Le devoir de mémoire en matière de patrimoine québécois peut emprunter plusieurs avenues, dont celles de la collecte de répertoire chez les porteurs de traditions encore vivants et la visite de centres d’archives pour effectuer une mise au jour de pièces “oubliées”. Depuis le début des années 2000, la compagnie Disque-XXI privilégie la réédition d’enregistrement d’artistes du début du XXème siècle qui, autrement, sombreraient dans l’oubli (pensons au Trio Lyrique, au Quatuor Alouette ou à Tommy Duchesne) et ce, en nous permettant de réentendre les voix et les sons d’une autre époque. Ainsi, les deux volumes consacrés à Omer Dumas (1889-1980) et son épouse Mariette Vaillant (1902-1993) s’inscrivent dans cette démarche et permettent aux auditeurs de reprendre contact avec un univers musical qui semble bien loin de ce que l’on peut entendre aujourd’hui.
Yves Bernard écrivait en 2007 dans le Devoir au sujet d’Omer Dumas, qu’il représentait un « célèbre ménestrel populaire d’une époque perdue »... Cette affirmation prend tout son sens à la première écoute des deux volumes que comprend cette réédition : les airs entendus nous replongent dans une ère musicale qui semble aujourd’hui révolue, surtout pour des oreilles contemporaines rompues à ce que l’on qualifie actuellement de son trad. Les plus âgés se remémoreront sans doute la sonorité particulière des arrangements du directeur musical du Réveil Rural, une émission radiophonique quotidienne diffusée sur les ondes de Radio-Canada de 1939 à 1967. Pour les plus jeunes, dont l’auteur de ces lignes, il s’agit d’une incursion dans un univers sonore parfois déconcertant ; à mi-chemin entre la musique classique ou d’opérette et la musique folklorique, le répertoire interprété par Omer Dumas et ses Ménestrels n’a pas d’équivalent aujourd’hui.
La publication de ces deux volumes (un troisième pourrait suivre) pose donc un éclairage nouveau sur un pan de l’histoire musicale du Québec tout en permettant de mieux connaître l’itinéraire musical parcouru par Omer Dumas au cours de sa longue carrière. Afin de présenter un éventail large et riche, les quarante-six pièces retenues pour les deux premiers volumes ont été glanées de 1939 à 1973 à partir de sources diverses : archives familiales, enregistrements commerciaux, archives de Radio-Canada et fonds de collecteurs privés. Le corpus présenté ici est constitué de pièces classiques du répertoire folklorique québécois, de compositions d’Omer Dumas, ainsi que de pièces traditionnelles arrangées par ce dernier. Dans le premier volume, le disque présente un mélange de pièces instrumentales et de chansons interprétées par Mariette Vaillant. Cette dernière, chanteuse lyrique d’origine belge, livre avec soin et élégance, un peu à la manière de la chanson française de cette époque, sans pour autant s’éloigner de l’esprit de l’interprétation folklorique, un répertoire fortement inspiré des cahiers de la Bonne Chanson (dont Auprès de ma blonde, Marie-Calumet, Commençons la semaine, Ah ! Si mon moine, Marie-Madeleine). Dans le second volume, on met davantage l’accent sur les pièces traditionnelles (clogs, gavottes, gigues, polkas, quadrilles, rondes, reels et valses) arrangées par Omer Dumas. Par ailleurs, les livrets d’accompagnement se révèlent instructifs : chaque pièce est clairement identifiée, avec l’interprète, l’auteur, la provenance précise (la source, et, le cas échéant, le numéro de catalogue) ainsi que l’année de publication. En outre, ils présentent des biographies d’Omer Dumas et de Mariette Vaillant, en plus d’inclure des images diverses (photos promotionnelles, photos de tournées, pochettes de disques, couvertures de magazines) de même qu’un article de journal. Malgré une présentation différente, le deuxième livret semble toutefois répétitif, dans la mesure où peu d’informations nouvelles sont ajoutées par rapport au premier.
