NDLA : Je tiens à remercier Pierre Chartrand et Vivian Labrie pour leurs précieux commentaires sur la rédaction de cet article ainsi que tous ceux et celles qui ont contribué au succès du projet. Philippe Jetté, médiateur en patrimoine vivant et président des Petits Pas Jacadiens.
Préambule
Depuis la nuit des temps, la danse accompagne les fêtes et le quotidien des gens. La première moitié du 20e siècle voit se développer, dans la région de Lanaudière, une forme de danse de figures que l’on nomme sets carrés, originaire des États-Unis. Elle se transmet naturellement de génération en génération jusqu’à nos jours et se pratique dans des rassemblements privés, particulièrement dans des rencontres familiales, et dans des lieux publics. La mutation de la société altère les mécanismes culturels de transmission des traditions. Force est de constater le déséquilibre de l’écosystème du patrimoine vivant. Nous devons maintenant intervenir pour remettre en marche les canaux de communication entre les générations. [1] L’objectif de cet article est de transmettre l’expérience acquise de ce côté du point de vue de ma fonction de médiateur du patrimoine vivant dans le cadre d’un projet en cours dans la région de Lanaudière depuis 2013. Ce projet de Transmission de la danse traditionnelle en Nouvelle-Acadie [2] a vu le jour dans une phase de repositionnement de l’organisme Les Petits Pas Jacadiens [3] (PPJ).
La genèse du projet
En 2010, après 35 ans d’existence, Les Petits Pas Jacadiens ressentent un besoin de restructuration. À l’automne de cette même année, les PPJ rassemblent les instances locales et régionales [4], pour discuter de l’avenir de l’organisme. Suite à cette rencontre, les PPJ déposent un projet visant à produire un plan d’action concerté avec les organismes du milieu [5]. Doutant de la capacité des PPJ à porter une telle transformation, les bailleurs de fonds [6] accordent une subvention uniquement pour établir un diagnostic de positionnement. L’année 2012 marque le dépôt de l’analyse de positionnement de l’organisme. Celle-ci indique, notamment, que l’intervention des PPJ est en rupture avec la transmission de la danse traditionnelle et que sur plusieurs centaines de personnes, voir plus d’un millier, ayant dansé au sein de l’organisation, très peu dansent encore. Il est à noter que pendant ces 37 ans d’activités « jacadiennes », il y avait une pratique traditionnelle de danse continue dans des familles et des salles publiques de la région de Lanaudière, et qu’il n’y a eu aucun vase communicant entre Les PPJ et la communauté de danseurs. La relation à la communauté est donc à construire. [7]
Historique de PPJ
Les Petits Pas Jacadiens [8] naissent en 1975 à Saint-Jacques, communauté fondée par des Acadiens de la déportation. L’organisme évolue dans un contexte de loisir en dirigeant une école de danse traditionnelle offrant des cours, aux personnes âgées de cinq à vingt-cinq ans, et des spectacles de « danse traditionnelle ». Des chorégraphies d’inspiration traditionnelle sont enseignées et présentées publiquement au Québec et aux quatre coins du globe. Les points culminants sont bien sûr le spectacle annuel de l’école de danse et les tournées. Un autre constat de l’analyse de positionnement affirme que le spectacle a un impact négatif sur la transmission et que la chorégraphie scénique fige la tradition. En d’autres termes, le spectacle folklorique contribue fortement à intensifier le processus de fixation et accélère la disparition de la danse traditionnelle vivante. [9] Et depuis les années 2000, les dirigeants observent une chute drastique des inscriptions à l’école de danse. Les Petits Pas Jacadiens doivent désormais adapter leur véhicule aux nouvelles réalités et trouver des nouveaux moyens pour atteindre leurs objectifs. Les PPJ n’est pas le seul organisme à vivre une telle situation. Une réflexion nationale est nécessaire, car cette situation concerne tous les groupes ou ensembles folkloriques québécois. [10] Après avoir pris connaissance de cet état de la situation, les membres de l’organisme ont le choix d’être en continuité ou en rupture avec les valeurs du patrimoine (rassemblement, socialisation, expression, plaisir, transe, identité, partage, inclusion, accomplissement personnel et collectif, entre autres) [11], soit de danser ensemble en communauté.
