NDLR : Comme cet article comporte beaucoup de partitions, nous vous l’offrons en format PDF, téléchargeable ici :
Présence du piano au Québec Dans toute maison campagnarde, meuble imposant servant à mettre des portraits / on peut aussi y mettre une urne funéraire. Michel Faubert, Petit lexique bête et méchant à l’usage des néophytes trad.
Bien que l’on pense que le piano joua un rôle plutôt discret et tardif dans l’évolution de la musique traditionnelle au Québec, il s’avère qu’il est présent dès le XIXe siècle prenant place non seulement en tant qu’instrument accompagnateur, mais également comme instrument porteur d’un répertoire voué à la musique de danse. S’entremêlent alors culture savante et culture populaire.
Le fait est connu, en 1783 il n’y avait qu’un seul piano dans la ville de Québec. Il faut attendre le milieu du XIXe siècle avant que la présence du piano s’inscrive dans le quotidien des gens.
Avant 1820, tous les pianos sont importés, mais ils sont chers et non adaptés au climat du Canada. Les Canadiens commencent donc à fabriquer leurs propres pianos. Avec la richesse des arbres robustes provenant des forêts canadiennes, l’industrie de fabrication des pianos au Canada devient rapidement une réussite à l’échelle internationale. Au début du XXe siècle,le Canada est un fabricant important de pianos. Avec plus de 100 entreprises de fabrication de pianos et de fabricants individuels de 1879 à 1925, cette industrie canadienne produit 30 000 pianos par année au début du XXe siècle.
À partir de 1850, le piano trouve sa place dans la demeure des familles de la classe moyenne et aucune jeune fille n›échappe aux leçons nécessaires pour pouvoir exécuter des morceaux de danse et de salon et accompagner des chansons. Dans une salle se trouvaient 12 compartiments vitrés renfermant chacun un piano, de sorte que les élèves pouvaient travailler simultanément pendant que dans une autre pièce, également vitrée, se tenait la surveillante qui, heureusement pour elle, n’entendait pas.
Lady Dufferin, 1870 (Extrait de l’encyclopédie de la musique au Canada : http://www.encyclopediecanadienne.ca/fr/article/piano-pratique-et-enseignement/)
Période du 19e siècle (ou l’ère du salon dansant en dentelle)
Au Québec, il n’existe pas de tradition de musique imprimée en lien avec des mélodies associées de nos jours à la musique traditionnelle. L’apparition de cahier de musique traditionnelle ne débute au Québec qu’au cours des années 1980. Il faut se tourner vers les recueils imprimés des Îles Britanniques afin de constater que dès la fin du 18e siècle des livres sont publiés contenants des mélodies associées à des musiques de danses tel que la contredanse et le cotillon, genres qui prédominent partout à l’époque autant dans les Îles Britanniques qu’en France et par extension au Québec.
On retrouve dans ces recueils de nombreuses pièces qui se sont jouées et qui se jouent toujours aujourd’hui au Québec. Beaucoup de ces livres de partitions contiennent uniquement une ligne mélodique et sont destinés aux instruments solistes populaires de l’époque tels que le violon, la flûte, le clavecin ou la harpe. D’autres recueils sont destinés, en plus des instruments solistes, au Piano forte. On retrouve alors la ligne mélodique jouée à la main droite et une ligne simple d’harmonisation à la main gauche, sans production d’accords. À titre d’exemple, nous avons choisi deux recueils parus en Écosse : celui de Niel Gow 4e édition de 1795 (1ère édition en 1784) ainsi que le recueil de John Glenn, paru en 1840. Ces documents contiennent des mélodies comprenant des Reels, Jigs et Strathspeys.
Le recueil de Gow propose dans son titre un accompagnement de basse pour violoncelle et clavecin, dans celui de Glenn cette mention disparaît pour laisser toute la place à l’usage du Piano Forte. Celui-ci devient vite à la mode et déclasse rapidement le clavecin, du moins à ce qui a trait au monde en lien avec notre sujet. En regardant la première pièce The Countness of Sutherland de chacune des pages, on constate que les partitions sont exactement les mêmes et ce malgré que chacune des éditions s’adresse à des instrumentistes différents.
