Le nom de Guy Bouchard évoque d’innombrables rencontres et collaborations destinées à transmettre les arts traditionnels comme la musique, la chanson et la danse. Pour les faire circuler, le contexte de l’époque et les moyens technologiques à sa disposition ont toujours structuré ses actions. Découvrez ici quelques projets de son parcours éclaté. Création, collectage, interprétation, production, distribution, enseignement : les possibilités sont nombreuses lorsqu’on saisit toutes les occasions pour bâtir des ponts.
Guy Bouchard est né en 1952 à Montréal, plus précisément dans le quartier Longue-Pointe « avec un bâton de hockey et de baseball » raconte-t-il. Jeune adulte, il se tient dans des folk clubs et des boîtes à chanson. Il gratte aussi une guitare de temps en temps pour apprendre des chansons populaires. En 1970, il débute un AEC (Attestation d’études collégiales) en communication audiovisuelle au Collège Ahuntsic puis au Collège Rosemont. Cinq ans plus tard, la rencontre de Aurel Quinn à l’Auberge Sault-du-Mouton en Côte-Nord est déterminante. Elle marque les débuts de sa pratique en musique traditionnelle. Tous les soirs, lorsque Aurel sort son accordéon, Guy sort sa guitare.
En 1975, Guy s’installe à Hauterive (aujourd’hui fusionnée à Baie-Comeau). Une première enquête terrain vidéo avec un groupe d’amis (incluant Michel Dittore, Johanne Larose et Gérald Poirier) mène à la réalisation d’un film en 1978. Woh ! La planche s’intéresse aux principaux joueurs de musique traditionnelle en Côte-Nord. Le titre fait référence à l’appel que lance un violoneux pour qu’on mette une planche sur le tapis du bungalow afin d’accentuer la puissance sonore des pieds. Comme l’accès au matériel de production était difficile à l’époque, la production du film fut rendue possible grâce au poste qu’occupait Guy Bouchard au département d’audiovisuel à Baie-Comeau. Le film est disponible sur DVD aux Archives de folklore de l’Université Laval (Fonds Guy Bouchard, F1412).
L’année suivante, il déménage à Québec, motivé par le désir de multiplier les contacts autour de la musique traditionnelle. En poste à temps partiel comme technicien audio à CKRL, dont les studios sont installés à l’Université Laval, il initie une rencontre hebdomadaire ouverte à tous et à toutes. Cette activité socioculturelle réunira une quinzaine de complices. Certains possédaient déjà un bagage important, comme Daniel Roy, Pierre-Antoine Landry et Michel Grant, tandis que d’autres venaient pour découvrir et apprendre. « Ça a été mon premier réseau folk à Québec, après avoir quitté la Côte-Nord où j’étais en panne de réseau ». C’est ainsi qu’il fait la rencontre de Lisa Ornstein qui deviendra sa colocataire avec deux autres personnes. Leur maison devient rapidement une open house trad où l’on organise des danses dans la cuisine.
Sa première expérience de scène avec un groupe traditionnel arrive enfin avec Harlapatte. La formation réunit alors Yves Lambert, Mario Forest (ensuite remplacé par André Marchand) et Martin Racine. À l’époque, le statut d’artiste des musiciens traditionnels est encore en développement. Comment va-t-on se constituer un répertoire ? Comment amener ces airs à la scène ? Avec le bagage musical de chacun, l’oreille et l’instinct, tout simplement. À l’invitation d’un producteur, Harlapatte change de nom et reprend celui de La Bottine Souriante avec Gilles Quentin et Pierre Laporte pour l’album Les Épousailles (1981).
La vie commence à tourner autour de la musique traditionnelle. Fort de son expérience à CKRL, Guy Bouchard propose une idée à Radio-Canada. Le musicien-technicien audiovisuel donne ainsi naissance à deux séries hebdomadaires de 15 émissions de radio sur les musiciens traditionnels d’ici et d’ailleurs avec Richard Joubert comme coanimateur en 1981. Chaque émission est réalisée à partir d’une entrevue enregistrée sur ruban avec une personnalité comme Jules Verret, Gervais Lessard et Marcel Messervier.
Des organismes voués au collectage et à la valorisation apparaissent au début des années 1980 tels que Les Danseries de Québec fondé par Danielle Martineau en 1981. En 1984, Guy Bouchard réalise un contrat pour filmer les danses de la bretelle nord de la ville de Québec (Sainte-Catherine, Shannon, Valcartier, Tewkesbury, Sainte-Brigitte-de-Laval, etc.). Même s’il n’est pas un spécialiste de la danse, son rôle consiste à mobiliser les gens pour danser et de les filmer.