Naissance du projet
Parallèlement à cette remise en question, j’ai réalisé une entrevue sur la pratique familiale de la danse traditionnelle avec Marie-Jeanne Dupuis, une porteuse de traditions de Saint-Jacques. Je voulais savoir comment elle voyait la transmission de la danse dans le futur. Elle croyait qu’elle se transmettrait plutôt par les gens de la communauté que par des professionnels. Elle mentionna aussi l’importance des organismes en patrimoine vivant pour supporter la transmission et la continuité des pratiques traditionnelles. « Serais-tu prête à transmettre les danses de ta famille ? » lui ai-je demandé par la suite. Désireuse de partager sa passion, elle répondit oui, en précisant qu’elle devrait être accompagnée par une personne détenant une expertise dans la transmission de son savoir-faire. Marie-Jeanne démontrait clairement sa volonté de participer au développement de la pratique de la danse dans sa communauté par une nouvelle façon d’intervenir. Afin de s’enraciner dans son milieu et de permettre la continuité d’une pratique culturelle traditionnelle, dans l’esprit des objectifs de la Loi sur le patrimoine culturel du Québec, Les Petits Pas Jacadiens proposèrent alors un projet voulu comme étant « collectif » et « rassembleur ». Le projet visait à transmettre les danses du terroir, à impliquer la communauté dans cette transmission, à valoriser les porteurs de traditions et la pratique de la danse traditionnelle, à renforcer la cohésion sociale et l’identité collective, à dynamiser le milieu de vie et à mobiliser la communauté autour d’une action collective. Le projet offrait également la possibilité de dépasser les frontières municipales et de permettre des échanges entre communautés voisines. Les PPJ s’adressaient à une collectivité dynamique, riche, attractive, unie, fière et engagée avec une appartenance et une identité fortes. Nous voulions aussi mettre en valeur les origines acadiennes de la communauté et favoriser l’appartenance à la Nouvelle-Acadie. Le ministère de la Culture et des Communications a trouvé opportun de soutenir un projet portant sur cette collectivité acadienne et son patrimoine dansé, et y a vu un potentiel de développement culturel. Le projet était également un levier pour repositionner l’organisme et sa mission face à la population, les bailleurs de fonds ainsi que les partenaires actuels et potentiels. Les deux demandes de subventions déposées pour ce projet furent acceptées [12], permettant ainsi d’élargir le projet aux Municipalités de Crabtree et de Rawdon, vu les liens historiques qui les unissent aux quatre paroisses de la Nouvelle-Acadie. Ces territoires ont effectivement tous fait partie du grand Saint-Jacques-de-la-Nouvelle-Acadie (1770) et sont des démembrements de la Municipalité de Saint-Jacques. Une question demeurait en suspens : restait-il assez de connaissances et de porteurs de traditions pour permettre la réussite de ce projet ?
Transmettre la danse autrement
Le projet ciblait la transmission, sans rupture de contact (de personne à personne), des danses d’un territoire ciblé, ainsi que la création d’occasions de danse pour revitaliser la pratique, favoriser la rencontre et les liens intergénérationnels. Nous désirions aussi mettre en action les porteurs de traditions, les aînés et les familles du milieu. Pour favoriser la prise en charge collective de la pratique, la répétition des danses est essentielle. Traditionnellement, les familles dansaient majoritairement une ou deux danses qu’elles pouvaient refaire plusieurs fois dans une veillée, de veillée en veillée. Cette approche usuelle facilite l’apprentissage et favorise la continuité de la pratique. Les PPJ préconisèrent donc cette démarche de récurrence des danses contrairement au modèle qui s’est répandu à travers le Québec, c’est-à-dire, un changement de répertoire, de câlleurs et de musiciens à chaque veillée.
Trois étapes
Dès le début du projet, un partenariat fut établi avec le Club FADOQ [13] de l’Amitié de Saint-Jacques afin de mobiliser les aînés de la communauté. Cinq ateliers de transmission d’une durée de deux heures ont été offerts, aux deux semaines, à un groupe de seize aînés, possédant des acquis en danse traditionnelle. Une famille et trois câlleurs de la collectivité ont transmis leur danse familiale, aidés d’un médiateur du patrimoine vivant. Ces ateliers prirent la forme d’une démonstration d’une danse, commentée par le médiateur. Chaque aîné initia ensuite une nouvelle personne à la danse, le tout accompagné des explications du câlleur invité et du médiateur. Chaque porteur de traditions témoigna également de sa pratique familiale. Une veillée de danse à l’occasion de la semaine de relâche a lancé la Phase 2 du projet : la tenue de veillées de danse intergénérationnelle. Les familles de la Nouvelle-Acadie étaient conviées à cette soirée qui mobilisa une quarantaine de personnes dont une quinzaine de jeunes âgés de sept à quatorze ans. L’équipe des PPJ, fort encouragée de cette première mobilisation, a organisé ensuite quinze veillées intergénérationnelles. À ces veillées, le groupe d’aînés faisait toujours une courte démonstration des danses avant de les transmettre aux citoyens. Il convient ici de parler d’une communauté où le projet a eu une couleur particulière.