Ces recueils d’époque sont intéressants à différents niveaux. À titre d’exemple, dans la page d’Address du recueil de Glenn, l’auteur, indique clairement que le livre est dédié à la jeune femme de classe aisée qui veut avoir en sa possession un livre de répertoire à exécuter lors de réunions sociales où la danse est à l’honneur. Les jeunes filles de la bourgeoisie se devaient d’apprendre le piano, non pas pour devenir de grandes interprètes, mais pour correspondre à un environnement culturel lié à un statut social, tout comme au Québec.
Le livre nous donne également des informations sur la façon de percevoir un tel type de répertoire dans son harmonisation et dans son exécution et finalement les danses associées au corpus instrumental y sont expliquées.
Les informations manquent afin de déterminer si de tels recueils ont circulés au Québec, mais certains indices laissent croire que oui.
À titre d’exemple nous allons nous référer à un manuscrit écrit par Mlle Cécilia Lagueux au cours du XIXe siècle et qui est déposé aux Archives de Folklore de l’Université Laval.
Présentement nous avons très peu de renseignement au sujet de cette femme. De son nom complet Cécilia-Adélaïde Lagueux est née en 1794. La date de son décès demeure présentement inconnue, mais nous retrouvons sa trace dans un rapport judiciaire de 1860 où il est question d’un partage d’héritage familial.
Elle était la fille de Cécile Griault et d’Étienne-Claude Lagueux qui fut marchand et député à Québec. De toute évidence, elle a évolué dans un environnement social de la classe aisée.
De plus, sa sœur Marie-Henriette fut l’épouse d’Édouard Glackemeyer (1793-1881), notaire, flûtetiste et musicien dans un quatuor à la ville de Québec. Édouard était également le fils de Frédérick Glackemeyer (1759-1836) qui fut à la fois chef de musique, violoniste, importateur d’instruments et de partitions de musique et professeur de piano. Le parcours de ce dernier est impressionnant et constitue un élément riche dans l’histoire de la musique de la ville de Québec (http://www.encyclopediecanadienne.ca/fr/article/glackemeyer-frederic-k-ne-johann-friedrich-conrad/).
Cécilia Lagueux se maria en 1818 à l’âge de vingt-quatre ans avec Jean-Olivier Brunet avec qui elle aura trois enfants. Dans son manuscrit, Cécilia signe chacune de ses pages titre sous la désignation Mlle, donc mademoiselle, appellation qui ont le sait bien est un titre de civilité réservé aux femmes ou jeune femmes non mariées. Ceci nous indique donc que le manuscrit a été écrit avant 1818.
Son recueil comprend plus d’une centaine de pages et contient des partitions écrites à la main allant d’airs de Bach, d’airs d’opéra, de mélodies de chansons, enfin tout ce qui était populaire à l’époque de Mlle Lagueux et qui lui permettait de faire plaisir à son entourage lors de ces prestations de salon. Chacune des pièces ou sections de pièces instrumentales est précédée par une page titre ayant une calligraphie magnifique qui n’est pas sans rappeler les imprimés de l’époque. Le ou les titres de pièce musicale y sont indiqués, portant parfois la mention Piano Forte.
Nous retrouvons donc, dans ce manuscrit, des pièces que l’on relie aujourd’hui à la musique traditionnelle, et bien que Mlle Lagueux soit francophone, tous les titres sont en anglais et proviennent de la tradition musicale écossaise : Lady Montgomery’s Reel, Countess of Sutherland, Blue Stocking, Speed the Plough, Quick Step, The recorvery, Lady Catherine Bertie (Country Dance, Québec), The Devil Amongst the Taylors, Up war Them Willy.
Parmi ces pièces, nous retrouvons The Countess of Sutherland Reel, cité en exemple plus haut. Ce morceau aurait été composé à la fin du XVIIIe siècle par George Jenkins, maitre à danser à Londres. La première publication de cet air serait en 1784 dans The First Collection of Niel Gow’s Reels. De nombreux imprimés reprirent la mélodie, ce qui témoigne de sa popularité : Selection of Scotch, English, Irish and Foreign Airs, 1796 ; A Companion to the reticule, 1840 ; Dance Music of Scotland, 1852 ; Merry Melodies, vol. 3, c. 1880’s, Köhlers’ Violin Repository, Book 1, 1881-1885, The Athole Collection, 1884, The Skye Collection, 1887, Balmoral Reel Book, c. 1910.
Certains de ces recueils sont écrits pour Piano Forte et la notation pour The Countess of Sutherland Reel est pratiquement identique, autant pour la ligne mélodique que pour la ligne harmonique de la main gauche.
