour faire danser. Comme Marcel n’avait pas d’enregistrements, j’ai commencé à écouter des enregistrements de Françine Desjardins qui jouait beaucoup de répertoire de Marcel Messervier et de la région du Bas-du-fleuve. Alors, j’ai appris ce répertoire-là comme ça et en jouant avec Marcel lors de nos rencontres à Montmagny.

GL : À partir de quelle année as-tu joué pour des spectacles ou du concert à l’accordéon ?

RS : Dans ces années-là, y avait le festival des Cantons de Sherbrooke et lors d’une visite chez mon oncle Ti-Louis Simard d’Alma, il me dit : « ce serait l’fun que tu y participes, Réjean ! » et de répondre « ben voyons mon oncle, y a beaucoup trop de bons joueurs là-bas, je n’ai pas de chance de gagner ! » Finalement, je me suis inscrit et c’est moi qui ai gagné le festival des Cantons en 1979 avec mon nouvel accordéon Messervier. Ensuite dans les années 80, plusieurs voyages à Montmagny se sont enchaînés pour jouer avec la famille Messervier. On jouait dans des galas et à l’exposition régionale agricole de Montmagny, où il y avait des spectacles de musique de folklore. C’est là que j’ai vu jouer en personne pour la première fois Philippe Bruneau en spectacle. Je ne lui ai pas parlé à cette première apparition mais il m’avait encore impressionné !

GL : Qu’est-ce que le festival des Cantons t’a apporté ? Est-ce que ça changé la perception des autres musiciens envers toi après avoir remporté le premier prix ?

RS : Le festival des Cantons m’a fait connaître davantage auprès des autres musiciens et à partir de là, plusieurs autres rencontres enrichissantes et contrats de musique sont arrivés et j’ai même participé à des émissions de télévision, par exemple à « Gentille Allouette ». J’ai joué de la musique dans différents évènements avec la famille Messervier (Marcel, Raymond et Junior), Raynald Ouellette, Armand Labrecque, Denis Pépin, Jean-Pierre Joyal, Yvan Breault, Jean-Marie Verret, Mario Loiselle, Benoit Legault, et plusieurs autres. J’ai joué pour des troupes de danse comme les « Danseurs du vieux moulin », « les Sortilèges » et la troupe de danse « Kineskamie » de Baie-Comeau, dans des tournées au Canada, en Europe et aux États-Unis. Ensuite il y a eu Québec 84 où j’ai fait une tournée à travers plusieurs villes du Québec avec Jean-Pierre Joyal, Yvan Breault, Guy Dion, Luc Laroche et Breton-Cyr. Ça c’était quelque chose ! On faisait principalement de la musique et des chansons québécoises.

GL : Finalement ta première rencontre en personne avec Philippe Bruneau est arrivée quand et comment ?

RS : Grâce à Denis Pépin, c’est vers 1981-82 que j’ai fait ma première rencontre en personne avec Philippe Bruneau chez lui lorsqu’il habitait sur la rue De Gaspé (Montréal). Ça faisait tellement longtemps que j’écoutais sa musique que c’est comme si je le connaissais depuis 30 Ans ! En fait, c’était comme si je visitais un de mes oncles ou de la famille. Ça été une rencontre chaleureuse, tout en jouant sur nos accordéons 3 rangées, sa musique et d’autres répertoires québécois que j’avais appris depuis ma tendre enfance. Plusieurs rencontres eurent lieu chez lui par la suite, en compagnie de d’autres musiciens québécois comme Sabin Jacques, Etienne Bouchard, etc.

GL : As-tu déjà été l’artiste invité au Carrefour Mondial de l’accordéon de Montmagny ?

RS : Oui. En 1990, j’ai participé au Carrefour, c’est André Bouchard qui m’accompagnait au piano avec Guy Dion à la contrebasse je crois. J’avais présenté une dizaine de mes compositions lors du concert international. La plupart de ces compositions n’ont jamais été enregistrées, ni publiées.

GL : Pourquoi ? Combien as-tu de compositions en tout ?