Rawdon
Contrairement aux autres communautés, Rawdon maintient une tradition de veillées de danse depuis plus de 70 ans dans des lieux publics, notamment à la Salle anglicane (Anglican Hall). Le déménagement de deux câlleurs radownnois en Ontario et le vieillissement des autres câlleurs ne favorisa pas la poursuite de cette pratique. Dans le cas de Rawdon, la transmission se fit par des ateliers-veillées câllés par Beverly Blagrave, une porteuse de traditions, qui avait hérité des danses et des câlls de son père. Le tout accompagné toujours d’un médiateur.
Des partenariats
Pour la troisième phase, les PPJ créèrent des partenariats afin de tenir des danses là où les gens étaient déjà mobilisés dans des rassemblements comme la Saint-Jean-Baptiste, le Carnaval, le Festival acadien de la Nouvelle-Acadie et le Festival Mémoire et Racines, le jour de l’An, la Saint-Patrick. De plus, des ateliers furent offerts aux enfants des camps de jour de la Nouvelle-Acadie avec leurs parents et leurs grands-parents.
Un concours
À l’automne 2014, les PPJ ont lancé le concours « Call » la veillée chez vous ! Les familles des six communautés ont couru alors la chance de gagner un musicien et un câlleur dans leur veillée du jour de l’An. Par ce projet, l’équipe des PPJ souhaitait célébrer la vitalité de la danse dans certaines familles et motiver les autres à se réapproprier cette pratique sociale et collective. Les familles pouvaient participer dans deux catégories : « Familles actives » ou « Familles motivées ». Au jour de l’An suivant, les familles gagnantes pourraient jouir d’un accompagnement festif leur permettant de vivre les danses qui étaient traditionnellement présentes dans leur famille ou dans leur communauté. Deux équipes de « fêteux », composées d’un musicien et d’un câlleur, ont fait la tournée des huit familles gagnantes les 31 décembre 2014 et 1er janvier 2015.
Résultats
Les Petits Pas Jacadiens ont organisé, en seulement un an et demi, 50 activités de danse traditionnelle dans Lanaudière. Ce dynamisme a permis de revitaliser et de documenter treize danses différentes, dont : des danses toujours pratiquées en Nouvelle-Acadie, comme le Quatre par quatre (la plus pratiquée), le Six par six (Mains blanches) et le Passé par six (Set à crochet) ; les plus pratiquées des danses rawdonnoises : First chain, Forward six (Mains blanches), Birdie in the cage (L’oiseau dans la cage), Lady round lady gent don’t go, Yankee Doodle et Forty-eight hands around the hall (nommé aussi la Grande chaîne). À notre connaissance, Rawdon est la seule communauté touchée par le projet à avoir sauvegardé le câll en anglais et les trois chaînes [14] d’un set carré. La première veillée du projet fut insérée dans une fête populaire, le Carnaval de Saint-Jacques 2014 [15]. L’ambiance et l’énergie festive régnait à cette soirée. Une aînée du projet m’a dit, toute contente, en parlant des jeunes qui regardaient et qui dansaient : « Tu l’as ta relève ! ». L’expérience s’est répétée en janvier 2015 [16]. À Rawdon, le projet a permis de renforcer une pratique publique existante en faisant vivre l’expérience de la danse traditionnelle aux moins de cinquante ans. Ces jeunes générations pourront transmettre à leur tour aux futures générations. Un élément porteur du projet a été la constance d’un noyau d’aînés qui se promenait de veillée en veillée. Aussi, une relation de presse régulière et une programmation des veillées de danse gardaient les citoyens au courant des activités et des développements. La fête se voulait une occasion de mobiliser toutes les générations d’une famille pour permettre l’appropriation collective des danses traditionnelles du terroir. Cet objectif a été largement atteint. Au-delà des espérances des PPJ, la veillée du 22 novembre 2014 au Centre communautaire et culturel de Crabtree, prévue pour dévoiler les grands gagnants du concours [17], a mobilisé plus de 100 personnes. Des applaudissements se sont fait entendre