Au sein du même organisme, Guy commence à enseigner la guitare d’accompagnement adaptée à la musique traditionnelle. Pour lui, cette activité est la clé pour qu’il y ait plus de gens qui comprennent la musique traditionnelle et en jouent. Jusqu’en 2016, il multiplie les cours de groupe et privés, ainsi que les participations à des camps américains comme le Maine Fiddle Camp et l’Ashokan Fiddle Camp. Plusieurs porteurs de traditions l’accompagneront au Festival of American Fiddle Tunes, à commencer par André Alain, Liette Remon, Édouard Richard et Yvon Mimeault. Au fil des années, il enseigne surtout le violon, mais la guitare n’est jamais bien loin !
À l’approche des années 90, l’autoproduction commence à être abordable. « Quand on croisait des [porteurs de tradition], on se disait que ce n’était pas une compagnie de disque qui financerait ça. Donc, on serait mieux de le faire nous-mêmes ». Avec un magnétophone à ruban et un microphone loués, Guy Bouchard, André Marchand et André L’Espérance se rendent chez André Alain pour enregistrer le duo de violoneux que ce dernier forme avec Pierre Laporte. La cassette André Alain, violoneux de Saint-Basile de Portneuf (1986) [1] est produite à partir d’une sélection du meilleur matériel. L’expérience de production d’album est répétée en 1993 avec Jean-Paul Guimond. C’est un projet majeur pour ce chanteur important qui est alors inconnu. C’est ensuite le tour d’Yvon Mimeault avec Y’était temps (1998). [2] « Quand tu fais du collectage, tu t’intéresses aux gens et tu établis une relation avec eux. Tu ne peux pas juste prendre : il faut un échange. Je leur disais : Seriez-vous intéressés à ce qu’on enregistre vos trucs ? Le disque leur appartenait après ça. On leur donnait ou on s’arrangeait pour. Ça faisait partie de l’ensemble de l’implication ». Les personnes impliquées dans ces projets l’ont toujours été de manière bénévole, notamment André Marchand, Éric Favreau, Paul Marchand, Gervais Lessard et Claude Méthé.
L’arrivée d’Internet crée de nouvelles ouvertures. La compagnie à but lucratif Tente sous zéro (1990s) est une réponse à l’absence de distribution auprès d’un large public hors Québec. Depuis les années 70, les albums de musique traditionnelle enregistrés par les compagnies faisaient face à une distribution limitée. En dehors du Québec, les albums sont introuvables. Or, les expériences d’enseignement aux États-Unis confirmaient l’intérêt du côté américain. « Les gens en voulaient, mais n’avaient pas d’accès ». Sur un site web, Guy rassemble les productions disponibles sur cassettes et CD. Un petit catalogue imprimé en noir et blanc est envoyé dans tous les réseaux folks américains. « J’ai fait des milliers et des milliers d’envois. Trois ou quatre commandes par jour. Des bibliothèques au complet étaient commandées. C’était fou comme ça ».
Une décennie plus tard, Lisa Ornstein fait appel à Guy Bouchard pour l’aider à mener à terme un projet de livre accompagné d’un album de musique sur les musiques et danses du village de Valcartier. Affectée par le défi des coûts de production, cette initiative se transforme avec la collaboration de Guy.
L’Irlande au Québec – Musique et chansons traditionnelles de Keith Corrigan et Jimmy Kelly [3] paraît en 2008 sous la forme d’un album de musique sur CD qui comprend aussi le livre en format PDF. Le public est alors libre d’imprimer l’ouvrage ou de le consulter sur ordinateur. À ce moment, cette proposition constituait une petite révolution. Cette publication recevra d’ailleurs le Prix Mnémo en 2008 !

Depuis plusieurs années, on prend conscience de l’importance des airs asymétriques oubliés et dévalorisés dans le répertoire. Guy rassemble alors un groupe d’amis de violon pour retrouver plusieurs airs composés « croches » ou joués « croches » qui se sont standardisés à travers les années. Michel Bordeleau, Michel Faubert, Liette Remon, Éric Favreau, Claude Méthé, Daniel Lemieux et Mario Saint-Germain en font partie. Comme tout le monde est fort occupé, le projet ne voit pas le jour. Puis, lors d’un voyage d’enseignement, trois couples d’amis de la Californie manifestent leur intérêt. « C’était dans les premiers musiciens hors Québec à enregistrer du trad québécois. C’est ainsi que paraît l’album Airs Tordus - Crooked Tunes. [4] « Ça s’était pas beaucoup fait avant. Il fallait presque être Québécois pour jouer de la musique québécoise ». Ces airs ont aussi fait l’objet d’un cahier de partitions papier. [5]
Le succès d’Airs tordus entraîne la réédition de l’album. Un deuxième album paraît en 2009 [6] avec la participation du même groupe, composé de Barbara Mandelsohn, Guy Bouchard, Judy Lipnick, Kevin Carr, Laura Sadowsky, Laurie Rivin et Greg Raskin. La démarche est cependant différente pour ce projet collectif. Elle donne une place à tous les musicien·nes en intégrant des compositions et des airs variés.