RS : C’est trop dispendieux de faire un bon CD aujourd’hui et je n’avais pas les moyens. Faudrait avoir des subventions afin de pouvoir se produire pour publier davantage notre répertoire de musique. Je dois avoir environ une trentaine de compositions personnelles, dont les plus connues sont : la galope à M. Simard (reel à mon père), l’hommage à Jean-Pierre Joyal et le reel du Nord-Côtier.

GL : As-tu fait des productions sonores ?

RS : Au début des années 90, j’ai enregistré 1 cassette qui s’intitulait « la swing de par chez-nous » et en 2001, j’ai enregistré 1 CD : « Mes compositions volume 1 ».

GL : Aujourd’hui, avec le recul et par ordre d’importance, tu dirais que tes principales influences viennent de qui ?

RS : Mon père, Philippe Bruneau, Gérard Lajoie, La Bolduc, Alfred Montmarquette, Jos Bouchard, la famille Verret et Marcel Messervier. Aujourd’hui j’applique mon jeu personnel dans mes interprétations et mes compositions.

GL : Du côté transmission de la musique, est-ce que tu as eu la chance d’enseigner ta musique ?

RS : Oui un peu lors du festival Art et Tradition de Baie-Comeau. Au début des années 2000, j’avais eu l’idée de démarrer un festival de musique traditionnelle sur la Côte-Nord et j’avais parti ça ici au village de Chûtes-aux-Outardes. Ensuite, un comité a décidé que ça serait mieux si ça se passait au théâtre de Baie-Comeau. Ils ont appelé ça « Art et Tradition ». Durant cette période, j’ai fait plusieurs spectacles et j’ai fait de l’enseignement de l’accordéon dans des ateliers. On avait de la difficulté à avoir du public, alors on a dû arrêter ça après la 6e année.

GL : Il me semble que tu as déjà fabriqué des accordéons, Réjean ? Peux-tu nous en parler ?

RS : Oui, lors de la récession dans les années 80, avec très peu de moyens, j’ai commencé à fabriquer à la main un accordéon de type 1 rangée 4 jeux. Avec les années, j’ai acquis de l’expérience et mon produit s’est toujours amélioré, alors j’ai eu un bon succès et j’en ai vendu plusieurs. Par contre, ces dernières années, j’ai dû faire une relâche à cause de la maladie qui a affecté la famille et j’ai assumé mes responsabilités d’aidant naturel pendant une dizaine d’années. Par contre, je prévois recommencer à fabriquer à l’automne 2019.

GL : Comment vois-tu l’avenir pour la transmission de notre musique traditionnelle et la relève de musiciens d’accordéon ?

RS : Si on parle de la Côte-Nord, par ici il ne reste plus grand-chose, juste une petite gang qui pratique un loisir ensemble. Les gens disent que c’est de la musique du temps des Fêtes, alors on fait quoi le reste de l’année ? Au Lac—Saint-jean c’est la même chose, c’est en déclin dans les régions éloignées et les petits villages. Aussi, on voit de plus en plus du folklore mélangé avec du country dans certaines soirées. En rapport avec l’Internet, on y trouve un peu n’importe quoi sur la musique traditionnelle, c’est difficile de s’y retrouver pour nous, imagine pour la relève et les amateurs ! Concernant les nouvelles générations de joueurs d’accordéon, je trouve qu’ils jouent de moins en moins de répertoire québécois. On dirait que c’est pire depuis que Philippe est décédé en 2011, il était comme le gardien de notre musique québécoise !

Heureusement, il y a encore des regroupements de musiciens traditionnels qui sont très actifs, où il se donne de l’enseignement du répertoire québécois et où on peut aller voir des spectacles de qualité. Comme ce que vous avez fait à Drummond en 2018, au 20e anniversaire de l’AARD, ça a attiré pas mal de monde et on était environ 15 accordéonistes invités à se présenter sur scène cette journée-là. Ce fut tout un évènement et j’espère qu’il y en aura d’autres comme ça !

Je vais avoir bientôt 65 ans, j’ai passé ma vie là-dedans, j’ai fait pas mal tout ce que je pouvais pour préserver et promouvoir notre répertoire. Je souhaite que plus de musiciens jouent notre beau répertoire traditionnel québécois afin de perpétuer nos traditions !