lorsque des membres de la famille Dupuis-Thibodeau ont démontré leur set carré, le « Passé par six », avant de le faire danser par tout le monde. Ce très beau geste témoigne de la reconnaissance de la communauté envers ses porteurs de tradition. L’impact du concours « Call » la veillée chez vous ! en a étonné plus d’un. Le défi était de mobiliser et de pénétrer les réseaux privés, les familles et les groupes d’amis. J’ai eu le privilège de vivre l’expérience dans les familles au jour de l’An. Le plaisir à l’état pur, la fierté et l’enthousiasme débordant de toutes les générations m’a chaviré de bonheur. C’est exactement ce que j’imaginais quand j’ai développé le projet. Emballées par leur expérience, les familles souhaitent maintenant poursuivre la tradition de la danse et elles veulent toutes recommencer au prochain jour de l’An. Le fait d’intervenir directement dans un rassemblement familial festif nous semble très efficace car il a un effet mobilisateur sur toutes les générations qui vivent et partagent ces danses dans le plaisir. Les commentaires positifs des familles abondaient après le passage des équipes de « fêteux » [18]. « Cette intervention a confirmé de plus belle notre tradition de la danse en marquant concrètement l’imaginaire de notre famille. Il y aura donc un avant et un après 2014. En ce sens, le prochain jour de l’An sera teinté de notre expérience de cette année. » a affirmé Marie-Jeanne Dupuis (Famille Dupuis-Thibodeau de Saint-Jacques/SaintLiguori). La violoneuse Stéphanie Lépine a raconté avoir entendu une fille de douze ans (Famille Bonin de Sainte-Marie-Salomé), fière d’avoir intégré la danse, s’exclamer à sa mère, les yeux pétillants de bonheur, le sourire fendu jusqu’aux oreilles : « Moi maman, j’aime vraiment beaucoup ça ! ». Un membre de cette famille a rapporté que cette activité a donné le goût à la famille de s’intéresser davantage à sa culture. Chez la famille Breault de Rawdon, de grands sourires apparaissaient sur le visage des spectateurs âgés. Patricia Breault (Famille Breault de Rawdon) a constaté un effet de suivi intergénérationnel dans la transmission : « Jean-Jacques Lane a observé attentivement chaque mouvement de la danse les Mains blanches. Sans aucune nostalgie, il m’a semblé fier et satisfait de voir les membres de sa famille danser une danse qu’il a lui-même câllée à une certaine époque, en anglais ». La volonté des trois générations de la famille Rochon de s’approprier la pratique s’est avérée inspirante. Assidus aux ateliers et aux veillées depuis le début, ses membres ont remporté le concours et consolidé leur pratique. « Moi et mes trois filles avons appris et ma mère s’est souvenue », a rapporté Mélanie Boucher, membre de la famille Rochon. Cette mère de famille a eu un vibrant témoignage. « Mes filles avaient des amis à la maison vendredi [saint] et à l’heure où je préparais le souper, que vois-je ? Éloïse (ma plus grande) qui sort son violon et qui dit si vous voulez danser je vais jouer un reel et Marie-Claire qui dit moi je vais vous caller un set . Et les garçons à Nancy Migué [de la famille Dupuis] (les amis) de s’écrier Oui oui !! Et Laura de dire : moi je danse avec qui ? Maman est occupée ! Ça c’est sûrement une répercussion des veillées de danse. Je me demandais bien comment elles allaient arranger tout ça. Silencieuse, j’observais... Et on s’est retrouvé avec un set « d’autosuffisance ». J’étais tellement contente et j’ai tellement été impressionnée que j’en ai échappé mon chaudron de patates par terre. » Ces touchants témoignages démontrent l’atteinte de nos objectifs, soit que les familles et les groupes d’amis se réapproprient la pratique et la réintègrent dans leurs rassemblements et que les jeunes générations soient touchées. La passion et l’expertise de l’équipe du projet [19] en ont favorisé le succès. Trois comités [20], constitués de citoyens et d’experts, ont aussi été formés pour accompagner le développement du projet.