Un autre projet se développe en parallèle. « J’ai réalisé que je ne pouvais rien acheter sur Vigneault. Il y avait juste des Jacques Brel et Simon and Garfunkel chez Archambault ». La collaboration entre Gilles Vigneault et Les Charbonniers de l’enfer avait créé un pont entre les auteurs québécois de la chanson et le milieu du folklore. Ce répertoire a marqué plus d’une génération. Aux éditions de Gilles Vigneault, les partitions étaient épuisées. Aucune réédition n’était prévue. Après une rencontre et une aide déterminante avec Bruno Fecteau, pianiste de Vigneault, un projet de livre est autorisé pour offrir des arrangements accessibles sans dénaturer l’œuvre. Deux ans de travail et de collaborations bénévoles mènent à la publication d’un répertoire de 85 chansons de Vigneault choisies et harmonisées pour guitare intitulé Chansons choisies (2010). Il contient des transcriptions des mélodies et des accords ainsi que des biographies musicales et des photographies d’époque.
Quelques années plus tard, Guy Bouchard et Laura Sadowsky s’installent à Douglastown en Gaspésie. Après leur déménagement, le couple lance une activité communautaire de danse grâce à l’accès à des archives collectées dans la région. Au fil des activités, des airs et des danses créent un répertoire commun pour les personnes qui se rassemblent. L’idée de réaliser un film se met en place pour valoriser et faire circuler cette richesse de la pointe de la Gaspésie au-delà de la salle communautaire. Grâce à un grand travail de démarchage de partenaires, un financement régional permet au projet de se déployer. Grande chaîne (2022) [7] se décline en plusieurs médias disponibles sur le site web du film : un film documentaire en deux langues pour représenter le bilinguisme local, un livre de transcription de danses, un film d’archives sur les figures filmées ainsi qu’un album musical. Toutes ces déclinaisons existent pour répondre aux impératifs de la réalisation documentaire et des outils éducatifs.

Lorsqu’on questionne Guy Bouchard sur les motivations qui transcendent toutes ses réalisations, la réponse est simple et univoque : la valorisation passe par la réappropriation d’une riche culture. « J’ai une admiration pour la richesse de ce patrimoine-là. Les gens étaient bons musiciens et danseurs et ont transmis ça malgré le contexte de pauvreté et leurs occupations ».
Quels sont ses prochains projets ? « Continuer l’aventure ! ». Il vous invite aussi à poursuivre la vôtre !
« Tout ce qu’on fait peut paraître anodin parfois, mais ça peut changer notre futur ». Chaque décision et chaque rencontre sont, d’une certaine façon, liées à des moments plus marquants. Soulignons également la présence continue de ses collaborateurs et des collaboratrices telle que Laura Sadowsky, qui est présente à ses côtés depuis 1983 !
L’invitation qu’il nous lance est de travailler à l’accès et à la revitalisation des archives qui ont été collectées dans les dernières décennies. L’action locale et à petite échelle permet de créer des environnements où la culture traditionnelle est racontée et vécue dans un contexte plus moderne. La collaboration est une grande richesse pour y parvenir sans attendre. Les gestes concrets avec les bonnes personnes peuvent certainement créer de grands projets qui laisseront leur marque.
Remerciements
Toutes les citations de cet article proviennent des entretiens réalisés avec Guy Bouchard. Milles merci pour sa collaboration continue tout au long de la rédaction.
Je remercie également Antoine Gauthier d’avoir eu l’idée de mettre en valeur une démarche aussi diversifiée.
Vous êtes invité·es à collaborer aux contenus de cet article sur l’encyclopédie Le violon de Jos https://leviolondejos.wiki/index.php/Guy_Bouchard, en apportant des informations complémentaires qui contribueront au rayonnement des œuvres et des collaborations. Merci à Guillaume Coulombe et Christian Bergeron pour leur appui.