Même si la majeure partie de cette réédition est d’abord consacrée à Omer Dumas en tant que compositeur et arrangeur de pièces de facture plus classique (telles que Pizzicato-Caprice, Pastorale Tyrolienne), ainsi qu’au son qui le caractérise encore
aujourd’hui, une petite place est accordée à Omer Dumas, violoneux soliste, dans La Bastringue. Avec le Reel de Ti-Gus et le Reel du pendu, l’auditeur peut se familiariser avec Omer Dumas, l’interprète de folklore, même s’il semble singulier de l’entendre sans l’orchestre qui lui fut longtemps associé. Cependant, les Ménestrels sont omniprésents dans le reste de l’album et leur contribution se fait particulièrement sentir dans les arrangements de pièces musicales issues du répertoire folklorique canadien, une spécialité de leur directeur musical. Le procédé employé par Omer Dumas suivait généralement ce modèle : il reprenait certaines mélodies interprétées par les musiciens-vedettes de l’époque (par exemple, Joseph Allard, Arthur-Joseph Boulay ou Alfred Montmarquette), puis, ajoutait une troisième, voire une quatrième partie de son cru à la pièce originale. Ainsi, des pièces connues du répertoire (par exemple, Johnny Wagoner devenant, sous son impulsion, le Reel du Père Biron) se retrouvent augmentées de phrases musicales et d’harmonies fort réussies, qui bonifient la pièce existante et en rendent l’écoute encore plus agréable. Grâce au brio des Ménestrels et de leur instrumentation variée, l’exercice de style apporte des résultats surprenants tout en donnant un nouvel élan aux pièces. Même si ces variantes s’avèrent fort intéressantes, elles demeurent encore trop souvent méconnues aujourd’hui. Dans bien des cas, force est de constater que malgré leur ancienneté, ces versions ont été peu reprises et n’ont pu s’imposer dans le répertoire commun actuel. Est-ce le résultat d’un désintérêt général des musiciens pour cette période ou est-ce le fruit d’une simple ignorance ? Le sort réservé aux airs d’Omer Dumas est-il imputable à l’incompatibilité, selon certains, d’univers musicaux réconciliés par la force d’un auteur ? Plusieurs hypothèses pourraient peut-être expliquer ce phénomène, mais aucune n’amène des réponses satisfaisantes...
Dans cette optique, l’écoute des deux volumes consacrés à Omer Dumas et ses Ménestrels s’avère essentielle, voire nécessaire dans la mesure où elle permet de revisiter des voies jusque-là peu fréquentées dans la musique traditionnelle québécoise. Outre le témoignage musical et ethnologique qu’elle constitue, l’oeuvre d’Omer Dumas mérite une attention particulière et ne doit pas être occultée par la relève, surtout à une époque où l’ouverture et l’emprunt aux autres cultures ainsi que le métissage aux autres genres musicaux sont monnaie courante et deviennent, pour plusieurs, la nouvelle norme en matière de tradition. Si la rencontre des autres cultures permet d’insuffler un vent de fraîcheur à la tradition musicale québécoise, ne vaudrait-il pas mieux le faire en revêtant ses habits du dimanche ? À cet égard, l’approche d’Omer Dumas nous paraît être tout indiquée...
NDLR : M. Maurice Dumas nous a fait parvenir ce mot : Au sujet de François [Dumas, violoneux de la région de Portneuf], la légende urbaine l’a rejoint. Ce n’est pas le petit-fils de mon père qui aurait 119 ans... Nous sommes les descendants de François Dumas, arrivé sur l’île d’Orléans en 1667. Peut-être, y a-t-il un lien de parenté à la 3e ou 4e génération ??? Mon père est né dans le rang des Dumas (qui existe toujours) entre Ormstown et St-Antoine-Abbé, à la frontière américaine.