Si nous comparons maintenant la notation de Mlle Lagueux à la version imprimée dans The Companion to the Reticule ou bien celle de Niel Gow, nous nous apercevons que le titre, la tonalité et la ligne mélodique à la main droite sont identiques. À l’exception de la 1e et 2e mesure de la partie A, les groupements de notes sont les mêmes. La transcription de Mlle Lagueux présente les parties A et B sans barre de reprise. La ligne harmonique de la main gauche tant qu’à elle, est identique uniquement pour les parties AA. La partie B, bien que différente, conserve le même esprit harmonique.
Sans prétendre que la source de Mlle Lagueux soit le recueil de Gow, il est clair que celle-ci a eu accès à un recueil imprimé Piano forte, l’a copié, ou à fait la copie d’une autre retranscription.
Il est pratiquement indéniable que des recueils imprimés en provenance des Îles Britanniques du XIXe siècle aient circulés au Québec, et furent utilisés à la fois par les maitres à danser, qui bien souvent étaient des musiciens, et par les gens de la classe aisée et bourgeoise ayant une certaine éducation musicale. Il est également possible que ces recueils furent importés entre autre par Frederick Glackemeyer. Quoiqu’il en soit, il est certain que le piano a joué un rôle dans la diffusion du répertoire instrumental.
L’époque du Quadrille Français et Anglais : 19e et 20e siècles
La période du quadrille est fascinante dans l’évolution de la danse et la musique traditionnelle au Québec. Si la contredanse et le cotillon étaient les principales danses, l’arrivée du quadrille qu’il soit français ou anglais apportera des changements et deviendra vite LA danse à la mode parmi la classe aisée à partir du milieu 19e jusqu’au début 20e siècle.
La musique qui accompagne les quadrilles à l’origine peuvent être à la fois des mélodies en mesure 6/8, des polkas, scottishs, marches et galopes selon les différentes parties qui la compose et selon les périodes et les compositeurs. Au Québec, la culture populaire a retenu et adapté la musique de quadrille. Ainsi, elle a puisé dans le répertoire populaire déjà existant, y ajoutant parfois de nouveaux airs diffusés par la musique écrite.
De nombreuses partitions de musique de Quadrille ont été publiées au cours du 19e siècle. Certains recueils ne contenaient que la ligne mélodique et étaient dédiés aux musiciens d’orchestre de bals. Un nombre incroyable de partitions ont été écrites pour le piano, permettant notamment aux jeunes femmes de classe aisée de suivre le courant et de distraire musicalement l’auditoire lors de réunions de salon.
Le Québec a importé bon nombre de ces Quadrilles en partitions, principalement de France d’où il tire son origine et d’Angleterre pour ce qui est du Lancer’s Quadrille. Il faut noter toutefois que la diffusion en terre québécoise de cette danse et des mélodies associées pouvait autant provenir de la France que de l’Angleterre, de l’Écosse, d’Irlande ou des États-Unis tellement la danse était populaire.
Le quadrille des Lanciers comporte cinq parties et dans presque toutes les partitions consultées, les trois premières parties demeurent les mêmes dans leur profil mélodique. L’arrangement pour piano qui en découle varie selon les compositeurs et arrangeurs. Les deux dernières parties demeurent variables.
Dans l’exemple du Quadrille des Lanciers de A. Schmoll on reconnait très bien trois mélodies qui se sont incrustées dans le répertoire des musiciens traditionnels. La 1ère partie Les tiroirs correspond à La rencontre des Dames enregistré par Jules Verret et également joué dans la communauté de Valcartier. La 2e et 3e partie Les Lignes et Les Moulinets ont été reprises notamment par le violoneux Jos Bouchard dans son célèbre Quadrille des Lanciers enregistré sur disque 78 tours en 1938.
Il est à noter que ces trois mélodies tirent leur origine de la fin du 18e siècle. Elles portent respectivement, dans les premiers imprimés du Lancier, les noms de : La Dorset composée par Spagnoletti, la Lodoiska composée par Kreutzer, La Native tirée du Beggar’s Opera, mais qui aurait une origine plus lointaine sous l’appellation Poor Robin’s Maggot au 17e siècle. https://archive.org/stream/DuvalsLancers/Duvals\_Lancers\#page/n0/mode/1up.
