Une femme alerte, d’humeur joyeuse, une femme aux multiples occupations pour qui le mot retraite ne veut absolument rien dire. Voilà comment nous est apparue Simonne Voyer lors de notre rencontre cet après-midi du mercredi, 6 octobre 2000. Elle nous reçoit simplement, mais avec toute la chaleur et la générosité de son témoignage. Elle nous livre les principaux événements qui ont meublé une vie fort active, tout en excusant une mémoire qu’elle juge parfois défaillante : « Mes synapses travaillent plus lentement qu’il y a 40 ans...Je les cherche (les noms et les mots), puis je les retrouve quand je ne les cherche pas, nous dira-t-elle en riant ».
Simonne Voyer est née à Montréal, quartier Maisonneuve, le 11 octobre 1913. Sixième d’une famille de neuf enfants, elle s’épanouit dans un milieu relativement aisé où la culture tiendra une place prépondérante. Son père, manufacturier de chaussures, aura à coeur d’assurer le bien-être de ses enfants, surtout durant les années de la grande crise. Pendant ce temps, sa mère leur offrira une grande ouverture sur le domaine artistique. Ils habitent une vaste demeure rue Dandurand, angle Charlemagne, dont l’architecture s’inspire, grâce aux bons soins de sa mère, de celle du Club canadien, rue Sherbrooke. Les gošts maternels vont jusqu’à faire peindre des tableaux sur les plafonds et les murs. Les parents encouragent de plus leurs enfants à la pratique musicale. On peut alors les entendre à maintes reprises dans de petits concerts de violon, de violoncelle et de piano. C’est dans un tel milieu que grandit la jeune Simonne.
À 19 ans, elle entreprend des études pour devenir enseignante. Après avoir obtenu un diplôme Lettres-Sciences à l’Université de Montréal, elle complète des études à l’École Normale Jacques-Cartier. Nous sommes en 1935, la crise économique bat son plein et les emplois se font rares. Pourtant, Simonne Voyer, classée 3e sur 300 candidats à l’examen provincial, n’aura aucun mal à décrocher un poste à la CECM au primaire [1]. Pendant ses années d’enseignement, elle ne cesse de parfaire sa formation en éducation physique, son choix d’option à l’École Normale. On la retrouve ainsi à l’Université Laval au baccalauréat, Faculté des sciences de l’éducation, puis à New-York à l’Université Columbia. À ce dernier endroit, elle décroche une Maîtrise es Arts, après y avoir consacré 5 sessions d’été et 1 an à temps complet. C’est au cours de cette dernière formation en éducation physique et en danse que son intérêt pour la danse traditionnelle prendra une nouvelle orientation et l’amènera au Doctorat en Art et Traditions populaires de l’Université Laval. Pour obtenir ce dernier diplôme, Simonne Voyer ira parfaire ses connaissances lors de stages d’études en danse traditionnelle en Suède, au Mexique, en France et au Danemark. Et cette femme infatigable trouvera encore du temps pour apprendre le patin artistique (Montreal Figure Skating Club), ainsi que la natation et la gymnastique à la Palestre nationale, histoire de se maintenir en forme et conserver sa santé. Devant pareil parcours, on pourrait imaginer qu’elle prenne aujourd’hui une pause bien méritée, mais elle ose me confier qu’elle aimerait encore suivre des cours : « Je ne sais pas encore dans quel domaine, mais j’y songe... »
Durant toutes ces années, Simonne Voyer poursuit une intense vie professionnelle : enseignement, chorégraphie, direction de troupe de danse, recherche, rien ne l’arrête, sauf quand son médecin lui ordonne de cesser certaines activités, telle l’éducation physique, si elle désire conserver sa santé. C’est ainsi qu’on la retrouve comme titulaire d’une classe au niveau primaire à la CECM durant la semaine, alors qu’elle consacre ses loisirs à l’enseignement de la danse au Collège Jésus-Marie de Sillery, près de Québec et à son groupe de danseurs à Montréal. Par la suite, elle quitte temporairement, (5 ans), Montréal et la CECM pour prendre une charge de cours en éducation physique et en danse à l’Université Laval. Elle a donné de plus des cours de rythmique et d’éducation physique, (niveau préscolaire) à cette même université et à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Tout ceci sans compter les innombrables cours et conférences qu’elle a livrés dans un grand nombre d’autres institutions, dont son alma mater, l’École Normale Jacques-Cartier. Enfin elle retrouvera son poste à la CECM, mais cette fois-ci comme conseillère pédagogique en éducation physique. Elle y demeurera 18 ans.