Retombées
En à peine un an et demi, Les Petits Pas Jacadiens ont développé et valorisé la pratique de la danse traditionnelle lanaudoise, favorisé sa connaissance, développé l’intérêt, rassemblé et dynamisé le milieu. La multiplication des activités de danse a permis de mettre en action des danseurs en dormance et d’éveiller les jeunes générations aux richesses de leur patrimoine. Deux petites-filles de la famille Rochon prennent maintenant des cours de violon traditionnel avec Stéphanie Lépine. En plus de créer des occasions de danse, le projet a permis à des citoyens de se réapproprier leur danse familiale. Par le plaisir collectif de la danse traditionnelle, ils revivent des souvenirs heureux de leur jeunesse. La visibilité médiatique du projet a développé un sentiment de fierté dans la population. Un atelier de câll a permis d’initier sept apprentis câlleurs. La participation d’une porteuse de tradition de la communauté fut l’élément fort de cet atelier. Les retombées de cet atelier se font déjà sentir. Trois personnes se sont lancées dans quatre contextes différents : fête entre amis, rassemblement d’un club de ski de fond, fête de la Saint-Patrick dans un pub à Rawdon et lors d’un voyage de groupe en France. Ce projet mobilisateur a permis à l’organisme Les Petits Pas Jacadiens de se positionner régionalement et nationalement en plus de développer localement une expertise et un enracinement. L’expérience a été partagée dans un contexte où on explore au Québec divers aspects de la médiation du patrimoine vivant. On peut espérer qu’une communication aux États généraux du patrimoine immatériel au Québec et le présent article inspireront des actions similaires dans d’autres régions du Québec.
Enjeux à prendre en compte pour la suite
Parmi les apprentissages à retenir pour de futures expériences, il y aurait notamment lieu de prendre en compte les tensions familles-communauté observées en cours de route. Certaines familles ne ressentent pas nécessairement le besoin de partager les danses faisant partie depuis longtemps de leur cercle familial. Il peut s’agir d’une tendance à « protéger sa famille », ce qui peut être liée à l’intimité et à une peur de perdre l’essence de la tradition (danser avec des gens qu’on aime – la complicité, le plaisir et l’enthousiasme débordant sans crainte de jugement, la spontanéité non organisée, etc.). Aujourd’hui, nous vivons dans une société de performance et de consommation qui fait obstacle à la tradition orale. Les gens se projettent en fonction de l’industrie du divertissement axé sur le spectacle consommé. Ils ne sont plus habitués à jouer un rôle participatif. La peur du ridicule les empêche souvent d’oser la danse. Dans les veillées publiques, le rôle du câlleur est de mettre le monde debout et de les amener à prendre le plancher de danse. Le câlleur « public » n’est cependant pas indispensable à la danse. Celui-ci démocratise la danse auprès des débutants, mais ne permet pas nécessairement le développement de l’autonomie chez les danseurs. Dans une veillée, un espace libre pourrait être laissé aux danseurs désirant danser, à leur rythme, le répertoire de leur choix. Cette façon de faire éviterait l’uniformisation des répertoires. À l’ère de l’austérité, le financement est un enjeu majeur du projet. Comment poursuivre l’œuvre amorcée ? Le Fonds du patrimoine culturel du Québec, volet 5, a été aboli pour les organismes et remis entre les mains des municipalités dotées d’une politique culturelle. La méconnaissance des instances politiques au sujet de nos richesses culturelles et de leurs bienfaits pour la communauté est préoccupante. Est-ce que la désignation par la ministre de la Culture de la veillée de danse traditionnelle comme élément du patrimoine immatériel du Québec aura un impact positif sur nos décideurs publics ? Le projet Transmission de la danse traditionnelle en Nouvelle-Acadie peut être vu comme une première étape d’une entreprise de développement local et durable à plus long terme. En 2015, Les Petits Pas Jacadiens fêteront leur quarantième anniversaire. L’organisme souhaite utiliser cet événement majeur comme levier de mobilisation et de financement populaire. [21]
Conclusion
Plusieurs pistes restent à explorer afin de soutenir le développement de la pratique de la danse traditionnelle dans Lanaudière. Ce pourrait être en tenant des États généraux locaux de la danse traditionnelle ou en en offrant des ateliers de câll. Il y aurait lieu aussi de donner de l’autonomie aux familles et aux groupes en leur offrant des formations sur mesure (danse, câll, musique). Au début, plusieurs personnes nous ont dit qu’il était trop tard pour ce projet et qu’il aurait dû se faire dans les années 1970-80. Le projet a démontré qu’il reste encore de nombreuses connaissances et de nombreux porteurs de traditions à découvrir et à mettre en action pour la sauvegarde de notre patrimoine vivant (immatériel). Laissons les derniers mots à Marie-Jeanne Dupuis, une porteuse de traditions active dans sa communauté : « Continuons à nous rassembler pour danser et nous amuser… c’est du plaisir pur et sain ! »