[Voir également Les Lanciers, Quadrille américain par A. Schmoll, Paris,
fin XIXe, 1e-2e-3e-partie, en annexe de cet article.]
Suivant la mode, certains compositeurs canadien-français ont voulu contribuer à leur tour à l’ère des quadrilles. S’inscrivant dans un courant nationaliste et voulant mettre en valeur la culture canadienne-française, des compositeurs tels Ernest Gagnon et A.J. Boucher ont puisé dans le répertoire traditionnel chanté afin de constituer leurs quadrilles. Ceux-ci sont écrits pour piano dans le style de leurs prédécesseurs.
Période 1900-1940 (ou l’ère de l’air qui a l’air incompris !)
La fin du 19e et début 20e siècle représente une grande période en ce qui concerne les recueils de musique traditionnelle. Les grandes collections américaines font leur apparition. Encore une fois, certaines sont publiées avec accompagnement piano, d’autres sans, comme la plus imposante : Ryan’s Mammoth Collection. À noter que l’appellation Piano Forte disparaît à partir de cette période.
Nous retrouvons toujours le même principe : Le pianiste joue la ligne mélodique à la main droite, mais on voit apparaître la formation d’accords complets à la main gauche.
Nous donnons comme exemple deux publications, l’une américaine, l’autre canadienne, parues à quelques années d’intervalle.
On observe que la main gauche joue des accords sur chaque temps. Dans l’exemple de Harding’s nous pouvons observer un déplacement de la main gauche afin de créer un balancement de la basse tandis que dans British Dances, il s’agit uniquement d’accords formés majoritairement de trois notes qui marquent chacun des temps, quatre par mesure. Il s’agit d’accords de base, il n’y a aucune progression.
Il existe quelques exemples québécois de ce style d’accompagnement écrit pour le piano et qui réfèrent, sans doute pour la première fois, à un répertoire en provenance du Québec. En 1919 la revue musicale Le Passe-Temps publie Gigue Canadienne écrit par Dr McNamara. Le profil mélodique de la pièce rappelle sans contredit l’air connu aujourd’hui sous le nom de La Guénille, pièce qui fait toujours partie intégrante de la tradition musicale. On constate que l’accompagnement de la main gauche est similaire à Harding’s et British Dance. En 1928, La Lyre publia le Set Américain en quatre parties arrangées par J.A. Forest et, en 1929, est publiée la pièce iconique du répertoire québécois Le Reel du Pendu, arrangé également par Forest. Dans les trois cas, les pièces sont dans la tonalité de Do, permettant ainsi un accès plus aisé aux pianistes en herbe.
Il faut noter toutefois que l’écriture musicale pour piano est complètement différente durant cette période en ce qui concerne la chanson traditionnelle.
Des musiciens comme Henri Miro, chef d’orchestre et arrangeur, ont mis en feuille de nombreuses partitions où les arrangements sont beaucoup plus élaborés harmoniquement.
Les exemples de Harding’s, British Dance, Gigue Canadienne et Reel du Pendu ont tous en commun un accompagnement minimal. Dans certain cas I-V ou I-IV-V, selon différente séquences rythmiques : accords répétitifs qui s’étendent sur plusieurs mesures ou balancement de la main gauche qui donne la basse sur le temps fort et l’accord sur le contretemps.
Il n’est pas étonnant de retrouver le même genre d’accompagnement minimal durant la période du disque 78 tours au Québec. Non pas que les pianistes de l’époque n’avaient aucune conception de la musique traditionnelle, mais plutôt parce que la conception de l’époque était tout simplement ainsi.
C’est sans doute durant cette période que le piano s’incruste progressivement dans la culture populaire en même temps qu’il devient un instrument accessible à la classe moyenne. Le beau piano droit fait désormais partie du décor de la maison québécoise.
Pour entendre la musique de cette période : Le Gramophone Virtuel section audio :
https://www.collectionscanada.gc.ca/gramophone/028011-9000-f.html
Période 1950 – 1970 (ou l’ère du I-IV-V)
Cette période est marquée par l’arrivée publique de l’orchestre traditionnel professionnel qui tourne autour d’un musicien soliste. À l’image des orchestres populaire du temps, l’orchestre « folklorique » se compose maintenant d’une guitare, piano, contrebasse, accordéon piano et parfois de saxophone. Dans bien des cas, les musiciens accompagnateurs proviennent d’autres milieux culturels et musicaux et sont, pour la plupart, des musiciens éduqués. Le travail du pianiste s’effectue de plus en plus en collaboration avec les guitaristes et contrebassistes.