C’est durant cette dernière période que Simonne Voyer pourra consacrer une grande part de ses énergies à la danse traditionnelle. Lors de notre rencontre, elle nous témoignera avec force détails des circonstances qui l’ont amenée vers ce dernier domaine.
Nous sommes au mois de décembre 1948, à l’Université Columbia. Le professeur de danse, Ruth Jones, demande à chacun de ses étudiants d’exécuter une danse de son pays pour la période des Fêtes . J’ai eu un peu honte, nous dira Simonne . Avouant son ignorance, elle se contente de faire part de ses expériences de soirées avec les jeunes cultivateurs et leurs apprentis dans la région de Val Morin. Elle promet cependant de s’informer davantage et de revenir présenter le fruit de ses recherches. Elle tient promesse et revient 4 ans plus tard avec 20 danseurs pour célébrer le centenaire de l’institution new-yorkaise.
Ces danseurs faisaient partie d’une troupe qu’elle avait mise sur pied avec la collaboration d’une nièce et d’un neveu. Formée surtout d’étudiants du cours classique, la troupe « Les folkloristes du Québec se fera connaître lors de l’inauguration de l’hôtel Reine-Élizabeth, la fondation du Beaver Club et surtout à l’occasion du centenaire de l’Université Laval. Simonne y travaillera durant 11 ans, enseignant la danse sociale et bien sšr la danse traditionnelle.
Mais ce qui amènera plus précisément Simonne Voyer vers la recherche, c’est la participation à la série télédiffusée « Cap au Sorcier » sur les ondes de Radio-Canada.
Elle collabore pendant trois ans au contenu de ce téléroman illustrant la famille d’un navigateur dans le Bas-du-Fleuve. On (fort probablement l’auteur et le réalisateur) avait alors demandé aux Archives de l’Université Laval un contenu de danses de cette région. L’Université lui a soumis le nom de Simonne Voyer. À la demande de l’auteur, elle chorégraphie et enseigne les danses traditionnelles aux comédiens de cette émission. C’est le point de départ de sa cueillette sur le terrain. Pour ce faire, elle recueillait sa danse le samedi soir, alors qu’on pouvait en voir une partie soigneusement chorégraphiée selon le minutage le mercredi suivant. (N’oublions pas que nous sommes encore en direct et que les reprises ne sont pas permises). Simonne appréciait le professionnalisme des comédiens, les considérant comme « des professionnels de l’apprentissage, qui apprenaient plus vite que n’importe qui... ». Sa carrière de chercheure venait de prendre son envol.
Outre ses collectes du samedi, elle passera un été entier à Rivière-au-Renard, en Gaspésie à recueillir ce qui allait devenir une partie du contenu de sa thèse de doctorat et de sa première publication. Elle est bien sšr confrontée aux plaisirs des rencontres avec les informateurs, mais aussi aux difficultés de la cueillette : « C’est comme un pot d’olives, (le plus difficile) c’est de sortir la première...les autres viennent tout seul... ». Elle réalise de plus que ses informateurs ne considèrent pas leurs danses comme matière à spectacle. Selon eux, seules les danses des étrangers peuvent être considérées comme telles. Simonne réalise la difficulté de la tâche : convaincre ces gens de l’importance de leur patrimoine.
C’est ainsi qu’elle parcourt une bonne partie du Québec (régions de Québec, Saguenay, Gaspésie, Iles-de-la-Madeleine) et des Provinces Maritimes, pour constituer le coeur de ses recherches sur les cotillons et les quadrilles. C’est aussi au cours de ses recherches qu’elle fera la rencontre avec tous ceux qui ont soutenu son travail : Madeleine Doyon, Luc Lacoursière, (son premier correcteur), Jean-Claude Dupont, (quelle considère comme son mentor et qui l’a persuadée de se présenter au doctorat), Carmen Roy, (qui l’a guidée dans ses recherches en Gaspésie).