L’orchestre qui marqua profondément, sous différents aspects, la tradition québécoise est sans aucun doute celui de Don Messer and his Islanders des Maritimes, qui fut présent à la fois à la radio, la télévision, sur disque 78 tours et 33 tours et sur partitions musicales durant plus de trente ans entre 1930 et 1960. L’orchestre de Messer lança le bal et plusieurs musiciens du Québec, séduit par l’esthétique musicale, imitaient non seulement le répertoire et le style de jeux de Messer mais aussi le genre de formation, et par extension son style d’accompagnement. Nous n’avons qu’à penser à Ti-Blanc Richard, Adrien Avon, Jacques Auger, etc. La Famille Soucy se démarque toutefois, bien qu’ayant le même genre de formation, par son mélange de chansons et mélodies traditionnelles à parts égales.
Messer fut sans doute l’un des premiers violoneux canadiens à publier son répertoire par des cahiers de musique. Il en publia une dizaine entre 1942 et 1967. Ces recueils, en plus de contenir des partitions de pièces instrumentales traditionnelles ou nouvellement composées par Messer, comprenaient des photographies du groupe et parfois des chansons. Plusieurs autres musiciens canadiens emboitèrent le pas dans la publication de recueil comme Andy Dejarlis, Bob Scott, Ward Allen, King Kanam’s, Ned Landry, Graham Townsend’s etc. Le seul Québécois durant cette période à avoir publié un recueil de ce genre est le violoneux Adrien Avon.
À la différence des imprimés tel que Harding’s et Brittish Dance cités en exemple précédemment, la partie accompagnement piano est présentée cette fois-ci dans son intégralité dans la clé de sol et de fa (main droite-main gauche). Il s’agit alors d’un véritable accompagnement qui soutient une ligne mélodique et non un pianiste qui joue à la fois la ligne mélodique et son accompagnement. Les pianistes de ces artistes ne s’en tenaient pas uniquement à la partition écrite du cahier, il faut plutôt considérer les partitions à titre indicatif d’un style d’accompagnement. À partir des années 1960, de tels recueils incluent dans la partition les accords chiffrés.
On exploite abondamment la progression I-IV-V en ajoutant souvent un 7e degré, on voit apparaître des accords mineurs, sans toutefois en abuser, et la voix de la main gauche se colle beaucoup sur le jeu de la contrebasse. On commence aussi durant cette période à faire « swinguer » l’accompagnement par des séquences rythmiques à contretemps plus souvent qu’autrement sur les fins de phrases.
L’esthétique d’accompagnement piano durant cette période se reflète par écrit dans les recueils de musique de l’époque. On peut également, lorsque l’on écoute des enregistrements sonores, se rendre compte qu’il existe une certaine homogénéité dans le rendu de l’accompagnement piano qui évolue au sein d’un orchestre, ou pour un musicien soliste. Certains pianistes, tel que Madeleine Alain (Famille Soucy), Jean-Yves Hamel (Les Montagnards Laurentiens) Jean-Denis Plante (Ti-Blanc Richard), Théo Bujeau (La Turlutaine), se démarquent par leur jeu plus sophistiqué et innovateur.
Pour entendre la musique de cette période : Youtube : Don Messer – Andy Dejarlis – Ti-Blanc Richard – Famille Soucy – Denis Côté etc
La période 1980 à aujourd’hui (ou l’ère de l’Homme de ‘’Chromateux’’)
Si nous devions choisir qu’un mot pour définir cette période en lien avec l’accompagnement piano et musique traditionnelle, il s’agirait sans aucun doute du mot CHROMATIQUE.
Étrangement il n’existe aucun recueil de musique durant cette période qui démontre le style d’accompagnement chromatique main droite et gauche (hormis trois exemples dans Dance Ce Soir écrit par Greg Sandell), comme nous avons pu le voir dans les périodes précédentes. La notation de partition intégrale d’accompagnement, qui représenterait un travail laborieux, laisse place aux accords chiffrés inscrits au-dessus de la ligne mélodique et qui serviront autant aux guitaristes. Pour le reste, débrouillez-vous ! Il est difficile de cerner exactement comment ce style est arrivé, et faisant malgré tout, contraste au style d’accompagnement des années ‘50 et ‘70.