De toutes ses recherches, Simonne Voyer, outre sa thèse de doctorat, publie en 1986 un ouvrage majeur : « La danse traditionnelle dans l’Est du Canada, quadrilles et cotillons ». Elle travaille toujours fébrilement à la rédaction d’un second tome, suite logique du premier, qui portera sur les contredanses, reels, gigues, danses carrées, danses mimées, danses-jeux etc.
De plus, elle nous fait part de sa prochaine publication au Salon du livre de Montréal, « L’histoire de la danse traditionnelle au Québec, de la fondation à nos jours ». Tiré du document vidéo « La culture dans tous ses états », la rédaction de cet ouvrage a commencé il y a 2 ans avec la collaboration de Ginette Tremblay. Simonne Voyer souhaitait en outre que sa collaboratrice puisse tirer profit de la parution de cet ouvrage. C’est ainsi qu’elle a insisté pour que Ginette Tremblay soit considérée comme coauteur, puisque cette dernière y a travaillé de façon soutenue. « Si mon nom seul apparaissait sur ce livre, je serais gênée... », nous dira Simonne dans sa grande générosité et dans sa reconnaissance du travail de sa collaboratrice.
Elle travaille enfin à compléter le contenu d’une future publication portant sur la gigue et destinée aux débutants dans cette discipline. Avec la collaboration de Normand Legault, (qui a servi entre autre de modèle pour les photographies de pas), elle illustre de façon fort simple les pas du Québec et de la Nouvelle-Écosse en s’inspirant de la méthode photographique utilisée dans un ouvrage sur la gigue irlandaise et édité à Londres. Le travail est déjà fort avancé, comportant l’historique ainsi que les diagrammes et valeurs de note qui accompagnent les photos du gigueur Normand Legault. On pourra entre autres y retrouver des pas sur des rythmes de gigue (6/8), de strathspey et de reel tirés de l’enseignement de Mary Janet Macdonald et de Father Eugene Morris en Nouvelle-Écosse.
Bref nous n’avons pas fini d’entendre parler de Simonne Voyer dans les milieux de la danse traditionnelle. Sa contribution fort importante dans le domaine de la recherche s’est d’abord appuyée sur un amour inconditionnel pour la danse. Sans cette passion qui l’a accompagnée chaque jour, Simonne Voyer n’aurait pu mener à bien toutes ses entreprises. Et ce travail, même s’il ne l’a pas toujours rétribuée correctement, a pris la plus grande part de ses énergies. À ce propos, elle nous avoue ses maigres cachets, (10$/an pour l’enseignement de la danse au groupe « Les folkloristes du Québec »), qui ne servent le plus souvent qu’à payer ses dépenses. En ce qui concerne le gagne-pain du chercheur, elle nous dira en effet : « Si vous voulez vous enrichir, ne faites pas ce que je fais... ». Et à Ginette Tremblay : « Si tu veux faire faillite, mets-moi gérante d’une compagnie... » Mais sur ses droits d’auteur, elle ne fait pas de concessions. Elle renoncera en effet à suivre Carmen Roy à Ottawa, puisqu’elle y aurait perdu tout droit sur ses publications en raison de son statut de salariée au poste qu’on lui aurait offert au Musée de l’Homme. « Quand même ce ne serait qu’un dollar, mon dollar, je veux l’avoir... ». C’est dans cet esprit qu’elle désire venir en aide aux étudiants et à tous ceux qui se consacrent à la recherche universitaire. Elle collabore alors à la Fondation de l’Université Laval grâce à la création du Fonds Simonne Voyer en 1992. Ce fonds est destiné à l’attribution d’un prix annuel soulignant l’excellence du travail académique au niveau de la maîtrise en ethnologie (Art et traditions populaires). « Pour moi, il est question de partage et de reconnaissance. J’ai beaucoup reçu, il me fait plaisir d’offrir... », mentionne-t-elle dans son curriculum vitae.
Simonne Voyer, femme d’action, consacre encore la majeure partie de son temps à l’écriture et la consignation des ses recherches, mais sans jamais oublier de rendre ce que la vie lui a donné. Le contenu de ce portrait est le fruit de sa grande honnêteté et de son inépuisable générosité.