Un style plus sophistiqué, qui emprunte beaucoup au jazz (sans pour autant obtenir un son jazz) et à la musique populaire du temps, fait son apparition dès la fin des années 1970. Les progressions harmoniques très chromatiques et rythmiques prennent place auprès de pianistes tel que Gilles Losier, Yvan Brault, Philippe Bruneau et Lise Verret qui deviendront vite des modèles à suivre.
D’autre pianiste tels que Luc Lavallée, Dorothé Hogan, Denis Pépin, Réjean Simard, Denis Lancôt, Myriam Gagné, Benoit Legault, Mario Loiselle, Marcel Messervier Jr, Steve Normandin, Germain Leduc et Martine Billette pour ne nommer que ceux-là, contribueront, à leur tour, à diffuser et à entretenir le style en ayant tous et chacun une signature personnelle dans l’exploitation du chromatisme. Fait intéressant à noter, la plupart de ces pianistes œuvrent en tant qu’accompagnateur de musicien soliste ou jouent pour de petites formations de musique de danse.
Le style d’accompagnement chromatique est celui qui prédomine toujours aujourd’hui.
La fin des années 1980 est marquée par l’arrivée, dans le milieu de la musique traditionnelle, de Denis Fréchette avec la Bottine Souriante. Véritable pianiste de jazz, Fréchette et ses acolytes de Big Band aux cuivres et Réjean Archambault à la contrebasse, présentent une nouvelle approche qui démontre que des styles d’accompagnement, à première vue très éloignés et d’une autre culture musicale, peuvent se rejoindre. Leur travail dépasse les cadres prééta- blis du monde chromatique et présente de nouvelles idées de progression d’accords, accords de substitutions, jeux rythmiques, pédale, etc., tout en conservant un grand respect à la ligne mélodique originale. On ne dénature pas un air, on l’enrobe.
Sans pour autant prétendre que le travail de Fréchette soit à l’origine d’une mutation dans le style d’accompagnement, il ouvre malgré tout la porte sur des possibilités et des façons différentes de percevoir la musique traditionnelle dans son accompagnement. C’est également durant cette période que les styles d’accompagnement de guitare se diversifient le plus et que les traditions d’accompagnement des cultures musicales avoisinantes ( Irlande, Écosse, États-Unis) à la musique québécoise se développent. Les influences et les changements se perçoivent de toute part. Une nouvelle génération de pianiste accompagnateurs tels Rachel Aucoin, Guillaume Turcotte, Réjean Brunet, pour ne nommer que ceux-là, ouvrent présentement de nouvelles voies. Ils sont non seulement en mesure d’utiliser parfaitement le style chromatique, mais innovent en transformant à leur tour, la façon de présenter la musique d’accompagnement, l’amenant plus loin vers de nouveaux horizons sonores.
Conclusion
Il est clair que de tout temps musiciens traditionnels de tradition orale et musiciens de formation académique éduqués ont cohabité et ce, depuis le 18e siècle. La tradition musicale s’est développée au travers de ces deux réalités qui se sont mélangées, entrecroisées, influencées dans le but de se divertir par la danse ; car c’est par cette dernière que se sont établies les bases de la tradition musicale que nous avons aujourd’hui.
Chaque époque se caractérise par une forme d’accompagnement qui s’étire sur plusieurs décennies entretenant un style dans une zone relativement similaire d’un pianiste à l’autre, bien que chacun puisse avoir sa propre couleur. Il existe donc, une tradition parallèle qui réfère à l’accompagnement et qui correspond sensiblement aux mêmes mécanismes de transmission que la musique instrumentale.
Il apparaît aussi que les changements de style qui marquent les périodes, au niveau de l’accompagnement, se sont produits de par des musiciens ayant une formation musicale, ayant la technique et le vocabulaire musical propice à mettre en place leur imagination créative.
Références
– Pour en savoir plus sur les genres musicaux et leurs historiques : Au-delà du reel : Introduction à la musique traditionnelle instrumentale québécoise, J.P. Joyal : http://mnemo.qc.ca/bulletin-mnemo/article/au-dela-du-reel-introduction-a-la
– Pour en savoir plus sur l’origine des danses : Du set au cotillon…petite introduction à la danse traditionnelle québécoise, P. Chartrand : http://mnemo.qc.ca/bulletin-mnemo/article/du-set-au-cotillon-petite